Thomas Piketty: “Imposer les comptes-titres à 0,15 %, c’est très peu”

Thomas Piketty © isopix

Thomas Piketty, le célèbre économiste français, était l’invité aujourd’hui de la Commission des finances de la Chambre. Il était notamment appelé à commenter une proposition de loi du PTB visant à créer une cotisation exceptionnelle de crise de 5 % sur les patrimoines au-delà de 3 millions d’euros.

Mais il a évidemment abordé à la taxe de 0,15 % sur les comptes-titres de plus de 1 million d’euros, décidée par le gouvernement.

“En termes de taux d’imposition, 0,15 %, objectivement, ce n’est pas beaucoup, note Thomas Piketty. Si l’on regarde le type d’impôts sur le patrimoine adopté dans les divers pays, en particulier dans des contextes de sorties de crise, 0,15 % ne va pas rapporter grand-chose. Dans l’après guerres, les impôts sur le patrimoine en Allemagne et au Japon ont été de 50° % et 80 %, évidemment, dans des contextes exceptionnels et prélevés sur plusieurs décennies.”

Taxer revenu et patrimoine

Un système de fiscalité équitable doit s’appuyer sur un taux d’imposition progressif, avec des taux différentiés selon les niveaux de revenus et de patrimoine, explique Thomas Piketty, qui ajoute qu’il y a aussi une troisième forme d’impôt progressif à considérer, sur les émissions carbones. “C’est un autre sujet, mais on doit le garder à l’esprit. Car si l’on taxe de manière strictement proportionnelle les émissions carbone, si l’on taxe de la même façon quelqu’un qui émet 1 tonne, 10 tonnes, 100 tonnes, on aura beaucoup de mal à développer de normes de justice acceptables par les uns et les autres, dit-il. Il faudrait donc développer là aussi des formes d’imposition progressives”.

Pour revenir aux revenus et aux patrimoines, Thomas Piketty a fait deux remarques générales.

La première est que “l’idée que la fiscalité sur le revenu serait suffisante et que l’on n’a pas besoin de fiscalité sur le patrimoine me paraît une erreur, assez commune, mais fausse. Pour quelqu’un qui détiendrait beaucoup de patrimoine mais n’aurait aucun revenu, il serait absurde de ne pas le faire contribuer aux charges publiques et ce n’est d’ailleurs le cas dans aucun système fiscal”. L’économiste souligne en effet que le principal impôt sur le patrimoine dans la plupart des pays est la taxe foncière (le précompte immobilier chez nous). “C’est une taxe extrêmement lourde et injuste car elle ne prend pas en considération les patrimoines financiers et ne fonctionne pas de manière progressive, observe-t-il. Quelqu’un qui a un appartement de 200.000 euros mais un emprunt encore en cours de 190.000 euros est imposé de la même manière que quelqu’un qui a un appartement de 200.000 euros mais un vaste patrimoine mobilier. C’est extrêmement injuste”.

Fiscalité de crise

Deuxième remarque de l’économiste : nous avons encore davantage besoin de combiner fiscalité du patrimoine et des revenus en période de crise.

“La période de sortie de la crise du covid avec les dettes considérables accumulées par les États est une période où la question de la justice fiscale se pose naturellement, dit-il. Cela s’est vu dans l’histoire. Les grandes crises de la dette publique du passé, en particulier après les deux guerres mondiales, ont vu l’émergence de politiques de mises à contribution des plus grandes fortunes”, rappelle-t-il.

Thomas Piketty pointe le fait qu’ “il y a eu en Belgique un impôt exceptionnel sur le capital en 1945, il y en a eu en France, il y en a eu en 1952 en Allemagne, où la République fédérale allemande a mis en place un prélèvement exceptionnel sur les patrimoines privés allant jusqu’à 50 % du stock de patrimoine au-delà d’un certain seuil”. Cet impôt décidé par les démocrates-chrétiens a été payé sur près de 30 ans et a rapporté au total près de 60 % du PIB allemand de 1952. “On parle donc d’un montant important, à une époque où les milliardaires étaient moins prospères qu’aujourd’hui et cela a joué un rôle important dans la réduction de la dette publique, en parallèle avec la réforme monétaire de 1948 et l’annulation en 1953 des deux tiers de la dette extérieure allemande”. Pour Thomas Piketty, “l’exemple allemand est a posteriori un des plus réussis pour éteindre une grande dette publique et pour redonner des marges de manoeuvres pour investir dans la reconstruction, les infrastructures publiques…”

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