Thaïlande: la succession royale, une épreuve pour l’économie

© Reuters

La mort du roi de Thaïlande représente un nouveau défi pour une économie déjà atone: des violences pourraient refroidir les touristes et les investisseurs étrangers scrutent de près tout couac dans la succession, selon les analystes.

Bhumibol Adulyadej est décédé jeudi après 70 ans de règne, durant lesquels le pays est passé de l’état de pays agraire à celui de moteur économique pour la région.

“Le roi, très vénéré, a été une figure unificatrice importante pour le pays”, estiment les analystes de Capital Economics, qui craignent de voir “les tensions politiques revenir, ce qui entraînerait un ralentissement de la croissance”.

Cela serait une mauvaise nouvelle pour le royaume, qui traverse une passe économique difficile: croissance bien en-dessous du reste de la région, très fort endettement des ménages et investisseurs étrangers se tournant vers ses voisins plus stables comme le Vietnam.

Bien loin de la période faste où les entreprises japonaises notamment se ruaient dans le pays.

Pour cette année, le gouvernement table sur une croissance de 3%, quand la Banque mondiale prévoit seulement 2% après une progression de 2,8% en 2015, de loin le plus mauvais chiffre de la zone.

Et surtout les investissements étrangers dans le pays sont en chute libre: -90% en 2015.

Consciente des faiblesses de son économie, la junte militaire au pouvoir depuis un coup d’Etat en mai 2014 a, contre toute attente, plutôt préservé le secteur économique: les interdictions et fermetures liées à la période de deuil que redoutaient les entrepreneurs n’ont pas été imposées.

Vendredi, seuls les fonctionnaires avaient une journée de congé. Mais toutes les entreprises dans le pays étaient en activité. Et la Bourse de Thaïlande, qui a ouvert normalement, était même en nette hausse à la mi-journée (+4,18%), les investisseurs profitant de la récente série de baisses pour faire des achats à bon compte.

‘Investisseurs nerveux’

Les analystes de The Economist Intelligence Unit continuaient cependant à redouter la “fermeture d’entreprises nationales pour plusieurs jours, y compris de nombreuses sociétés liées au tourisme”. Le cabinet prévoit dans ce contexte un ralentissement économique pour les 12 prochains mois.

Par ailleurs, la consommation devrait “fortement baisser dans les prochaines semaines”, estiment-ils.

“Le tourisme, qui est l’un des secteurs clés, qui tire l’économie ces dernières années, pourrait être l’un des plus sévèrement touché en cas de flambée de violence”, renchérit Krystal Tan, analyste pour Capital Economics.

Le secteur touristique, pépite couvée par le gouvernement militaire, représente près de 10% du PIB du pays, et même plus de 20% en intégrant les revenus indirects.

L’an passé, le pays a accueilli 33 millions de touristes pour une population de plus de 65 millions d’habitants.

Mais le pays a en tête le souvenir de 2014, année mauvaise pour le secteur à cause de mois de manifestations politiques violentes.

Tensions et troubles politiques sont aussi redoutés par les investisseurs étrangers. Le cabinet de consultants Bower Group Asia estime que l’incertitude politique “rendra les investisseurs nerveux”.

Jeudi soir, quelques heures après l’annonce de la mort de Bhumibol Adulyadej, le prince héritier a demandé à bénéficier d'”un délai” avant de monter sur le trône.

Aucune précision n’a été donnée pour l’instant pour cette période de transition ni sur la possibilité de voir un régent nommé entre temps.

La présence des militaires au pouvoir semblait toutefois rassurer la plupart des analystes.

Pour Jeffrey Halley, analyste boursier pour la société Oanda: “le gouvernement militaire va prolonger son mandat d’au moins un an pour assurer une forte stabilité politique”, ce qui sera un soutien pour la Bourse et le baht, la monnaie thaïlandaise, qui devraient toutefois rester “sous pression”.

La fortune de la famille royale de Thaïlande

La monarchie thaïlandaise est l’une des plus riches au monde, grâce aux propriétés royales, mais surtout grâce à son bras financier: le Crown property bureau (CPB).

Le nouveau roi, après le décès du roi Bhumibol jeudi, disposera en effet de l’un des conglomérats les plus puissants du pays, évalué à près d’un sixième du PIB du pays.

Quel est le statut du CPB?

Créé en 1936, peu de temps après l’abolition de la monarchie absolue, il était au départ supervisé par le gouvernement civil. En 1948, il change de statut et devient une personne juridique à part entière.

Il repasse à ce moment-là, donc peu de temps après l’arrivée sur le trône de Bhumibol, sous le contrôle de la famille royale.

Les entreprises du CPB sont dispensées de l’impôt sur les revenus et sur les sociétés.

Seule incursion du gouvernement dans la structure: le ministre des Finances siège au conseil d’administration.

A combien se monte sa fortune?

Le bureau n’est pas tenu de publier de chiffres. Mais d’après une grande étude réalisée en 2014 par Porphant Ouyyanont, universitaire thaïlandais, basée sur les parts qu’il possède au sein de plusieurs grandes entreprises thaïlandaises et sur ses propriétés, son portefeuille atteint 59,4 milliards de dollars. Soit un sixième du produit intérieur brut du pays…

Le Crown property bureau possède des parts dans le BTP, la banque, la chimie, les assurances et l’immobilier. Ses principales participations concernent le cimentier Siam Cement Group (32%) et la banque Siam Commercial Bank (23%).

Le conglomérat possède un tiers des terrains de Bangkok, notamment dans le centre historique, le quartier chinois et le long des principaux axes.

Les rendements du bureau – qui sont par la loi exonérés d’impôt – oscillent autour de 300 millions de dollars par an, selon le site du CPB.

Parmi ces propriétés, 33% sont des terrains loués pour des immeubles gouvernementaux, 7% des immeubles commerciaux et 58% pour de petits propriétaires.

Un conglomérat qui ne cesse de croître

Aujourd’hui, le CPB compte près de 1.200 employés. Une augmentation spectaculaire en quelques années puisqu’en 1998, ils étaient 735.

Après la Seconde Guerre mondiale, le CPB a été porté par la croissance industrielle et des services, ainsi que le tourisme.

Sévèrement touché par la crise économique et financière de 1997, le CPB s’est restructuré grâce notamment à l’octroi de prêts très avantageux.

“Dans les années 1960, nous étions presque la seule institution avec laquelle les investisseurs étrangers discutaient”, racontait dans une rare interview en 2012 le directeur général du CPB Chirayu Isarangkun, qui n’a pas donné suite aux demandes d’interview de l’AFP.

Comment cette fortune est-elle utilisée?

D’après la loi, le roi peut disposer des revenus du CPB comme il l’entend et il nomme son directeur.

Les fonds sont utilisés pour les dépenses de la famille royale, pour financer les apparitions publiques et pour la maintenance des palais. Toutes les dépenses nécessitent la signature du roi et uniquement de lui (un régent n’a pas l’autorité).

Mais encore une fois rien n’est transparent.

“L’ignorance engendre la suspicion. Oui. Mais la curiosité excessive peut, je crois, également détériorer une relation digne et de confiance”, expliquait en 2011 le directeur général du CPB dans la biographie officielle du roi pour justifier la non transparence.

A cela s’ajoute le fait que tous les ans est prélevée sur le budget de l’Etat une allocation pour le roi et sa famille.

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