Tanguy Struye: “Le risque d’une extension du conflit ukrainien est là depuis février, cela n’a pas changé”

Trends Talk avec Tanguy Struye 31/12/22
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le professeur de relations internationales de l’UCLouvain évoque la fragilité de la Moldavie, du Caucase et des Balkans. Et le risque d’une fragilité européenne. Il insiste aussi: ce qui se passe en Iran est “plus important encore”.

Tanguy Struye, professeur de relations internationales à l’UCLouvain, analyse une année géopolitique particulièrement agitée, dans notre Trends Talk diffusé en boucle ce week-end sur Canal Z. 2022 a forcément été marquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, entamé le 24 février.

Le confit le plus préoccupant depuis la Seconde guette mondiale? Tanguy Struye rappelle la crise des missiles de Cuba durant la guerre froide, mais il prolonge : “La crise que l’on connait aujourd’hui a un niveau extrêmement problématique puisque nous faisons face à des confrontations entre grandes puissances – elles ne sont pas directes, mais quasi directes. On a affaire à des puissances nucléaires, à l’OTAN, à l’Union européenne. C’est une énorme crise.”

Des régions sensibles fragilisées

Dans ce cas, automatique, la question nucléaire se pose.

Et ce n’est pas fini. “Nous sommes partis pour au moins quelques mois encore, souligne Tanguy Struye, parce que les deux parties ne sont clairement pas prêtes à négocier. Tout va dépendre de ce que l’on va connaître sur le terrain ces prochains mois : on peut aller vers un conflit gelé, avec un front qui ne bouge plus tellement, ce qui peut offrir des possibilités de négociation, mais on pourrait aussi avoir – et à mon sens, c’est dans ce sens que l’on va aller – des offensives à la fois du côté ukrainien et russe pour essayer d’avancer le plus possible avant d’arriver à des négociations.”

Mais il s’agit d’un conflit de haute intensité, rappelle-t-il, avec un nombre incroyable de morts et de blessés puisque nous sommes déjà à 100 000 de chaque côté – ce qui est énorme ! Il faut voir, tant du côté ukrainien que russe, si cela suivra au niveau de la logistique et du capital humain.”

Un conflit de longue durée a-t-il de plus grand chance de s’étendre à d’autres pays ? “Le risque d’une extension du conflit existe depuis le début, souligne Tanguy Struye. Cela n’a pas changé. Il faut tenir compte de plusieurs pays qui sont dans une situation de fragilité : la Moldavie, les pays du Caucase (l’Arménie et l’Azerbaïdjan) et, de plus en plus, les Balkans avec la Bosnie et le Kosovo.”

Tanguy Struye évoque aussi la résilience de l’Europe qui pourrait se fragiliser sur le plan socio-économique, mais aussi diplomatique. “Le grand défi, c’est que si tout le monde est d’accord pour soutenir l’armée ukrainienne contre l’armée russe, ensuite, au niveau diplomatique, cela devient beaucoup plus compliqué. Les pays d’Europe de l’Est veulent faire payer Poutine, l’humilier d’une certaine façon, en particulier par rapport à ce qu’ils ont vécu pendant la guerre froide. Alors que du côté de l’Europe de l’Ouest, on soutient l’Ukraine mais, surtout en Allemagne et en France, il y a une volonté de soutenir l’Ukraine, mais aussi de veiller à la sécurité du continent européen, cela passe par des négociations avec Poutine. C’est là que l’on va voir la fragilité européenne.”

L’Iran, “plus important encore”

Le professeur de l’UCLouvain insiste aussi sur l’importance de ce qui se passe en Iran. “Pour moi, ce qui se passe en Iran est peut-être même plus intéressant que l’Ukraine. On néglige l’importance de l’Iran dans le système international parce que si la révolution réussissait en Iran et que l’Iran devenait une démocratie, cela change tous les équilibres. Au Moyen-Orient, cela aurait un impact sur le Hezbollah, sur le conflit israélo-palestinien, sur la relation de l’Iran avec les pays du Golfe… Mais cela aurait aussi un impact sur les relations de l’Iran avec la Russie puisque l’Iran soutien aujourd’hui la Russie dans le conflit ukrainien. Cela aurait un impact sur les relations entre l’Iran et la Chine à travers les Nouvelles Routes de la Soie. Cela aurait un impact énergétique. Nous sommes confrontés sur l’Ukraine pour des enjeux de sécurité européenne, mais si on prend un peu de recul, l’Iran est un enjeu majeur.”

Tanguy Struye se prononce encore sur la mort du multilatéralisme, le risque géopolitique du défi climatique ou la nécessité pour la diplomatie européenne de se réinventer.

Un tour d’horizon passionnant.

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