L’ancien ministre de la Culture de François Mitterrand, inventeur de “l’exception culturelle” et de la fête de la musique, pilote aujourd’hui l’Institut du monde arabe. Entretien à bâtons rompus sur l’Europe, le monde arabe, la production culturelle.
L’Institut du monde arabe (IMA), à Paris, est remarquable à plus d’un titre. Son immeuble d’abord, situé en bord de Seine : une façade, imaginée par l’architecte Jean Nouvel, constituée de 240 moucharabiehs qui peuvent s’ouvrir ou se fermer en fonction de la luminosité. Sa fonction ensuite. C’est sans doute le seul organisme à faire le lien, au travers d’une bibliothèque, de colloques, d’expositions, d’ateliers, etc., entre les cultures arabes et occidentales.
Mais l’IMA, lancé en 1987 sous la présidence de François Mitterrand, s’était éteint sous le poids de l’habitude. Depuis le début de l’an dernier, cependant, l’institution a repris des couleurs. Elle accueille d’ailleurs actuellement deux remarquables expositions (toutes deux visibles jusqu’en août). L’une sur le hajj, le pèlerinage de la Mecque, présentant au public des pièces qui n’étaient jamais sorties du lieu saint. L’autre sur un train mythique, l’Orient Express, qui permettait de visiter l’intérieur de ces wagons au luxe inouï.
Jack Lang, qui préside l’IMA depuis janvier 2013, n’est pas étranger à cette nouvelle dynamique. Sur les relations parfois difficiles entre l’Europe et le monde arabe, sur la politique culturelle, sur les élections européennes,… Entretien avec un homme toujours enthousiaste.
TRENDS-TENDANCES. Comment expliquer cette montée des populismes, particulièrement en France, qui s’est concrétisée par la victoire du Front national aux dernières élections européennes ?
JACK LANG. Disons-le franchement, c’est le fruit de la médiocrité des partis politiques. En proie aux divisions, incapables d’adresser aux citoyens des paroles susceptibles de leur redonner confiance, les partis français sont en crise. Ils n’ont pratiquement pas fait campagne pour l’Europe, sinon pour en parler en termes lointains, technocratiques. J’ai eu la chance de vivre ma première expérience politique aux côtés de François Mitterrand en 1979. A l’époque nous voulions donner à l’Europe un sens concret, qui parle à la jeunesse. Aujourd’hui, on ne met pas en avant les actions de l’Europe. Je songe au programme Erasmus, aux alliances positives qui réussissent à se nouer entre entreprises, aux actions menées en faveur de la recherche, sans compter ce qui a été entrepris pour la paix et les libertés. Cette campagne m’a beaucoup attristé.
Vous critiquez tous les partis, le vôtre y compris ?
Oui. C’est une critique générale. Le Front national a profité de l’abandon des autres partis.
Le projet européen n’est-il pas “fatigué” ?
Oui et non. En Italie, ce qu’a dit le Premier ministre Matteo Renzi lors de la campagne était stimulant, concret, intelligent. Mais en France, les partis ne sont pas à la hauteur de ceux qui ont bâti l’Europe. Pourtant, la construction européenne est une aventure unique dans l’histoire du monde. Jamais, à aucun moment, des nations ne s’étaient ainsi alliées pour construire la paix, la démocratie, le développement économique. La fatigue consiste à s’accoutumer à ce qui existe. Si nous n’y prenons garde, l’Europe risque de s’asphyxier.
Pierre-Henri Thomas
Retrouvez cette interview complète dans le magazine Trends-Tendances de cette semaine.