“Si après Caterpillar, on ne lie toujours pas les aides fiscales à l’emploi…”

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Dans l’attente du retour annoncé de Marc Goblet, prévu pour le 19 septembre, le patron de la FGTB par intérim, Jean-François Tamellini se dit prêt à une vraie négociation sur la flexibilité et les salaires. Mais à condition d’avoir des contreparties en matière d’emploi et de conditions de travail.

La priorité de Jean-François Tammellini dans le dossier Caterpillar ? Comprendre. Comprendre les ressorts d’une décision ressentie comme ” une trahison ” pour ” éviter que le schéma ne se reproduise “. Comprendre aussi pourquoi, en dépit des fermetures et restructurations, le banc patronal rechigne toujours à lier les aides publiques à des engagements fermes en matière d’emploi. Et il constate, sans trop savoir s’il doit y croire ou pas, que le monde politique semble désormais se poser les mêmes questions.

Jean-François Tamellini : J’ai entendu beaucoup de déclarations politiques, de tous les partis, de tous les gouvernements. C’est bien. Mais nous avons besoin d’actes concrets pour redonner des perspectives aux travailleurs de Caterpillar et de ses sous-traitants, c’est cela notre priorité absolue. Nous avons besoin aussi que la direction de l’entreprise rende des comptes car, parmi le personnel, le sentiment de trahison est terrible.

Pour en venir aux propos de monsieur Magnette, je pense qu’il faut éviter de nouvelles provocations de la multinationale. Elle pourrait vouloir démonter une partie des installations et tenter d’empêcher que l’outil reste disponible. Un four a ainsi été fermé. Si nous n’avions pas réagi, ceci aurait endommagé l’outil. Le politique a ici un rôle à jouer pour s’assurer que l’outil reste bien à disposition.

Un outil à disposition mais pour en faire quoi ?

Je suis perplexe à propos de la piste d’un repreneur. Dans l’environnement très concurrentiel où nous vivons, l’entreprise qui délocalise fait tout pour éviter qu’un concurrent vienne reprendre ses activités.

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La reconversion de 6.000 travailleurs, dans une zone qui va être complètement déstructurée, c’est gigantesque. Et cela risque d’être malheureusement bien plus que 6.000, car il y aura les dégâts indirects sur le commerce et autres. Avançons donc par étapes et tentons d’abord de pousser l’entreprise à rendre des comptes pour que nous puissions au moins comprendre sa stratégie et éviter que le même schéma ne se reproduise à l’avenir.

Qu’entendez-vous alors par ” redonner des perspectives aux travailleurs ” ? C’est juste l’accompagnement social de la fermeture ?

Non, nous voulons créer un cadre économique qui permettra, ensuite, de développer du social. Pour moi, c’est le postulat de départ. Le problème ici, c’est que ce cadre économique favorise exclusivement les stratégies financières – j’insiste sur le ” exclusivement ” car les stratégies financières sont nécessaires – au détriment des stratégies industrielles. Avec ce cadre-là, on va continuer à jeter des travailleurs. Il faut donc changer les règles. Quand Charles Michel déclare qu’avec Caterpillar, ” on touche aux limites du système “, c’est très fort. Il dit clairement qu’il y a un bug dans ” son ” système. Il faut en tirer les leçons politiques et fixer des conditions pour les aides publiques, les lier à l’emploi.

C’est déjà largement le cas pour les aides wallonnes à l’investissement…

Je vise aussi la fiscalité fédérale. Je n’ai pas de problème à ce que les entreprises bénéficient de réductions d’impôts, aussi longtemps que cela se retrouve dans l’emploi. Quand cela conduit à des licenciements boursiers, je dis stop.

Qu’appelez-vous exactement des licenciements boursiers ?

Quand Charles Michel déclare qu’avec Caterpillar, ” on touche aux limites du système “, c’est très fort. Car il parle de “son” système.”

Des subsides importants, via nos impôts, ont servi à faire fonctionner des entreprises multinationales. Et, ensuite, ces subsides sont quasi intégralement redirigés vers les actionnaires, plutôt que de servir au développement de l’entreprise. Caterpillar n’a ainsi jamais beaucoup investi dans la recherche et dans l’innovation, en tout cas à Gosselies, et cela ne l’a pas empêché de profiter des avantages fiscaux. Attention, je ne dis pas qu’il faut chasser les multinationales, au contraire, nous en avons besoin. Je dis simplement qu’il faut fixer des règles puisque, le Premier ministre en convient, on touche aux limites du système.

Les limites du système, c’est aussi chez nous. Les gouvernements ont découragé les départs anticipés. Je peux l’entendre, du moins quand ces départs sont volontaires et que la santé le permet. Mais quand c’est involontaire, que les départs sont provoqués, que le travailleur est impuissant, il faut conserver une certaine latitude. Le politique, et Kris Peeters en particulier, doit ici jouer son rôle. Il n’y a pas que les travailleurs qui doivent être flexibles.

Des grandes entreprises qui emploient plusieurs milliers de personnes, il y en aura de moins en moins chez nous. L’emploi sera plus diffus. Cela n’oblige-t-il pas les syndicats, très forts dans les grandes entreprises, à revoir leurs stratégies d’action ?

Les entreprises de plus de 50 travailleurs fournissent encore plus de 60 % de l’emploi en Belgique. Mais, c’est vrai, nous ne sommes plus dans les années 1960 où quand on bloquait cinq entreprises on bloquait tout le pays. Quand la taille des entreprises diminue, le rapport de forces est plus difficile à structurer. C’est pourquoi nous avons entamé une réflexion en vue d’adapter nos modes d’action.

D’un côté, cette évolution vers des entreprises dont les effectifs se comptent en centaines plutôt qu’en milliers est favorable car elle mène à un actionnariat plus attaché au terroir, qui ne va pas délocaliser du jour au lendemain. Mais de l’autre, 55 % des accidents de travail mortels ont lieu dans les petites entreprises. Les conditions de sécurité n’y sont pas optimales. Je pense que si l’on baissait le seuil de la représentation syndicale (50 travailleurs actuellement), on pourrait améliorer les conditions de travail dans ces entreprises.

Cela fera hurler les patrons de PME…

Je les invite à relire l’analyse du FMI – qui n’est pas vraiment le centre d’études de la FGTB – sur les corrélations positives entre le taux de syndicalisation, le niveau des salaires et la croissance économique. Les syndicats doivent pouvoir examiner l’évolution de la sociologie des entreprises. En trouvant un équilibre, bien entendu.

Venons-en aux thèmes sur la table du groupe des 10. Pourquoi vous opposez-vous tant à la flexibilité et à l’annualisation du temps de travail ? Des systèmes de ce type existent déjà dans de nombreuses entreprises. N’est-il pas prudent de négocier un cadre légal ?

Il existe en effet 14 dérogations sectorielles au régime des 38 heures. Mais ce sont des dérogations négociées. Ce que Kris Peeters nous propose, ce n’est pas un cadre protecteur, c’est une épée de Damoclès : si la négociation n’aboutit pas, au 31 décembre, les employeurs pourront imposer ce cadre. Nous entendons la demande de flexibilité mais nous voulons y répondre non pas par une loi, mais par des conventions sectorielles, avec des contreparties, avec des liens très clairs avec l’emploi. Avec donc des équilibres.

Vous êtes donc d’accord avec Kris Peeters : le rôle central de négociation doit revenir aux secteurs…

La réduction du temps de travail doit être neutre pour les entreprises.”

C’est effectivement ce que nous essayons de faire en groupe des 10. Mais cela implique de laisser de vraies marges de négociation aux secteurs. Prenons les 100 heures supplémentaires volontaires prévues dans le projet Peeters. Ces heures se négocieraient individuellement, contournant la représentation syndicale, sans justification et sans récupération. Le danger pour l’emploi est réel : un équivalent temps-plein, c’est 1.700 heures ou 17 fois le pot de 100 heures supplémentaires. Chaque entreprise de plus de 17 travailleurs peut remplacer un emploi par ces heures supplémentaires. Et vous voudriez que nous acceptions de telles dispositions sans intégrer le lien à l’emploi ?

Tout comme l’employeur ne veut pas entendre parler de réduction du temps de travail sans assurer la neutralité des coûts…

La semaine des quatre jours fait partie des liens à l’emploi dont je parlais. Et je précise, car on l’oublie souvent, que cette réduction du temps de travail doit être neutre pour les entreprises. Nous ne parlons pas non plus d’une mesure uniforme mais d’expériences-pilotes. Là où c’est possible, là où il y a la volonté, il faudra réorienter les aides ou en trouver de nouvelles pour que l’entreprise qui expérimente la semaine des quatre jours n’ait pas de coûts supplémentaires. Pour moi, c’est une proposition moderne et qui crée, par le dialogue et non par une mesure générale, un cadre économique viable pour les entreprises.

L’autre gros dossier sur la table du groupe des 10, c’est la réforme de la loi de 1996 sur la compétitivité. Kris Peeters souhaite que la marge salariale ne soit plus indicative mais impérative. N’est-ce pas logique de s’en tenir strictement à la marge définie en concertation ?

Non, parce que nous voulons retrouver des espaces de concertation, ici comme sur la flexibilité. Une marge indicative permet, dans les secteurs où c’est possible, d’augmenter un peu plus les salaires, de récupérer une partie de ce qui a été perdu avec le saut d’index et de relancer ainsi un peu l’économie.

Au risque de recréer un déficit de compétitivité par rapport à nos voisins…

Entendons-nous : qui a fait un effort ? Les travailleurs avec le saut d’index et la sécurité sociale avec la baisse des cotisations. Les actionnaires ne doivent pas être les seuls à en récolter les fruits et c’est pour cela que, là où c’est possible, nous voulons une marge indicative.

Le projet de Kris Peeters prévoit aussi de ne plus comptabiliser de futures baisses de cotisations dans le calcul de l’écart salarial. Désolé mais c’est inacceptable, tout comme l’idée d’une correction automatique après deux ans. On ne va pas venir rechercher des marges qui avaient été négociées.

Avec tout cela, croyez-vous quand même pouvoir aboutir à un accord ?

Oui, je continue à y croire. Nous pensons qu’il ne faut pas compartimenter les dossiers : la révision de la loi de 1996 sur la compétitivité, la flexibilité et le lien avec l’emploi doivent être négociés ensemble. Mais, jusqu’à présent, les employeurs ne veulent pas entendre parler du lien à l’emploi. Nous avons déposé des propositions en matière de flexibilité et de salaire, qui montrent notre volonté de négocier des compromis. Mais avec des contreparties sur l’emploi et les conditions de travail.

L’agenda social prévoit une manifestation nationale le 29 septembre et une grève le 9 octobre. Est-ce là montrer un esprit d’ouverture et de volonté de négocier ?

C’est la question du rapport de forces. Nous avons établi un plan d’actions mais, évidemment, en fonction des réponses du groupe des 10, en fonction de l’attitude du gouvernement, nous pourrons l’adapter. Si nous sentons que nous pouvons négocier de vraies contreparties sur la flexibilité et sur les salaires, nous pouvons reconsidérer certaines actions.

Je reprends l’exemple de Caterpillar pour conclure. Les travailleurs ont fait d’énormes efforts de flexibilité pour résorber, en trois ans, un écart de compétitivité de 20 %. Et malgré cela, comme il n’y a pas de règles et de liens à l’emploi… Alors après toutes les grandes déclarations que nous avons pu entendre, il serait irresponsable pour le pays de ne pas tenir compte de ce qui s’est passé à Gosselies. Les prochains jours diront si cela va ouvrir des portes ou au contraire crisper la négociation, car nous voyons les tensions au sein du gouvernement fédéral entre la N-VA, l’Open Vld et leurs deux partenaires.

Propos recueillis par Christophe de Caevel.

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