“Sauver la Grèce est un acte égoïste !”

© Reuters

Aux yeux du consultant et essayiste Alain Minc, il faut absolument sauver Athènes, car “sauver la Grèce est un acte égoïste” permettant de préserver notre système financier. Interview.

Il n’est jamais inutile d’écouter Alain Minc. L’essayiste, consultant des patrons du Cac 40 et proche du président Nicolas Sarkozy a rendu visite au Cercle de Wallonie la semaine dernière. Nous l’avons longuement rencontré le 22 juin, quelques jours avant le vote du Parlement grec en faveur du plan d’austérité tant décrié par la rue.

Pourquoi faut-il sauver la Grèce ?

Je pense qu’on sauvera évidemment la Grèce, car sauver la Grèce est un acte égoïste. Pas pour sauver l’euro mais pour nous éviter la déstabilisation du système financier. Le risque grec, ce n’est pas seulement les créances sur la Grèce, mais plus encore le risque de la masse inconnue de CDS prises sur la Grèce, qui peut déstabiliser tout le système financier international, comme l’ont fait les CDS après la faillite de Lehman Brothers. Rassurez-vous, nous allons sauver la Grèce !

Peut-on pour autant échapper à une restructuration de la dette grecque ?

Pour ne pas être en défaut de paiement, les banques accepteront, en souriant de toutes leurs dents, un renouvellement des lignes de crédit. Et tous les banquiers diront qu’ils sont très heureux de cette opération. Et nous serons tous convaincus qu’ils sont très heureux.

Les banquiers vont donc garder le sourire ?

C’est une affaire comptable. S’ils ne sourient pas, l’organisme qui décide ou non des défauts de paiement trouverait le prétexte qu’il cherche pour affirmer qu’il y a un défaut de paiement de la Grèce.

Vous parlez des agences de notation ?

Non, l’agence de régulation des CDS qui s’appelle l’ISDA. Il faut donc qu’ils sourient, et les banques centrales leur tapoteront l’épaule en leur disant : souriez !

Que dire aux citoyens européens ? Qu’il faut remettre au pot pour sauver une deuxième fois les banques ? On a le sentiment d’être les otages d’un système bancaire qu’il faut toujours aider car on ne peut pas le laisser tomber…

Vous connaissez un système économique qui fonctionne sans oxygène ? Cet oxygène, ce sont les banques. Puisque c’est un système vital pour le fonctionnement de l’économie mondiale, il ne faut pas avoir une rentabilité sans limite, et nous allons “caper” (limiter) sa rentabilité. De la même manière qu’en Belgique, la rentabilité des producteurs d’électricité est “capée”. C’est ce qui est en train de se passer.

A partir du moment où, pour la même activité, vous doublez le montant des fonds propres requis, que faites-vous d’autre que de diviser la rentabilité par deux ? Nous sommes dans un monde où il faut sauver les banques pour sauver l’économie. La contrepartie consiste à dire : vous ne pouvez pas avoir une rentabilité stratosphérique.

Pour revenir à la Grèce, même si de nouvelles tranches de prêt sont accordées, cela ne rendra pas le pays plus compétitif. Combien de temps faudra-t-il pour y arriver : 20 ans, 30 ans ?

Le problème de la Grèce n’est pas une question de compétitivité mais de finances publiques. On parle de la compétitivité grecque comme si la hausse des salaires y empêchait de concurrencer des entreprises du Bade-Wurtemberg. La Grèce est un piètre exportateur.

Son problème est différent : avec le déficit public, c’est l’incapacité de couvrir les dépenses publiques avec des recettes fiscales. Cette incapacité tient à l’absence de machine pour prélever les taxes. Les Grecs sont champions de la fraude fiscale, l’administration fiscale est inexistante, l’économie grecque fonctionne à 50 % au noir, ce qui explique que les tensions sociales ne soient pas plus fortes.

La vraie solution, c’est d’arriver à les obliger à réintroduire, dans une économie normale, ce qui devrait donner lieu à des prélèvements fiscaux qui ne sont pas levés actuellement. La compétitivité pèse sur quoi ? Le tourisme ? Mais les facteurs qui font que l’on choisit d’aller à Corfou plutôt qu’à Malaga ne sont pas seulement le coût de la main-d’oeuvre…

Il faut sauver la Grèce au moins le temps que d’autres pays affaiblis, comme l’Espagne, puissent améliorer leur situation financière ?

L’enjeu européen est en effet plutôt l’Espagne. Si elle venait à basculer, cela deviendrait très grave. Mais je n’ai jamais cru que cela pourrait arriver. C’est un pays que je connais très bien. Je sais à quel point les élites y sont cohérentes, orgueilleuses et ne voudraient pas dilapider le legs formidable de la transition démocratique et de l’entrée dans l’Europe. C’était une évidence que les Espagnols feraient, à un moment donné, les efforts nécessaires au niveau de la libéralisation du marché du travail, des prélèvements fiscaux, des contraintes sur les dépenses publiques. Ils ont fait ce qui est nécessaire pour se mettre à l’abri, même avec un gouvernement affaibli.

Propos recueillis par Robert van Apeldoorn et Amid Faljaoui

(Retrouvez l’intégralité de cette interview dans le magazine Trends-Tendances daté du 30 juin 2011.)

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