Sakhaline ou la dangereuse addiction japonaise envers le gaz russe
Le Japon, qui préside cette année le G7, participe aux sanctions internationales contre Moscou mais reste impliqué dans des projets pétrogaziers russes: une exigence de sécurité énergétique pour Tokyo, posant toutefois des problèmes de “vulnérabilité” et de crédibilité pour certains experts
D’un côté, dans le sillage de l’invasion de l’Ukraine, le Japon a promis l’an dernier de renoncer au charbon russe et de réduire à terme sa dépendance énergétique vis-à-vis de Moscou. Cet engagement n’a été que partiellement tenu l’an dernier: ses importations de charbon russe ont chuté de 41,3% en volume sur un an et celles de pétrole de 56,4%. Mais celles de gaz naturel liquéfié (GNL) ont augmenté de 4,6%, d’après des chiffres préliminaires du commerce extérieur publiés jeudi.
Tokyo participe aussi au plafonnement des prix du pétrole russe instauré en décembre par le G7, l’Union européenne et l’Australie. Mais le Japon a fait exempter de ce mécanisme le pétrole qu’il importe de Sakhaline-2, un projet pétrogazier au large de cette île de l’Extrême-Orient russe. Les majors pétrolières anglo-saxonnes ExxonMobil et Shell ont renoncé l’an dernier à leurs parts dans Sakhaline-1 et 2 et ces projets sont passés sous le contrôle étroit de l’Etat russe.
Tokyo a cependant obtenu le maintien de ses parts existantes (30% de Sakhaline-1 via un consortium public-privé et 22,5% de Sakhaline-2 via les entreprises privées Mitsubishi Corp et Mitsui & Co). Ces projets ont l’avantage d’être “très proches” du Japon, à la différence de ses autres sources d’approvisionnements, rappelle à l’AFP Hiroshi Hashimoto de l’Institut japonais de l’économie de l’énergie (IEEJ).
Une sécurité énergétique fragile
Le Japon, dont l’autosuffisance énergétique (13,4%) est de loin la plus faible du G7, mise depuis longtemps sur Sakhaline pour diversifier ses approvisionnements, sachant que plus de 90% de ses importations de pétrole proviennent du Moyen-Orient. Ses livraisons de brut pourraient ainsi être menacées “en cas de crise au Moyen-Orient ou en mer de Chine méridionale, par où transite la plupart de l’énergie à destination du Japon”, explique James D. Brown, professeur du campus japonais de l’université américaine Temple. Cette sécurité énergétique précaire est “enracinée dans l’esprit du gouvernement nippon” depuis les années 1970 et le premier choc pétrolier, rappelle M. Brown.
Sakhaline-2 est encore plus stratégique pour le Japon car ce projet fournit quasiment la totalité de ses importations de GNL russe (9,5% du volume total de GNL importé par le pays en 2022). Les prix du GNL ont explosé avec la guerre en Ukraine et la ruée de l’Europe sur ce segment. Il aurait donc été impossible pour le Japon de remplacer facilement et à bon prix ses contrats de long terme à Sakhaline-2, selon Yuriy Humber, fondateur de la plateforme d’analyses Japan NRG. Selon lui, sanctionner le pétrole mais pas le gaz naturel de ce projet n’aurait pas non plus eu de sens car l’extraction de ces deux ressources y est simultanée. Le Japon a aussi souligné le risque de voir la Chine le remplacer à Sakhaline s’il abandonnait ses parts.
Morale vs pragmatisme
Certains experts doutent toutefois que Tokyo ait fait le bon choix. Sakhaline est “une source de vulnérabilité” pour le Japon car cela l’expose à d’éventuelles représailles énergétiques de Moscou, estime M. Brown. “Il est bien sûr important de ne pas trop dépendre” de Sakhaline, admet M. Hashimoto. “Le Japon doit se préparer à des événements inamicaux en diversifiant davantage ses approvisionnements”.
Des firmes nippones ont récemment conclu de nouveaux contrats GNL de long terme avec les Etats-Unis et Oman. Mais dans ce genre d’accords, il faut généralement attendre plusieurs années avant d’être livré. Rester à Sakhaline “porte atteinte à la diplomatie morale et fondée sur les valeurs que (le Japon) s’est engagé à renforcer au cours de sa présidence” du G7, critique Wrenn Yennie Lindgren, une experte des instituts norvégien et suédois des affaires internationales.
Cependant pour M. Humber, “on ne peut se permettre d’agir moralement que si l’on a une solution pragmatique” derrière. Ce dont le Japon est dépourvu dans l’immédiat. Et ses alliés occidentaux seraient mal placés pour lui donner des leçons, des exceptions dans les sanctions pétrolières contre la Russie ayant aussi été aménagées pour certains pays du Sud-Est de l’Union européenne.
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