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Relever les impôts? Nous ne sommes pas les Etats-Unis

Le système fiscal américain est bien plus doux que le nôtre pour les hauts revenus, et il le restera.

Les initiatives fiscales de Joe Biden alimentent le débat. Si les Américains rehaussent l’impôt des sociétés et l’impôt des très riches pour financer des plans de relance majeurs, pourquoi ne pas le faire chez nous? Attention à ce raisonnement, dangereux pour diverses raisons.

D’abord, le système fiscal américain est bien plus doux que le nôtre pour les hauts revenus, et il le restera. La réforme de Joe Biden vise en effet notamment à faire passer de 37 à 39,6% le taux marginal des revenus de plus de 400.000 dollars. Or, chez nous, ce taux marginal est déjà de plus de 50% (si l’on tient compte des additionnels communaux) pour des revenus 10 fois inférieurs. L’OCDE a d’ailleurs encore rappelé ces derniers jours que le Belge était le plus taxé des travailleurs des pays développés.

Ensuite, parce que lorsque l’on parle fiscalité, on a souvent tendance à oublier son autre facette: la redistribution de l’argent récolté dans les soins de santé, l’assurance chômage, les infrastructures, les retraites, etc. Celle-ci est bien moins importante et équitable aux Etats-Unis. Et c’est pour cette raison que Joe Biden veut combler le retard du pays.

Enfin, et c’est sans doute le plus important, il y a une énorme différence d’adhésion à l’impôt entre Belges et Américains. Aux Etats-Unis, on entend des milliardaires comme Jeff Bezos ou Warren Buffett déclarer qu’ils devraient payer davantage d’impôts. Personne ne le dit chez nous, quel que soit son revenu. Et ce tout simplement parce que le citoyen n’a pas confiance dans la gestion des pouvoirs publics. “On parle de rehausser les impôts des citoyens américains. Mais outre- Atlantique, il y a une cohésion nationale et cette idée passe puisque la hausse ne serait que temporaire, commente un fiscaliste. Chez nous – et singulièrement en Belgique et dans les pays du sud – la défiance est davantage de mise vis-à-vis des autorités.”

Le système fiscal américain est bien plus doux que le nôtre pour les hauts revenus, et il le restera.

Et puis, les Etats-Unis ont vu leur taux d’imposition évoluer à la hausse mais aussi à la baisse. Or, cela n’a pratiquement jamais été le cas en Belgique depuis des décennies. Pour diverses raisons: coût de la fédéralisation, inflation du nombre de mandataires publics, gabegies, etc.

Ajoutons que, psychologiquement, il est difficile pour un contribuable, quel qu’il soit, d’accepter de céder plus de la moitié de ses revenus à l’Etat. Certains rétorqueront que dans l’après-Guerre, on a connu dans beaucoup de pays des taux marginaux qui allaient jusqu’à 80%, voire au-delà. Mais ces taux très élevés s’accompagnaient de fraudes massives (dans les années 1970, entre 60 et 80% des patrimoines imposables échappaient à l’oeil du fisc! ), rendues possibles par le secret bancaire et la relative facilité de déplacer son patrimoine à l’étranger.

Aujourd’hui, cette mobilité patrimoniale est plus difficile en raison de la multiplication des échanges d’informations entre administrations fiscales. Certes. Mais cette évolution s’accompagne d’une autre: il est bien plus facile pour une série de métiers d’aller télétravailler à l’étranger. La mobilité des capitaux pourrait céder la place à celle des contribuables.

Si, pour des raisons budgétaires que l’on ne peut nier, un impôt sur la fortune devait se mettre en place, il faudrait dès lors qu’il s’accompagne impérativement de trois conditions. D’abord, cet impôt devrait être décidé au niveau international, afin d’éviter de pousser certains à se délocaliser. Ensuite, il ne devrait être qu’exceptionnel, pour ne pas déclencher une nouvelle vague de fraude. Enfin, il devrait s’accompagner d’une réelle promesse de l’Etat de mieux gérer les deniers publics afin de regagner cette adhésion perdue à l’impôt.

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