Régularisation : le fisc peut-il taxer votre “train de vie” ?

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De quelle latitude jouit le fisc dans le cadre d’une régularisation fiscale. Peut-il vous taxer sur un revenu plus important que le montant déclaré ? Dans quelle mesure risquez-vous de subir une “taxation indiciaire” ?

Souvent, la “régularisation fiscale” concerne l’épargne étrangère qui n’a pas été déclarée au fisc belge. Il est possible d’officialiser ces revenus étrangers en payant l’impôt éludé, majoré d’une pénalité. Dans le cas que nous allons évoquer ici, ce sont des revenus belges qui ont été soustraits à l’administration.

Comment le fisc peut-il en avoir connaissance ? Nous nous pencherons sur une situation relativement fréquente dans la pratique : celle où le contribuable déclare un “revenu imposable insuffisant”. Le phénomène n’est pas l’apanage des indépendants ; il peut concerner les autres contribuables aussi.

Pour toute clarté, on entend par “revenu imposable” le revenu brut diminué des cotisations sociales et des charges professionnelles. Nous nous demanderons quelles peuvent être les conséquences d’un revenu déclaré insuffisant, et quelle procédure le fisc doit appliquer pour compléter votre taxation. Ces conséquences sont les mêmes pour les indépendants, les chefs d’entreprise, les employés, les ouvriers, les pensionnés et les bénéficiaires d’un revenu de remplacement (par exemple, une allocation de maladie ou de chômage).

Que fait le fisc exactement ?

Dans la législation fiscale, la taxation indiciaire fait partie des moyens de contrôle à la disposition du fisc. Mais pour y recourir, les agents de l’Etat doivent respecter certaines règles.

Tout d’abord, c’est au fisc qu’il appartient de prouver l’existence d’un déficit indiciaire. Lors de la vérification de la déclaration, le contrôleur demandera à Pierre (lire l’encadré) combien il dépense en alimentation, habillement, loisirs, chauffage,… Pierre n’est pas tenu d’aider le fisc à calculer son déficit indiciaire : il peut donc rester dans le vague. S’il donne des réponses précises, le fisc pourra s’en servir pour fixer le déficit. Prudence, donc…

Le fisc va s’efforcer de calculer le trop-peu à partir des dépenses et des revenus dont il a connaissance. Plus précisément, il va dresser le tableau des dépenses de Pierre et de sa famille. Ce n’est pas simple, car il ne peut procéder au hasard : il doit retenir des montants précis, coïncidant avec la situation de Pierre.

Les sommes ainsi fixées seront ensuite confrontées au revenu déclaré. Les revenus de la compagne de Pierre (mariée ou cohabitante légale) seront également pris en compte. En principe, ce ne sera pas le cas s’il s’agit d’une cohabitation de fait, sauf si Pierre parvient à prouver que l’intéressée participe aux dépenses, lui a fait un don ou lui a prêté de l’argent.

Utilisation effective

Reprenons l’exemple de Pierre. Pour résorber son déficit indiciaire, notre homme doit commencer par communiquer les revenus non imposables dont le fisc n’avait pas connaissance. Mais ce n’est pas tout : il doit aussi prouver qu’il a effectivement utilisé ces revenus pour son entretien. Prenez la donation, par exemple. Il faut d’abord que Pierre établisse son existence. C’est facile : il y a eu acte notarié. Le document précise clairement combien Pierre a reçu, et de qui. Ensuite, Pierre prouvera qu’il a “vécu” de cet argent, par exemple en produisant les extraits du compte sur lequel il a été versé avant de faire l’objet de retraits.

Voici un autre exemple. En 2010, vous avez acheté une maison. Or, constate le fisc, jamais vous n’auriez pu la payer avec vos revenus officiels. Même compte tenu du crédit bancaire, il reste un déficit, que vous devez combler. Vous pouvez montrer que vous vous êtes acquitté du prix avec votre propre épargne, sur laquelle tous les impôts ont été retenus – de l’argent placé sur un livret, par exemple. Présentez au fisc deux extraits : le premier affichant le solde au début 2010, le deuxième celui de la fin 2010, sur lequel on pourra voir que vous avez prélevé la somme nécessaire au paiement de la maison.

Notez qu’il existe des décisions judiciaires en vertu desquelles le contribuable est seulement tenu d’établir qu’il disposait des moyens nécessaires pour faire face aux dépenses constatées par le fisc ; quant à savoir si les fonds ont effectivement été affectés à ces dépenses, ce n’est pas déterminant, estime un certain courant de la jurisprudence. Voilà qui défie un peu le bon sens. En présence d’un déficit de 50.000 euros, par exemple, comment prétendre que vous avez “vécu” d’un portefeuille de titres qui n’a pas bougé ?

Autre aspect à ne pas négliger : certaines “preuves” risquent de nuire à des tiers. Si vous essayez d’expliquer un déficit par l’existence d’une somme importante que vous auriez reçue d’un ami, alors que celui-ci est lui-même sans ressources ou presque, vous allez lui causer des ennuis. Le fisc lui demandera où il est allé chercher l’argent qu’il est censé vous avoir prêté.

Conclusion

Faut-il craindre une éventuelle taxation indiciaire ? Tout dépend. Certains frais attirent immédiatement l’attention du fisc. Ils sont bien connus : construction ou transformation d’une maison, achat d’un bien immobilier ou d’une voiture chère,… Devant ces acquisitions, le contrôleur peut demander des renseignements à d’autres administrations, par exemple au receveur des droits d’enregistrement s’il s’agit de l’achat d’une maison, ou à la DIV (Direction de l’immatriculation des véhicules) pour celui d’une voiture.

D’autres frais moins “connus” – voyages de luxe, achat d’oeuvres d’art ou d’antiquités – posent moins de problèmes. Il est arrivé, pourtant, que des contrôleurs fiscaux interrogent des agences de voyages à propos de périples lointains et coûteux de certains contribuables.

Bref, sauf à prouver l’existence d’autres recettes non imposables, vous avez tout intérêt à déclarer un revenu “normal”, autrement dit un revenu qui correspond plus ou moins à votre niveau de vie. Ce principe ne s’applique pas seulement aux indépendants et aux chefs d’entreprise : il est valable pour tous les salariés et les bénéficiaires d’un revenu de remplacement, même si ces personnes ne disposent pas de la même marge pour “jouer” avec leur déclaration fiscale.

Johan Adriaens, MoneyTalk

L’exemple de Pierre

Pierre, bon vivant âgé de 55 ans, mène grand train. Avec sa compagne, il habite une belle villa, qu’il a équipée d’une piscine. Il conduit une Mercedes haut de gamme et se rend plusieurs fois par an dans des paradis exotiques. Ses hobbies ne sont pas ceux de l’homme de la rue : cheval, golf,… Pourtant, sur sa déclaration fiscale officielle, on trouve “seulement” 19.000 euros de revenu imposable. De quoi éveiller la suspicion du contrôleur… Où Pierre déniche-t-il l’argent pour entretenir ce train de vie ? Il dépense beaucoup plus que ce qu’il gagne officiellement. Et le fisc ne trouve aucune trace d’autres sources de revenus.

Le contrôleur va prendre sa calculette pour tenter de déterminer combien il “manque” – dans le jargon du métier, on parle de “déficit indiciaire”, c’est-à-dire le déficit révélé par les “signes et indices”, en l’occurrence le luxe dont Pierre s’entoure, un luxe peu compatible avec ses revenus déclarés. L’administration entreprend donc de taxer Pierre sur un revenu plus élevé que celui de sa déclaration.

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