“Redémarrer Doel 3 et Tihange 2 est dangereux”

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Les Verts douchent l’enthousiasme d’Electrabel et veulent des réponses à leurs questions avant la remise en service des deux réacteurs nucléaires.

C’est un fameux pavé dans la mare que viennent de jeter les Verts, les députés écologistes européens. Sur la base d’une étude commandée par leurs soins auprès d’Ilse Tweer, une experte scientifique en matériaux, ils estiment tout simplement que redémarrer Doel 3 et Tihange 2 peut être considéré comme dangereux. “Or, avec le nucléaire, on ne peut se permettre le moindre risque”, tranche Kristof Calvo, député fédéral et “Monsieur Energie” de Groen.

Pour les distraits, un brin de contexte. L’été 2012 a été celui des tuiles, pour la filière nucléaire belge. Quelque 8.000 défauts, des microalvéoles, ont été découverts dans l’acier de la cuve du réacteur anversois Doel 3. Suivis par 2.000 autres dans la cuve de son homologue hutois, Tihange 2. Branle-bas de combat immédiat, sous la forme d’un défilé d’experts au chevet des malades, bien évidemment interdits de redémarrage. Une tuile, on vous disait : le nucléaire produit bon an, mal an, quelque 55 % de l’électricité du plat pays. C’est évidemment chez GDF Suez que l’on affiche le plus grise mine : un réacteur à l’arrêt représente un “trou” mensuel dans le résultat opérationnel de la maison-mère d’Electrabel d’environ 23 millions d’euros (lire le Trends-Tendances de ce jeudi 10 janvier) ! Le dénouement de la saga semble proche : d’ici la mi-janvier, le gendarme du secteur, l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN), doit remettre son avis au gouvernement. Redémarre, redémarre pas, voilà une question à plusieurs milliards d’euros.

“La documentation sur la fabrication des cuves est incomplète, hallucine Rebecca Harms, co-présidente du Groupe des Verts/ALE au sein de l’hémicycle européen. De plus, le fabricant des cuves incriminées, aujourd’hui en faillite, n’a visiblement pas appliqué à son acier de traitement de déshydrogénation, ce que les autorités de contrôle ne savaient pas jusqu’il y a peu.” Or la présence d’hydrogène dans le métal constitue un danger potentiel, glisse Ilse Tweer.

Les arguments d’Electrabel “tout sauf convaincants”

En fait, les Verts ne digèrent pas les principaux arguments avancés par l’exploitant, Electrabel, afin d’assurer que le redémarrage des deux réacteurs peut s’effectuer en toute sécurité. “Affirmer que chaque défaut, pris individuellement, ne remet pas en cause l’intégrité de la cuve est tout sauf suffisant, reprend Rebecca Harms. Des interactions entre ces milliers d’anomalies et l’agrandissement de celles-ci ne peuvent être exclus.”

Plus gênant encore, pour les Verts. L’inspection finale effectuée après la fabrication de la cuve n’aurait pas détecté ces fameuses microalvéoles. “Elles vont jusqu’à 24 millimètres de largeur et 10 de profondeur ! Et elles n’auraient pas été découvertes en trente ans d’exploitation ! Voilà qui est tout sauf convaincant. Comment Electrabel peut-elle exclure que ces défauts aient évolué depuis le début des années 80 ?” D’autant plus que prélever un échantillon de la cuve afin de le soumettre à des tests n’est pas possible, à moins d’endommager le réacteur. Les expériences menées l’ont donc été sur des matériaux n’ayant pas subi trente ans de radiations. “La cuve constitue une sorte de dernier rempart, poursuit Rebecca Harms. En soi, ces fissures ne posent pas forcément de problème majeur en cas de fonctionnement normal de la centrale. Mais que peut-il se passer lors d’un refroidissement d’urgence, lorsque de l’eau très froide est projetée sur des parois très chaudes ?”

Avant toute remise en service, les écologistes exigent donc des réponses concrètes et transparentes aux questions que soulève l’analyse d’Ilse Tweer. Et il y en a : son rapport se termine sur un catalogue d’une vingtaine de points d’interrogation. “C’est une question de sécurité, mais aussi de bonne gouvernance, martèle Kristof Calvo. Une défaillance des cuves aurait des conséquences catastrophiques, surtout dans ce contexte de forte densité de population. Doel remporte aisément la médaille d’or : il n’existe pas de centrale en Europe ayant plus de gens dans ses environs. Je n’en reviens d’ailleurs pas : le Parlement belge n’a pas encore mené la moindre réunion technique sur le sujet. Ahurissant !”

Benoît Mathieu

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