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Quand le “soft power” devient hard

On parle désormais de “soft power” non seulement pour des Etats mais aussi pour les grandes entreprises et les ONG, dont le pouvoir va donc désormais jusqu’à obliger une entreprise à changer de stratégie.

Voici quelques jours, un groupe d’ONG environnementales a remporté une victoire qui fera date contre le géant pétrolier Shell. La justice néerlandaise avait été saisie par ce collectif qui estimait que Shell n’en faisait pas assez pour le climat et mettait en danger les objectifs décidés en 2015 lors de la Cop 21. Les juges néerlandais ont suivi cette position et viennent d’imposer à l’entreprise de réduire ses émissions de CO2 de 45% d’ici fin 2030 alors que Shell ne tablait à cette date que sur une baisse de 20%.

A peu près au même moment, une autre major pétrolière, Exxon Mobil, a senti elle aussi le sol se dérober sous ses pieds. Suite aux actions d’Engine N°1, un petit fonds activiste oeuvrant lui aussi pour le climat, le pétrolier a vu entrer au sein de son conseil deux administrateurs “verts”. Engine N°1, un modeste actionnaire d’Exxon, avait peu auparavant rédigé un document dans lequel il expliquait que le mépris du management d’Exxon pour les objectifs de l’accord de Paris mettait en danger l’entreprise elle-même. Plusieurs grands actionnaires ont été convaincus et ont donc soutenu ces deux nominations au board.

On parle désormais de “soft power” non seulement pour des Etats mais aussi pour les grandes entreprises et les ONG, dont le pouvoir va donc désormais jusqu’à obliger une entreprise à changer de stratégie.

En Allemagne, on prépare une proposition de loi qui devrait imposer à ses multinationales de contrôler leurs sous-traitants et fournisseurs afin de s’assurer que leurs chaînes d’approvisionnement n’emploient personne dont les droits humains seraient bafoués. Il est plus spécialement question de ne pas profiter du travail forcé par les autorités chinoises de la minorité ouïghoure.

Et puis, en ce début de semaine, on pouvait lire dans De Standaard qu’une ONG avait lancé une procédure en justice contre CMB parce que l’armateur aurait vendu un vraquier en fin de vie à un intermédiaire pour le faire démonter au Bangladesh par des ouvriers vivant et oeuvrant dans des conditions infernales.

Tous ces événements confirment une chose: la montée en puissance de la soft law (ces normes qui ne sont pas encore des lois et qui ne sont pas nécessairement universelles) et du soft power (le pouvoir d’influence) des ONG et des organisations citoyennes. Car on parle désormais de soft power non seulement pour des Etats mais aussi pour les grandes entreprises (celui de Google est considérable) et pour les ONG, dont le pouvoir va donc désormais jusqu’à obliger une entreprise à changer de stratégie ou à se conformer à un accord environnemental.

On s’en réjouira puisque c’est sans doute par ce moyen que l’on pourra disposer dans nos pays, demain ou après-demain, d’un système de règles répondant à la globalisation de l’économie et couvrant des thématiques aussi larges que la protection de l’environnement, le respect des droits humains ou la fiscalité. Qui niera, par exemple, l’impact des Panama Papers dans la suppression progressive des paradis fiscaux?

Mais on posera aussi un bémol. Si les exemples qui précèdent montrent qu’en général, ces pressions font bouger les choses dans la bonne direction, il y a un point qui mérite toute notre attention: en bonne démocratie, ce sont les parlements élus qui font les lois. Autant il est normal de demander des comptes “sociaux” aux entreprises multinationales, autant il conviendra aussi d’en demander à ces ONG qui ne représentent pas nécessairement la majorité des citoyens. Leurs actions ne doivent pas se réduire à des “coups” médiatiques. Elles devront donc présenter clairement et publiquement leurs stratégies, les enjeux sur lesquelles elles veulent peser et expliquer l’impact socioéconomique que leurs actions pourraient avoir. Ce qui nous permettra de juger de leurs actions.

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