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Quand Biden nomme une femme noire…

Lire la chronique de Thierry Afschrift Professeur ordinaire à l'Université libre de Bruxelles.

Pour la première fois depuis son élection,Joe Biden a la possibilité de nommer un(e) juge à la Cour suprême. Il en est ainsi parce que Stephen Breyer, 83 ans, a décidé de démissionner.

Ce n’est pas la circonstance idéale pour Biden puisque son problème principal est que la Cour suprême, après trois nominations réalisées par Donald Trump, est composée actuellement de six juges réputés “conservateurs”, contre trois juges réputés de gauche. Or, Stephen Breyer, nommé par Bill Clinton il y a 27 ans, fait partie de la minorité dite “progressiste” et son remplacement n’entraînera donc aucun changement sur ce point: cela restera six à trois.

En voulant nommer “une femme noire” comme juge, Biden discrimine là où son parti se présente en champion de la lutte pour l’égalité

Mais Joe Bidena tout de suite annoncé, avant même que des candidats se manifestent et d’ailleurs avant même qu’il soit lui-même élu, qu’il désignerait “une femme noire”. On admettra que la désignation d’une femme permettrait de se rapprocher de l’équilibre dans une juridiction qui, avant la démission de Breyer, comportait six hommes et trois femmes. On en arriverait ainsi à cinq contre quatre, soit presque une parité impossible à atteindre dans une assemblée de neuf personnes.

En revanche, la désignation d’une personne de race noire, dans une juridiction qui en compte déjà une, le juge Clarence Thomas nommé il y a 30 ans (et à ce titre doyen de la Cour) par un président … républicain, entraînera une légère surreprésentation (deux sur neuf, soit 22%) des noirs, qui ne représentent que 12% de la population.

Ce serait néanmoins fort bien si les juges étaient choisis en raison de leurs compétences. Mais on sait que, comme pour la Cour constitutionnelle belge, les membres de la Cour suprême sont d’abord nommés en fonction de leur “carte de parti”. Avec néanmoins la différence qu’aux Etats-Unis, ils sont tous des juristes éminents, alors qu’on est très loin d’avoir des exigences semblables en Belgique pour les membres de la Cour choisis par le pouvoir législatif…

Mais ce défaut du système américain est assumé: on présume que la Cour suprême évoluera au rythme de l’alternance des présidents. En revanche, il faut remarquer qu’en annonçant d’emblée qu’il désignera “une femme noire”, Joe Biden élimine définitivement tous les candidats, même démocrates, qui ne répondent pas à ce choix arbitraire. Non seulement aucun homme blanc mais même aucune femme blanche ou aucun homme noir n’a la moindre chance d’être désigné juge à la Cour suprême des Etats-Unis, la juridiction la plus importante du monde, qui veille notamment à sanctionner les dispositions légales… discriminatoires!

On pourrait bien sûr se réjouir que pour la première fois, une femme noire soit désignée, après que ses mérites eurent été comparés à ceux d’autres candidats, membres d’autres communautés. Et ce d’autant plus que dans l’histoire de la Cour suprême, aucune femme noire n’a jamais été nommée à ce poste. Mais en formulant un choix qui est clairement discriminatoire, puisque les conditions ainsi requises de la candidate n’ont aucun rapport avec ses capacités pour exercer le poste, Biden commet une triple erreur. Il discrimine là où son parti se présente en champion de la lutte pour l’égalité. Il désigne quelqu’un qui sera éternellement affaibli par un doute, peut-être injustifié, sur son idonéité puisqu’elle n’aura pu se mensurer à d’autres candidats que ceux issus de sa minorité. Et le parti démocrate perd peut-être la possibilité de nommer “le ou la meilleure” pour défendre ses idées au sein de la Cour.

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