Carl-Alexandre Robyn
Poutine est-il en train de gagner la guerre économique?
Poutine est en train de gagner la guerre économique. Goldman Sachs annonce que l’activité en Russie décolle. Selon les données collectées par cette banque américaine, l’activité russe s’est montrée plus dynamique que celle des Etats-Unis ces dernières semaines.
Un mois après le début de l’incursion russe en Ukraine, moult “experts” et “spécialistes”, observant les longues colonnes de chars à l’arrêt sur les routes de campagne ukrainiennes avaient décrété que l’armée russe avait déjà perdu la bataille et que face à la résistance héroïque des troupes ukrainiennes, elle était même en déconfiture probable. Ils se sont trompés.
Ensuite, des officiels européens avaient fanfaronné que le blocus de la Russie et son exclusion du système international de transactions bancaires (SWIFT) allaient priver le régime de Poutine de tous ses revenus d’exportations et assécher le pays de ses précieuses devises étrangères et ainsi provoquer l’effondrement de l’économie russe. “(…) L’UE est en train de découvrir sa puissance.” vantait, le 1er mars 2022, le ministre français de l’économie, Bruno Le Maire. Là encore ils se sont illusionnés.
En réalité, Poutine est en train de gagner la guerre économique. Cela paraît incroyable mais c’est vrai, l’économie russe redémarre plein gaz, malgré les sanctions. Le Fonds monétaire international (FMI) a revu cet été à la hausse ses prévisions concernant le PIB russe. Et Goldman Sachs annonce que l’activité dans le pays décolle. Selon les données collectées par cette banque américaine, l’activité russe s’est montrée plus dynamique que celle des Etats-Unis ces dernières semaines. Une conséquence de la hausse de la rente gazière, non concernée par les sanctions. D’ailleurs, les sanctions ne font même plus mal aux Russes.
Selon le FMI, “La contraction de l’économie russe au 2e trimestre a été moindre que prévu” alors que “les effets de la guerre sur les pays européens ont été plus négatifs qu’anticipé” (1). Bien que réduites (uniquement en Europe), les exportations russes d’énergie rapportent davantage à Moscou en raison des prix qui ont bondi. Depuis l’invasion de l’Ukraine, la Russie a gagné 158 milliards d’euros grâce à ses exportations d’hydrocarbures.
Le financement de la “machine de guerre russe” n’a donc pas souffert, contrairement au pouvoir d’achat des Européens, percuté par la décision irréfléchie de leurs dirigeants. “La politique commune de l’énergie dont ces sanctions devaient être le couronnement débouche ainsi sur un désastre sans partage. En particulier pour les catégories populaires, dont le revenu disponible affleure déjà à peine la ligne de flottaison” (2).
Dès cet automne ou cet hiver, en raison de l’explosion des prix, des coupures d’énergie et des rationnements, nous basculerons dans l’abîme et la tiers-mondisation : nos PME (soit environ 99 % de notre tissu économique) seront au bord de l’asphyxie et, selon La Libre Eco du 05/09/2022, citant Maxime Prévot et l’économiste et académicien Bruno Colmant : 40 % des citoyens belges seront bientôt sous le seuil de pauvreté.
Récemment, de fins “stratèges” européens ont vanté que l’économie russe, notamment son industrie, même si c’est encore peu visible, est quand même en train de s’effondrer, étant donné que les Occidentaux ne lui fournissent plus les composants électroniques et les technologies nécessaires à son développement.
Une fois de plus, ils se méprennent. Et il va falloir attendre que des sources d’informations anglo-saxonnes, qui elles au moins ont l’humilité de ne pas afficher leur parti pris comme un gage de supériorité morale (comme le font outrancièrement nos médias francophones depuis maintenant sept mois) nous mettent les points sur les “i” en révélant à nos opinions publiques ce que savent déjà parfaitement bien nos hauts fonctionnaires européens, de même que les très influençables dirigeants de divers gouvernements des Vingt-sept (Le président Volodymyr Zelensky est devenu, de facto, le rédacteur en chef des médias européens ; sa cause devient une religion civile ; sa mise en cause, un blasphème (3)), à savoir que les pièces détachées et les technologies sensibles dont l’industrie russe a terriblement besoin, empruntent elles aussi de nouveaux circuits. Comme pour le gaz et le pétrole, à partir de nouvelles bases, grâce à de nouveaux intermédiaires qui changent les “étiquettes” et “blanchissent” tout ce qui est nécessaire à l’économie russe, en provenance des Européens.
La Commission européenne (CE), mais aussi les autres instances ainsi que la plupart des gouvernements des Vingt-sept, feignent de ne pas voir cela. Nos gouvernants, en échos bien ordonnés de la CE, et aidés par une presse insuffisamment professionnelle, parce que bien trop partisane (nous avons bien compris que la neutralité de la presse entre l’agresseur et l’agressé n’existe plus, depuis sept mois, puisque toute information susceptible de freiner la mobilisation en faveur de l’Ukraine est systématiquement écartée, interdite de publication, parce qu’elle se trouve aussitôt suspectée au motif qu’elle ferait “le jeu de Poutine”), tentent par tous les moyens de propagande de nous faire avaler la couleuvre du “prix de la liberté et de nos valeurs” (formulation très prisée des officiels européens et nationaux, notamment français).
En réalité il s’agit d’une jolie mascarade sémantique parce que la vraie couleuvre qu’on veut nous faire ingurgiter est celle du colossal et funeste retour de bâton (inflation, récession, dépression, délitement de nos économies, éclatement de nos finances publiques, explosion de la pauvreté, agitation sociale, étiolement de nos démocraties…) provoqué par d’inopportunes et inefficaces sanctions économiques à l’encontre de la Russie.
Sanctions prises, rappelons-le, sans débat démocratique et en pleine extra-légalité, au nom d’un droit moral d’ingérence qui n’est ni mentionné dans aucun texte de loi européen, ni reconnu par le droit international, dont nous nous prévalons tant.
Les hauts fonctionnaires européens ont agi, par excès de vanité idéologique, sans pragmatisme, sans anticipation, sans préparation. Et ce qui est encore plus pénible, c’est que nos procédures démocratiques ont failli : le Parlement européen et les parlements nationaux ne réfléchissent plus à l’intérêt de leurs propres citoyens tant ils sont subjugués par les vidéos quotidiennes du président Zelensky qui donnent le ton, ses thèmes et anathèmes sont débattus à longueur de journée par nos parlementaires.
Des livraisons d’armes occidentales traînent ? Nos parlementaires relaient les doléances de Kiev auprès de notre Exécutif et de nos médias. L’intérêt des populations de l’UE pour le conflit faiblit ? Une parlementaire ukrainienne vient s’en désoler dans nos divers parlements et on invite aussi quelques journalistes, ce qui permet à la presse d’amplifier son appel : “Elle supplie les médias occidentaux de ne pas oublier la guerre. Ils ont autant de pouvoir que les grands dirigeants, et si l’information se tarit Moscou va en profiter.”
La nouvelle routine de nos parlementaires et de nos journalistes : celle d’une chambre d’écho médiatique qui amplifie les informations favorables au gouvernement ukrainien avec autant de détermination qu’elle disqualifie tout ce qui pourrait le contredire. Comme par exemple, le dernier rapport d’Amnesty International (début août 2022), “Les tactiques de combat ukrainiennes mettent en danger la population civile”.
Carl-Alexandre Robyn, ingénieur-conseil financier (Cabinet d’expertise VALORO)
- “Perspectives de l’économie mondiale”, Fonds Monétaire International, Washington, DC, juillet 2022.
- Article de Serge Halimi “Jusqu’à quand, jusqu’où ?”paru dans “Le Monde diplomatique”, de septembre 2022.
- Inspiré du brillantissime article signé par Serge Halimi et Pierre Rimbert, “Un voluptueux bourrage de crâne”, paru dans “Le Monde diplomatique de septembre 2022.
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