Pour l’ambassadeur de Chine en Belgique, son “pays ne peut pas être une menace pour l’Europe”

© CHRISTOPHE KETELS (BELGAIMAGE)

Dans l’entretien qu’il nous a accordé, l’ambassadeur de Chine à Bruxelles se veut rassurant : son pays n’est pas une menace, c’est un partenaire, dit-il. Et il désirerait une meilleure coordination des informations à destination des investisseurs chinois intéressés par la Belgique.

CAO Zhongming est depuis quelques mois ambassadeur de Chine en Belgique. Alors que certains craignent une mainmise de plus en plus grande du géant asiatique sur l’économie européenne, en cette période d’échanges diplomatiques intense entre la Chine et l’Union européenne, et au moment où le pays négocie avec les Etats-Unis afin de tenter d’apaiser leurs tensions commerciales, il a accepté de nous livrer son point de vue sur ces sujets sensibles.

TRENDS-TENDANCES. Nous vivons encore, au niveau mondial, une période de tensions commerciales. Selon vous, ces tensions pourraient-elles s’apaiser bientôt ?

CAO ZHONGMING. Des négociations sont en train d’être menées entre les Etats-Unis et la Chine. A Pékin, les représentants des gouvernements chinois et américains se sont à nouveau rencontrés voici quelques jours ( ils ont terminé un round de négociations le 29 mars, Ndlr). Ces négociations ont débouché sur de nouvelles avancées. Nous espérons que les Etats-Unis adopteront une attitude équitable et raisonnable dans leurs relations avec la Chine. Et nous sommes déterminés, de notre côté, à adopter une attitude de coopération et d’ouverture. Quant à savoir si ces tensions pourraient être résolues dans un court délai, c’est difficile à dire. Mais nous espérons vraiment aboutir à de bons résultats. C’est dans l’intérêt des deux parties. Actuellement, les tensions nuisent non seulement à la Chine mais aussi aux Etats-Unis.

Les questions qui inquiètent l’Union européenne peuvent être réglées en négociant. Cela ne constitue pas un problème pour nous.

Et les relations entre la Chine et l’Union européenne ?

Je pense que, globalement, elles sont bonnes, même si nous sommes en train de négocier des accords sur les investissements ( la Chine et l’Europe ont conclu récemment un accord afin de renforcer les règles internationales sur les subventions industrielles, l’Union européenne critiquant notamment le niveau d’aide d’Etat dont bénéficient certaines entreprises chinoises, Ndlr). Nous voulons promouvoir ces négociations sur la base du principe gagnant-gagnant.

La Commission européenne a qualifié récemment la Chine de ” rival systémique “. C’est une affirmation un peu dure, non ?

Je pense que l’Europe nourrit trop d’inquiétudes à l’égard de la Chine. La coopération reste le courant principal entre les deux parties, et c’est dans leur intérêt. Les questions qui inquiètent l’Union européenne peuvent être réglées en négociant. Cela ne constitue pas un problème pour nous. Quant au terme systémique, il traduit essentiellement le fait que l’Europe considère la Chine comme la deuxième économie mondiale. Notre relation avec l’Europe est vaste et complète. Notre coopération est systémique comme un partenaire global mais pas comme un rival.

En Europe comme aux Etats-Unis, certains critiquent la fermeture du marché chinois. Pensez-vous que cela soit justifié et, à l’inverse, pensez-vous que les marchés européens sont trop fermés aux entreprises chinoises ?

C’est une question intéressante. Comment voit-on la Chine ? Depuis 1978, le pays a parcouru 40 ans de réformes et d’ouverture sur l’extérieur. En 40 ans, la Chine a instauré l’économie de marché, un processus qui a pris 200 ans aux pays européens. Nous sommes encore un pays en voie de développement, et il faut donc considérer notre économie dans ce contexte historique. Aujourd’hui, sa maturité et sa solidité sont déjà bonnes, même si la Chine a encore beaucoup à apprendre des pays européens en cette matière. Mais nous avons une forte détermination à développer notre système d’économie de marché socialiste. Ce processus n’est pas terminé. La deuxième session de la 13e Assemblée populaire nationale de Chine a adopté récemment une nouvelle loi sur les investissements étrangers dans notre pays. C’est une étape très importante pour protéger et favoriser ces investissements.

Quant aux entreprises chinoises, à ce que je sache, globalement, elles ont exprimé leur satisfaction à l’égard du marché européen. Sa maturité, la solidité de son cadre juridique mais aussi son accessibilité sont des atouts. Nos entreprises aimeraient donc approfondir leur coopération avec l’Europe. Bien sûr, nous souhaitons que les entreprises européennes, et les autorités européennes, encouragent les investissements chinois dans leurs pays. Cela facilite le développement de leur économie nationale et cela crée de nouveaux emplois.

Avec notre journaliste à la chancellerie de l'ambassade, avenue de Tervuren.
Avec notre journaliste à la chancellerie de l’ambassade, avenue de Tervuren.© CHRISTOPHE KETELS (BELGAIMAGE)

En Belgique, lorsque l’on parle d’investissements chinois, on songe notamment à ThunderPower à Gosselies ou à Alibaba à Liège. Qu’est ce qui intéresse les investisseurs chinois en Belgique ?

Beaucoup d’entreprises chinoises s’intéressent à la Belgique et se demandent comment investir ici. Elles ont des contacts avec l’Awex, Flanders Investment & Trade, Beci, etc. Les investissements chinois sont très bien accueillis par le gouvernement fédéral et les trois Régions. L’accessibilité des pouvoirs publics, des loyers relativement bas et la possibilité de trouver une main-d’oeuvre multilingue sont des atouts. Je pense aussi que la situation géographique centrale du pays et son infrastructure de transport ont des effets d’entraînement. Si Alibaba songe à installer un siège logistique à Liège, c’est pour non seulement viser le marché belge, mais aussi parce que l’Allemagne, la Suisse, la France et les Pays-Bas sont à proximité. Je me suis déjà rendu plusieurs fois à Liège, et j’ai pu constater que même si la ville n’est pas côtière, elle bénéficie d’un port, d’un canal qui la relie au grand port d’Anvers, d’un aéroport. Bref, d’un réseau de transport avancé. Un autre atout est l’ouverture du marché belge, la solidité de son cadre juridique qui rassure les entreprises. Les entreprises chinoises considèrent la Belgique comme un pays qui recèle beaucoup de variétés, et qui est ouvert d’esprit. Elles savent qu’elles y sont bien accueillies et qu’on y respecte leur culture. Mais il y a peut-être encore une question à régler, sur la coordination des informations.

Les entreprises chinoises considèrent la Belgique comme un pays qui recèle beaucoup de variétés, et qui est ouvert d’esprit. Elles savent qu’elles y sont bien accueillies et qu’on y respecte leur culture.

Que voulez-vous dire ?

Il manque en Belgique d’un canal direct entre les agences d’aide à l’investissement étranger (Awex, Beci, FIT) et les investisseurs chinois afin de livrer encore davantage d’informations. Bien sûr, ces agences ont déjà fourni un très grand effort. Notre ambassade également travaille à faire connaître le marché belge. Mais elle ne peut intervenir davantage. Officiellement, les investissements belges en Chine dépassent les investissements chinois en Belgique. Selon nos chiffres, les investissements directs chinois en Belgique représentent, depuis les années 1980, 520 millions de dollars. Et les investissements belges en Chine, 1,98 milliard de dollars. Mais je crois qu’en raison des méthodes de calcul employées, les statistiques de l’investissement chinois sont inférieures à la réalité.

Un des grands projets d’investissement chinois est la ” Belt and Road initiative “, ce qu’on appelle la ” route de la soie “, un vaste projet d’infrastructures pour relier la Chine à l’Europe. Certains pays européens, comme l’Italie, le Portugal ou la Grèce, accueillent largement ces initiatives. Mais d’autres sont plus réticents. Quel est votre contact avec les autorités belges à ce sujet ?

Il y a deux routes, l’une terrestre, l’autre maritime. La Belgique se trouve au carrefour des deux ! A Anvers, à Zeebrugge, les entreprises belges ont déjà affiché leur enthousiasme à participer à cette initiative. Et en Région wallonne également. Dans l’aéronautique, la logistique, les services financiers, l’intérêt des entreprises belges est déjà très grand. A ce que je sais, le gouvernement fédéral mène des études sur son impact. Outre les pays du sud de l’Europe que vous avez mentionnés, il y a aussi en Europe orientale une dizaine de pays qui participent à cette initiative lancée par le président Xi Jinping. Et tout récemment, le Luxembourg a signé un Memorandum of Understanding avec la Chine. Nous souhaitons donc la bienvenue à la Belgique… Nous avons eu des contacts, j’ai présenté l’initiative. Mais c’est au gouvernement belge de décider.

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© CHRISTOPHE KETELS (BELGAIMAGE)

Au niveau politique, le président Xi Jinping a visité officiellement la Belgique en 2014 et le couple royal est venu en Chine l’année suivante. Cela a changé les relations entre les deux pays ?

Oui, bien sûr. Votre Premier ministre Charles Michel a également visité la Chine et notre Premier ministre Li Keqiang s’est déjà rendu plusieurs fois en Belgique. Ces visites croisées ont exercé un rôle propulseur remarquable. Elles ont fixé les grandes orientations des relations et les grands projets entre les deux pays.

Quelle est l’image de la Belgique à vos yeux ?

La Belgique n’a sans doute pas un grand territoire ni une grande population, mais elle joue un rôle très important dans l’Union européenne. Elle abrite la capitale de l’Union, et a donc davantage l’occasion de recevoir des chefs d’Etat. Et l’économie belge a des atouts technologiques et industriels. Nos pays sont liés sur le plan politique par une grande amitié, mais nous accordons également une grande importance à la Belgique sur le plan économique. Et les Chinois connaissent bien vos chocolats, vos bières, etc.

Il y a aujourd’hui un débat en Europe et aux Etats-Unis concernant certaines entreprises télécoms chinoises (ZTE et Huawei), qui pourraient constituer une menace en termes de sécurité. Ce débat vous semble-t-il justifié ?

La 5G est une haute technologie. Il faut encore du temps pour améliorer sa fiabilité mais Huawei est le meilleur dans ce type d’équipement et fait des efforts en ce sens. Les pressions exercées sur l’entreprise par les Etats-Unis sont une manipulation politique. Ce sont des accusations sans fondements. Les Etats-Unis n’ont pas avancé de preuves que Huawei a des problèmes de sécurité. Cette société mène d’excellentes opérations dans beaucoup de pays et avec beaucoup d’entreprises européennes, et ces acteurs n’ont jamais signalé de difficultés de ce type. Les Etats-Unis dénoncent de soi-disant problèmes mais je rappellerai qu’ils sont à l’origine de l’affaire Prism ( le programme de surveillance électronique dénonce par Edward Snowden, Ndlr)…

Il manque, en Belgique, d’un canal direct entre les agences d’aide à l’investissement étranger (Awex, Beci, FIT) et les investisseurs chinois.

Les Etats-Unis craignent simplement que le développement de Huawei dépasse celui de leurs propres entreprises. Ils adoptent donc une attitude protectionniste, utilisent leur position hégémonique dans le monde pour entraver ce développement. Si les Etats-Unis n’utilisent pas les équipements de Huawei, c’est une décision qui leur appartient. Mais exercer des pressions sur les pays européens, ce sont des pratiques injustifiées et excessives. L’Union européenne a récemment émis une ligne directrice : les pays européens peuvent décider, en tout autonomie, quel équipementier télécom ils peuvent utiliser. Cela va dans la bonne direction.

Avez-vous discuté de ce problème avec les autorités belges?

J’ai déjà exprimé notre point de vue et nous avons eu des échanges à ce sujet avec les autorités belges. Mais je pense que c’est à elles à mener des études et nous espérons que le gouvernement belge pourra décider en toute autonomie et ne pas adopter une attitude discriminatoire envers les entreprises chinoises.

Personnellement, vous sentez-vous à l’aise en Belgique ?

J’y suis depuis six mois et je suis très heureux d’y vivre et d’y travailler. Le peuple chinois est très amical à l’égard de la Belgique, la connaît bien et y effectue même beaucoup de voyages. Et je ressens depuis mon arrivée ici également un sentiment amical des Belges et j’apprécie leur intérêt pour la culture chinoise. Nous avons organisé à Anvers une parade pour le Nouvel An chinois, qui a été chaleureusement accueillie par la population locale. Concernant votre question, une chose me gêne un peu néanmoins. Certains journalistes dans les médias adoptent parfois un regard très négatif à l’égard de la Chine. Je sais que les journalistes sont critiques, c’est leur rôle. Si la critique est juste et raisonnable, cela ne me gêne pas. En revanche, si elle n’est pas objective, si elle ne repose pas sur les faits ou si l’on fait appel à des faits qui datent d’il y a 40 ans ou plus, cela pousse les gens à avoir une mauvaise impression, injustifiée, du pays. La Chine véritable n’est pas comme cela.

Quelles mauvaises idées ont-elles été propagées dans les médias ?

Je ne vais pas citer tel ou tel journaliste et je ne veux pas entrer dans les détails ni entamer une controverse. Je veux simplement que l’on fournisse une information plus complète et plus objective. Notre pays peut certainement s’améliorer encore, mais il a effectué des réalisations remarquables en termes de développement et d’amélioration du niveau de vie de la population. Et les Belges qui vont en Chine, lorsqu’ils reviennent, me font parfois part de leur étonnement face au progrès accompli par le pays…

L’entretien se termine, nous nous levons. Mais l’ambassadeur dit encore quelques mots en nous raccompagnant vers la sortie. ” Les Européens n’ont pas le même regard que les Américains. La Chine ne peut pas être une menace pour l’Europe. Nous sommes un partenaire et nous voulons développer notre partenariat main dans la main. ” Puis, faisant référence au contexte politique, il ajoute : ” Nous observons aujourd’hui la montée des protectionnismes. Il ne faut pas que les pays d’Europe suivent ces idées. Ce n’est pas bon “.

Profil

– CAO Zhongming est né en octobre 1965 à Ningbo, dans la province du Zhejiang.

– Après avoir décroché un master en droit à l’Université de Pékin, il entame à la fin des années 1980 une carrière au ministère des Affaires étrangères de la République populaire de Chine.

– Nommé ambassadeur de Chine au Mali (2011-2014), il devient ensuite directeur général adjoint du département du personnel du ministère des Affaires étrangères (2014-2015), puis directeur général de ce département (2015-2018).

– Il est depuis septembre 2018 ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République populaire de Chine au Royaume de Belgique.

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