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Politique climatique: “La création monétaire et ses limites”

Compte tenu de l’endettement des Etats européens, la question de la stabilité des finances publiques reste brûlante.

Certes, au cours des dernières années, la croissance positive, les efforts d’assainissement opérés un peu partout en Europe et les taux bas ont un peu relâché la contrainte pesant sur les gouvernements, en réduisant les déficits et en améliorant la soutenabilité à long terme des dettes. Mais il ne faut pas se voiler la face, les marges de manoeuvre restent très étroites dans une partie des pays de la zone euro, dont la Belgique. C’est d’autant plus inconfortable que les demandes à l’adresse des pouvoirs publics se multiplient : plus de pouvoir d’achat, plus de pensions, etc. S’y ajoute à présent la demande de financer une transition écologique.

Ceci étant, pour cette dernière matière, la solution semble toute trouvée : différents collectifs, sous différentes formes plus ou moins élaborées, implorent un financement monétaire de la transition écologique. Il est vrai que proposer d’augmenter les dettes ne serait pas sérieux. Augmenter les impôts n’est pas populaire. Rogner d’autres dépenses pose inévitablement d’autres problèmes. Il reste donc la bonne vieille planche à billets, plus connue dans la théorie monétaire comme ” l’hélicoptère monétaire “. Pour faire simple, la banque centrale européenne achèterait des dettes d’Etats ne devant jamais être remboursées, et le financement de la transition écologique serait ainsi réglé.

Puisque cette solution miracle trouvera très vite un terreau favorable dans certains cercles politiques ou citoyens, et puisque ni la rationalité économique ni le débat de fond n’auront leur place une fois que les esprits s’enflammeront en faveur de cette solution, je me permets ici d’attirer l’attention sur quelques petits problèmes potentiels, insignifiants pour certains, mais cruciaux à mes yeux.

La banque centrale achèterait des dettes d’Etats ne devant jamais être remboursées, et le financement de la transition écologique serait ainsi réglé.

Tout d’abord, l’augmentation de la masse monétaire qui résulte de l’hélicoptère monétaire risque de générer un peu ou même beaucoup d’inflation à moyen terme. Or, l’inflation non anticipée est un impôt sur ceux dont les revenus ne sont pas indexés, et en particulier sur les rentiers. C’est donc eux qui, in fine, paieront la facture de la transition énergétique. Par la suite, les taux d’intérêt s’aligneront sur l’inflation et la hausse de ceux-ci freinera le développement économique.

De plus, parce qu’une telle création monétaire est inflationniste, elle est interdite par les statuts de la BCE. Se lancer dans un financement monétaire des Etats demandera donc d’abord une modification de ses statuts, ce qui ne serait pas sans conséquence sur sa crédibilité.

Par ailleurs, même si une opération unique d’hélicoptère monétaire pourrait théoriquement fonctionner, on se doute bien que très vite, les demandes se multiplieraient pour utiliser le même subterfuge pour régler tous les problèmes socio-économiques. Il s’en suivrait une création monétaire hasardeuse et in fine le risque d’une perte de confiance dans la monnaie européenne, aux conséquences dramatiques.

Pour toutes les raisons invoquées ci-dessus, l’Allemagne (et d’autres pays d’ailleurs) préférera sortir de la zone euro plutôt que de s’engager dans cette voie non dénuée de sens mais très risquée. Or, appliquer une telle recette sans les maillons les plus forts de la chaîne européenne est monétairement suicidaire.

Le désaccord entre pays européens sera d’autant plus flagrant qu’un pays comme l’Allemagne n’a pas besoin de subterfuge monétaire pour financer ses projets d’investissements (environnementaux ou autres d’ailleurs). Ses finances publiques sont saines et elle a les marges nécessaires. L’idée d’un financement monétaire est par essence un aveu de l’incapacité de certains pays à assurer une saine gestion de leurs finances publiques passées et futures. Ceci ne peut mener qu’à la fin de la zone euro. Il faut d’ailleurs noter que le financement monétaire lui-même n’aiderait en rien l’assainissement des dettes accumulées jusqu’à présent.

On peut évidemment avancer que ces arguments sont trop techniques et ne pèsent pas grand-chose face à l’urgence de l’action climatique. Mais soyons clairs : autant l’idée d’un financement monétaire peut être débattue, autant le débat doit porter sur les avantages, les inconvénients et les risques d’une telle solution radicale. Se limiter à quelques intuitions monétaires, et aux émotions de l’instant, est au contraire le meilleur moyen de s’en mordre les doigts pour longtemps.

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