Plus de 20 milliards injectés dans les entreprises belges: pour quelle efficacité?

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Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

Après un an de crise sanitaire, le gouvernement aura bientôt dépassé les 20 milliards d’euros injectés dans les entreprises belges. Quelle est l’efficacité de ce vaccin contre les faillites ? Quels en sont les effets secondaires pour l’économie ? Une seconde dose doit-elle être administrée pour assurer une protection sur le long terme ? La Banque Nationale s’est penchée sur la question.

Le coup de massue que la Covid-19 a porté à l’économie belge depuis le mois de mars a été d’une brutalité sans précédent. La demande n’avait plus été aussi lourdement touchée depuis la Seconde Guerre mondiale, la production a été perturbée et la confiance, ébranlée. Au deuxième trimestre, le produit intérieur brut (PIB) a chuté de 13,9 %. En avril, en plein confinement, les ventes d’une entreprise moyenne ont chuté de 32 %. Dans les secteurs les plus touchés, ce pourcentage a parfois dépassé les 90 %. Avec l’été se profilait une forte reprise, mais la seconde vague de contamination a coupé court à cette promesse. Les mois d’hiver n’apporteront aucune perceptive d’assouplissement. Pour cette année, les entreprises s’attendent à une perte moyenne de 10 % de leur chiffre d’affaires. Une reprise durable ne sera envisageable que lorsque suffisamment de personnes auront été vaccinées.

Deux erreurs peuvent être commises. Vous pouvez insuffisamment aider les entreprises saines, et aider à outrance celles qui ne le sont pas.

Jories Tielens, Banque Nationale

Sans soutien des autorités, une vague de faillites et de chômage menaçait l’économie. Les différentes autorités ont agi massivement et rapidement, avec fermeté. L’année dernière, plus de 17 milliards d’euros ont été accordés sous forme de soutien aux entreprises, et cette année, 3 milliards d’euros ont déjà été débloqués. La Banque Nationale a examiné les aides accordées aux entreprises lors de la première vague, de mars à septembre. “Nous avons fondé notre analyse sur les données TVA. De cette manière, nous avions une vue unique de l’évolution du chiffre d’affaires, des coûts et des investissements des entreprises. Nous avons alors pu travailler avec une précision chirurgicale. En général, les conclusions concernant la première vague s’appliquent aussi à la vague automnale”, déclare Joris Tielens, économiste à la Banque Nationale et l’un des auteurs de l’étude.

Cette analyse peut être divisée en trois grandes questions. Dans quelle mesure le gouvernement a-t-il atténué les problèmes financiers des entreprises et donc leur risque de faillite ? Les aides ont-elles été accordées aux bonnes entreprises ? Et que faut-il pour aider les entreprises à traverser la crise de manière durable ?

1) Dans quelle mesure le soutien des autorités protège-t-il contre la faillite ?

La Covid-19 a été un cauchemar pour les finances de nombreuses entreprises. Sur un échantillon de 400 000 entreprises, la Banque Nationale a constaté que plus de 90 % d’entre elles avaient perdu de l’argent durant au moins un mois entre mars et septembre. Fin septembre, la crise avait fait perdre 28 milliards d’euros en liquidités aux entreprises belges. Beaucoup d’entre elles n’étaient pas préparées à une telle catastrophe. En 2020, seule la moitié des entreprises disposait de réserves suffisantes pour assurer une continuité de plus de six mois, selon l’Economic Risk Management Group (ERMG).

Un quart des entreprises se seraient retrouvées sans rien au cours de l’année, même après avoir contracté des prêts supplémentaires, si le gouvernement n’était pas intervenu. Un coffre vide ne signifie pas nécessairement qu’une entreprise va faire faillite. Celle-ci peut trouver de l’argent en retardant les paiements, par exemple. C’est lorsqu’elle n’y parvient pas que sa survie est menacée.

Grâce au soutien des autorités, de nombreuses entreprises ont pu éviter où repousser ce moment fatidique. La Banque Nationale a analysé les effets des mesures les plus importantes, telles que le chômage temporaire, les primes de nuisance, le moratoire sur les dettes et les mesures fiscales. Fin septembre, le gouvernement avait consacré 7 milliards d’euros au soutien des entreprises via ces mesures. Sans soutien, 20 % des entreprises auraient été confrontées à de graves problèmes financiers à la fin du mois de septembre. Grâce aux mesures, ce pourcentage est passé à 15 %.

2) Les aides sont-elles accordées aux bonnes entreprises ?

La Banque Nationale remarque que les aides devraient être accordées aux entreprises ayant un modèle économique sain. Les entreprises saines sont celles qui étaient rentables avant la crise. “Deux erreurs peuvent être commises”, explique Joris Tielens. Vous pouvez insuffisamment aider les entreprises saines, et aider à outrance celles qui ne le sont pas. Nos autorités ont choisi d’intervenir autant que possible lors de la première vague, afin d’éviter la disparition du plus possible d’entreprises saines. Cette décision augmente le risque que l’argent se retrouve dans les mains d’entreprises qui ne le sont pas. Le gouvernement n’avait pas le temps d’effectuer cette précieuse sélection. Cette approche large donc parfaitement justifiée. Mais plus tard, lorsque l’économie retrouvera une stabilité, nous pourrons mieux cibler le soutien.”

La crise financière de 2008 nous a appris qu’une aide trop généreuse peut générer des entreprises “zombies”. Il s’agit d’entreprises structurellement déficitaires, mais qui sont maintenues artificiellement en vie par les aides gouvernementales. Après une crise majeure, les entreprises les plus faibles disparaissent pour faire place à de nouvelles entreprises, plus productives. Ce processus de destruction créatrice n’a rien de simple, mais il nécessaire pour favoriser la croissance et le renouveau. La Covid-19 peut le stimuler. La Banque Nationale a constaté qu’en l’absence de mesures de soutien, les entreprises les moins productives auraient couru plus de risques de se retrouver en déficit financier lors de la première vague. Si des entreprises à court d’argent font faillite, ce qui sera possible une fois que le moratoire sur les faillites aura pris fin, il s’agira majoritairement d’entreprises qui n’étaient pas productives.

Un tiers des entreprises ne sont pas solvables. C’est dramatique. Une recapitalisation devient cruciale. Pascal Flisch, Trends Business Information

“Nous avons besoin d’une destruction créatrice. Maintenir les entreprises malades en vie ne sert à rien. Elles créent une concurrence déloyale. Elles ralentissent les délais de paiement et donc les cycles économiques de leurs partenaires commerciaux. Elles empêchent les entreprises saines de se développer. Elles n’apportent rien à la société et entretiennent l’économie souterraine. En résumé, les entreprises zombies détruisent les capitaux. Le gouvernement devra donc être beaucoup plus strict à leur égard en 2021”, déclare Pascal Flisch, analyste pour Trends Business Information.

Le moratoire sur les dettes aide les entreprises saines

Le gouvernement doit donc trouver un équilibre délicat entre le sauvetage des entreprises et le maintien d’un dynamisme économique suffisant. Une mesure comme le moratoire sur les dettes offre cet équilibre. Ce moratoire permet aux entreprises saines de reporter le remboursement de leurs prêts, à condition que les difficultés de remboursement soient dues à la crise de la Covid-19. Ce sont donc principalement les entreprises productives et rentables qui profitent de ce moratoire. Fin septembre, 115 000 prêts étaient en report, pour un montant total de 22,5 milliards d’euros. “Cette constatation vaut également pour les prêts accordés avec une garantie de l’État, le fameux ‘bazooka’. Ce sont presque uniquement des entreprises saines qui l’ont utilisé”, explique Joris Tielens. “Le gouvernement n’a donc pas repris les risques de crédit majeurs des banques. C’est une bonne nouvelle pour les finances publiques”, explique Hans Degryse, professeur d’économie à la KU Leuven.

La prime de nuisance revient également parfois aux mauvaises entreprises

Dans le cas des primes de nuisance, le rapport n’est pas aussi bon. La majorité de cette aide revient bien aux entreprises qui en ont besoin, mais 8 % vont aux entreprises qui n’ont jamais perdu d’argent depuis le début de la pandémie. Cela pourrait signifier que l’argent va à des entreprises qui n’en ont pas nécessairement besoin. Cela pourrait également dire que les fonds sont versés aux entreprises qui ont été touchées par la Covid-19, mais qui ont pu prendre suffisamment de mesures par elles-mêmes pour éviter les problèmes de trésorerie, en réduisant les coûts ou en souscrivant de prêts bancaires supplémentaires, par exemple. “Pour les entreprises qui ont pu s’adapter, cette prime équivaut à un pur profit”, déclare Joris Tielens. En 2020, environ 2 % des entreprises, soit 8 000 entreprises, ne sont devenues rentables que grâce à la combinaison des primes, du chômage temporaire et des exonérations fiscales.

En outre, une grande partie de cette aide se retrouve sur le compte des mauvaises entreprises, car les conditions d’obtention d’une telle prime ne sont pas liées à la santé financière de l’entreprise. Ainsi, ce soutien revient autant aux entreprises saines qu’aux autres. Il s’agit d’une mesure grossière destinée à sauver le plus grand nombre possible d’entreprises, quel que soit leur modèle économique. “La destruction créatrice porte ses fruits à long terme, mais il y a aussi des coûts importants à court terme, sous la forme d’un chômage croissant qui érode le pouvoir d’achat, de chaînes de production perturbées et de pertes de crédit de plus en plus importantes, qui affectent la santé des banques”, explique Joris Tielens. “Cela a également des conséquences négatives pour les entreprises saines. Le gouvernement a donc opté pour une approche protectrice assez large, en partie parce qu’une sélection affinée n’était pas possible à court terme. Il pourra bientôt laisser plus de plus à la destruction créatrice. Certains pays ont opté pour une approche différente et ont laissé plus de liberté à la destruction dès le début. Nous ne pourrons dire qu’elle était la meilleure approche que dans quelques années, en regard de la croissance économique.”

Le chômage temporaire est une aide peu sélective, mais utile

Le chômage temporaire a amélioré la situation financière de presque toutes les entreprises, mais ce sont surtout les entreprises les moins productives qui ont profité du système. “Toutefois, il est difficile de faire changer la situation à court terme. Il faut aussi l’envisager du point de vue des salariés : c’est une forme de protection sociale. Le gouvernement aurait cependant pu se concentrer plus rapidement sur la formation et l’accompagnement, comme l’ont fait les Pays-Bas”, ajoute Hans Degryse.

“Il est logique que le chômage temporaire soit accessible au plus grand nombre d’employeurs possible”, explique Pascal Flisch. “Sinon, les années de croissance du marché de l’emploi auraient été détruites en quelques mois. Cette mesure était également nécessaire pour permettre le redémarrage de l’économie. Il est beaucoup plus efficace de remobiliser son propre personnel. Si vous devez embaucher du nouveau personnel, vous risquez de rater le train de la reprise.”

3) Quel second vaccin pourrait-il aider les entreprises à traverser la crise durablement ?

Les mesures de soutien visant à améliorer la situation financière des entreprises ne sont qu’une solution temporaire. Elles offrent une protection temporaire, mais pour survivre à long terme, de nombreuses entreprises, dont beaucoup sont en bonne santé, doivent renforcer leur système immunitaire grâce à un business plan plus sain et à un redressement de leurs capitaux propres.

Évaluer l’impact de la crise sur la solvabilité des entreprises n’est pas évident, mais la Banque Nationale estime qu’à la fin du mois de septembre, 20 % des entreprises affichaient des fonds propres négatifs. La valeur des actifs était inférieure à l’ampleur des dettes. Avant la crise, ce pourcentage s’élevait à 14 pour cent. Les pertes ne sont donc pas négligeables. La Banque Nationale estime que le cash-flow de 26 % des entreprises n’était pas suffisant pour couvrir leurs frais financiers pendant la période de mars à septembre. Il s’agit de 8 pour cent de plus que pour la même période en 2019. Ces entreprises déficitaires représentaient alors 48 pour cent de l’emploi. Ainsi, un travailleur sur deux travaillait dans une entreprise déficitaire lors de la première vague de coronavirus.

Le gouvernement n’a pas repris les risques de crédit majeurs des banques. C’est une bonne nouvelle pour les finances publiques.

Hans Degryse, KUL.

Selon les calculs de Trends Business Information, la crise sanitaire aura amputé les capitaux propres des entreprises de 80 milliards d’euros d’ici 2020. Environ une entreprise sur dix déclare qu’il est probable, ou très probable, que la faillite soit proche, selon une enquête de la FEB. De plus, la crise sanitaire n’a fait qu’aggraver la situation. “En 2019, l’économie effectuait un atterrissage en douceur après quatre à cinq ans de croissance solide”, explique Pascal Flisch. “Fin 2019, nous avions déjà compté 63 000 entreprises avec une solvabilité négative, sur une population de 450 000 entreprises qui doivent déposer un bilan. C’est une entreprise sur sept. Durant la crise, 30 000 entreprises se sont ajoutées à ce total. Au moins une entreprise sur trois a des fonds propres inférieurs à 15 % du total du bilan. Cela signifie qu’un tiers des entreprises n’est pas solvable. C’est dramatique et nous devons faire quelque chose. Une recapitalisation devient cruciale.”

Une solvabilité faible ou même négative ne sonne pas nécessairement le glas d’une entreprise, mais elle la rend vulnérable au moindre souci. Reconstituer des réserves de liquidités en engrangeant des dettes bancaires supplémentaires n’est plus une solution, car les banques ne sont pas autorisées à prêter à des entreprises malades ou non solvables. Au cours de cette crise, les banques ont toutefois continué de jouer leur rôle en maintenant possibles les prêts aux entreprises saines.

Les entreprises les plus faibles ne sont pas les seules à être menacées par ce cercle vicieux. Les entreprises rentables qui ont été durement touchées par la crise risquent également de devenir insolvables en raison de problèmes de liquidités, et ce sont précisément ces entreprises que les décideurs politiques veulent sauver. “Les autorités devraient donc progressivement déplacer leur attention de la lutte contre les problèmes de liquidités vers le renforcement de la solvabilité. Le monde académique est également d’accord sur ce point”, déclare Joris Tielens.

Cependant, les propriétaires de nombreuses PME sont connus pour leur allergie aux capitaux frais, de peur de perdre le contrôle de leur entreprise. Renforcer leur solvabilité via des prêts subordonnés est une alternative possible. Dans ce domaine, les entités fédérées font un pas dans la bonne direction avec leurs initiatives. En Flandre, par exemple, la PMV met à disposition des prêts subordonnés. Une autre option consiste à rendre la constitution de fonds propres fiscalement intéressante, par exemple en augmentant fortement la déduction d’intérêts notionnels. L’aide gouvernementale pourrait également être augmentée ou couplée pour les entreprises qui lèvent des capitaux ou adaptent leur business plan à une nouvelle réalité. “Il est temps de rendre les conditions d’accès au soutien plus cohérentes. Les changements sont en cours, mais nous ne devons pas attendre trop longtemps”, conclut Hans Degryse.

1 travailleur

sur 2 travaillait dans une entreprise déficitaire lors de la première vague de coronavirus.

15 pour cent

des entreprises avaient un problème de trésorerie majeur fin septembre. Sans soutien, il s’agirait de 20 %.

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