Pierre Larrouturou, député européen (PS): “Refuser une taxe sur la spéculation, c’est obscène”
Pour mobiliser l’opinion en faveur d’une taxe sur la spéculation, l’eurodéputé français a fait 18 jours de grève de la faim.
1. Vous avez arrêté votre grève de la faim, mais vous poursuivez le combat en faveur d’une taxation des transactions financières. Pourquoi est-ce si important pour vous ?
Parce qu’il y a quelque chose d’obscène à dire que l’on n’a pas d’argent pour les hôpitaux, pour la recherche, pour le climat… tout en refusant d’instaurer une petite taxe (0,1% sur les actions, 0,01% sur les produits dérivés et le trading à haute fréquence) qui, selon la Commission européenne, rapporterait 57 milliards d’euros. N’importe quel artisan en difficulté doit payer 21% de TVA sur sa production; le SDF qui fait la manche en rue paie 6% de TVA sur sa nourriture. Et les marchés financiers paient, eux, 0,0% ! Oui, je trouve ça obscène.
2. Ce raisonnement, vous pouviez le porter devant le Parlement européen, par des interventions en séance, des interviews, etc. Opter pour un moyen aussi extrême que la grève de la faim, n’est-ce pas une manière de reconnaître que la démocratie parlementaire ne fonctionne pas bien ?
Si j’ai choisi ce moyen, c’est parce que l’urgence est là : nous vivons une crise sociale extrêmement grave, comparable à celle des années 1930, une crise sanitaire et une crise climatique, qui risque de plonger l’humanité dans le chaos. Nous sommes donc bien dans une situation extrême. En juillet, les chefs d’Etat européens ont agi pour éviter l’effondrement économique, ils ont été capables de briser les tabous pour accepter, par exemple, 390 milliards de dettes communes. Pour préparer l’avenir, c’est-à-dire pour la santé, la recherche, le climat, ces mêmes chefs d’Etat seront-ils capables d’agir ? Mon action visait à mobiliser avant la tenue des sommets européens de décembre. Or je constate que cette mobilisation est aujourd’hui très large, avec des soutiens venant tant de la droite que de la gauche, de syndicats, d’ONG ou encore de chefs d’entreprise.
3. Cela, ne pouviez-vous vraiment pas l’obtenir par le combat parlementaire classique ?
Je ne pense pas, non. Mais nous avons fait le maximum. Nous venons justement d’obtenir, par deux votes à 67 et 68%, la possibilité de sortir de la règle de l’unanimité et d’avancer sur la taxation des transactions financières (TTF) par la coopération renforcée. Aucun groupe humain ne fonctionne sur la règle de l’unanimité car l’individu le plus stupide, le plus égoïste, le plus incapable de comprendre les enjeux de demain peut alors tout bloquer. Avec l’unanimité, il y avait une chance sur 1.000 pour que la TTF passe. Maintenant, ce n’est plus exclu, si nous restons mobilisés.
Angela Merkel veut achever sa présidence en beauté, avec des engagements fermes sur le climat. Elle est concernée par ce dossier depuis très longtemps. Je rappelle qu’en 1995, alors qu’elle était toute jeune ministre de l’Environnement, elle avait accueilli la première COP à Berlin. Que les choses soient claires : il n’y aura pas d’accord ambitieux sur le climat sans accord préalable sur le financement, sans savoir qui paiera pour l’isolation des bâtiments, les transports en commun, etc. La bonne nouvelle, c’est qu’une taxe sur la spéculation, qui toucherait très peu monsieur et madame Tout-le-Monde, peut financer cela.
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