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Partis: avoir des idées ou occuper le terrain

Lire la chronique de Thierry Afschrift Professeur ordinaire à l'Université libre de Bruxelles.

On ne peut se présenter comme une alternative tout en continuant à ne rien obtenir de concret partout où l’on est au pouvoir.

La crise au MR à l’occasion de la démission du ministre wallon Jean-Luc Crucke est intéressante en ce qu’elle montre les différentes stratégies possibles pour un parti politique. Plus qu’une question de personne, le départ de Crucke est un problème de stratégie. Le ministre sortant a lui-même dit qu’il s’était toujours senti “à part” dans son parti et qu’aujourd’hui, il ne partageait plus les idées de celui-ci dans des domaines comme l’écologie, le nucléaire ou la fiscalité. Quand on connaît les thèmes essentiels de l’actualité belge, il faut en conclure que Crucke et le MR n’étaient plus d’accord sur rien d’important. Et que cela a sans doute été le cas depuis longtemps.

On ne peut se présenter comme une alternative tout en continuant à ne rien obtenir de concret partout où l’on est au pouvoir.

Cette divergence est confirmée par les déclarations fréquentes du ministre démissionnaire sur les questions écologiques, où beaucoup se sont dit qu’il aurait fait un excellent ministre… écolo, ou sur son projet de loi, finalement voté, prétendument “pour un impôt plus juste” mais qui, clairement, visait à percevoir des droits de succession, un impôt particulièrement injuste et discutable pour un libéral, dans des conditions où il ne l’était pas avant. Ce qui veut dire en clair: il voulait augmenter les impôts.

Face à cela, on trouve un président de parti, Georges-Louis Bouchez, qui, à la différence de ses prédécesseurs, se réfère presque quotidiennement à l’idéologie libérale et donne à beaucoup de membres de son parti la sensation, nouvelle au 21e siècle, d’être “#fierdêtrelibéral”. Sans toujours, certes, de succès concret… Certains commentateurs ont considéré que l’éviction de Crucke était une erreur stratégique parce qu’elle revenait à supprimer une aile “gauche” au parti libéral. C’est d’ailleurs peut-être pour cette raison que le ministre, qui finalement aurait été à sa place dans presque n’importe quel parti, faisait des voix. Et il est vrai qu’en l’absence de concurrence sérieuse à droite, le MR a tout le loisir d’évoluer avec le centre-droit, voire le centre tout court, ses électeurs libéraux n’ayant pratiquement pas d’autre choix utile.

Toute cela est très bien pensé mais pose la question de l’utilité des partis politiques. Si le seul but est d’attirer le plus possible de voix en adoptant des idées très consensuelles, on a certes beaucoup de chances d’être longtemps au pouvoir (ce qui est le cas du MR) mais pas vraiment d’avoir une influence sur les décisions. Et ceux qui croient aux idées d’un parti aimeraient sans doute bien que celles-ci se concrétisent. D’où un malaise évident parmi les électeurs réellement libéraux: comment soutenir un parti qui, tout en étant au pouvoir, n’empêche jamais les impôts d’augmenter et les réglementations de se multiplier, qui a participé aux mesures covid parmi les plus autoritaires d’Europe et qui, sous ses présidences précédentes, n’osait pratiquement plus se référer à la notion de “libéralisme”, d’ailleurs prestement gommée de sa dénomination?

Le pari de Georges-Louis Bouchez est osé parce qu’il risque de perdre quelques électeurs très centristes, voire de centre-gauche, et parce qu’il lui sera plus difficile de conclure des alliances. Mais il a des chances de gagner s’il parvient à créer un enthousiasme, une certaine ferveur autours d’idées politiques fondées sur une philosophie de liberté. Certains préféreront peut-être un parti moins “attrape-voix mais présentant une alternative authentique. Et sans doute aussi en montrant que le libéralisme, sur certains sujets, n’est vraiment pas une idéologie de droite. Cela suppose néanmoins une condition: on ne peut se présenter comme une alternative tout en continuant à ne rien obtenir de concret partout où l’on est au pouvoir.

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