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Pandora Papers: les lanceurs d’alertes font le job. Et puis?

Notre appareil policier et judiciaire a été tellement sous-investi qu’il n’est plus capable d’exploiter des informations des Pandora Papers.

Offshore Leaks, Lux Leaks Swiss Leaks, UBS Leaks, Panama Papers, Paradise Papers et aujourd’hui Pandora Papers. Avec une régularité d’horloge (suisse ?), les fuites sur les comptes cachés dans les paradis fiscaux apparaissent au grand jour. La dernière livraison, provenant du consortium international des journalistes d’investigation dans lequel on retrouve nos confrères de Knack, du Tijd et du Soir, est un fichier de 12 millions de documents datant de 1996 à 2020, provenant de 14 cabinets juridiques établis dans divers paradis fiscaux, concernant 29.783 bénéficiaires de sociétés, dont plus de 1.200 personnes physiques belges et plus de 1.200 constructions juridiques (sociétés, trusts, fondations, etc.) liées à notre pays.

Ces lanceurs d’alerte dévoilent des informations que la justice ou le législateur n’aurait jamais pu avoir. Ils deviennent une nécessité pour le bon fonctionnement de nos sociétés. Il est donc d’autant plus important de le souligner au moment où notre pays, comme les autres membres de l’Union européenne, doit transposer avant la fin de cette année la directive européenne qui doit les protéger.

Détenir un compte offshore n’est pas condamnable en soi. On peut avoir une société dans un paradis fiscal parce qu’on y a une activité ou un client. Mais bien sûr, la majorité des comptes ouverts dans ces juridictions répondent à d’autres besoins : la discrétion, l’opacité, un taux d’imposition évanescent… Car l’utilisation de tels instruments n’est pas seulement dictée par des considérations fiscales. Elle est aussi et surtout une recherche d’anonymat destinée souvent à contourner soit une législation obligeant des actionnaires importants d’une société à dévoiler leur participation, soit des personnages publics à dévoiler leurs conflits d’intérêt.

Finalement, dans les comportements, bien peu de choses ont changé en 10 ans. Des chefs d’Etat, des hauts fonctionnaires et des grandes fortunes fréquentent les mêmes canaux permettant de dissimuler de l’argent et mélangent sans honte la responsabilité de leurs charges publiques avec leurs intérêts personnels. Les Pandora Papers ont pointé 35 chefs d’Etat et 300 hauts responsables politiques s’adonnant aux joies des sociétés des Iles Vierges britanniques ou du Belize. Parfois, ce sont les mêmes (l’ex-Premier ministre britannique Tony Blair, l’actuel Premier ministre tchèque ou le ministre néerlandais des Finances) qui discourent sur la nécessité de la transparence fiscale et arpentent les couloirs feutrés des cabinets offshores.

Plutôt que s’indigner de manière un peu facile et inutile sur cette “élite offshore”, il faut plutôt se demander : “et quoi maintenant ?”. Car le pouvoir politique n’a pas encore eu de réaction à la hauteur de l’importance de cette succession de scoops. Notre appareil policier et judiciaire a été tellement sous-investi qu’il n’est plus capable d’exploiter ces informations. Et cela génère une double frustration : celle d’une population qui n’a plus l’impression de vivre dans un Etat de droit puisque certains continuent d’échapper à la loi, et celle des juges et des policiers qui se sentent abandonnés. Dans les colonnes de L’Echo, le juge Michel Claise avouait : “Souvent, on ne peut pas traiter ce type d’information parce que l’on manque cruellement de moyens policiers. Porter à la connaissance du public l’existence de ces sociétés offshores, c’est comme donner un coffre-fort sans clef!”.

On ne comprendrait pas, à l’heure où la Vivaldi a exprimé de grandes ambitions dans la lutte contre la fraude, que l’on ne se donne pas enfin les moyens d’ouvrir ces coffres.

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