Philippe Ledent
Notre économie est moins résiliente qu’il n’y paraît
La crise du covid restera la plus grave crise économique de l’histoire moderne. Et les importants déséquilibres actuels laissent penser qu’il est trop tôt pour crier victoire.
Soyons honnêtes, la reprise économique a été bien meilleure qu’anticipé, que ce soit en Asie, aux Etats-Unis ou en Europe. Le pessimisme des premiers moments de la crise ne tenait probablement pas compte de l’ampleur des mesures monétaires et budgétaires mises en place. La première partie de l’année 2021 a été une nouvelle fois positivement surprenante: en Belgique, malgré la troisième vague de la pandémie, le chiffre de croissance du deuxième trimestre a récemment été revu à la hausse à 1,7% par rapport au trimestre précédent. Et selon les modèles de la Banque nationale, le troisième trimestre (dont on aura la première estimation de la croissance fin octobre) devrait encore être plus dynamique.
La crise du covid restera la plus grave crise économique de l’histoire moderne. Et les importants déséquilibres actuels laissent penser qu’il est trop tôt pour crier victoire.
Tout cela laisse penser que nos économies font preuve de plus de résilience qu’on ne le pensait, ce qui serait une très bonne nouvelle. Ceci étant, il est probablement trop tôt pour tirer pareille conclusion. En effet, au-delà des chiffres d’activité, on voit apparaître d’importants déséquilibres qui pourraient peser sur le développement économique des prochaines années. Il suffit, par exemple, d’examiner les chiffres d’activité par secteur: alors que le PIB de la Belgique n’accuse plus qu’un retard de 2,2% par rapport à la situation d’avant-crise, certains secteurs comme l’industrie et la construction l’ont déjà largement dépassé. A l’opposé, les secteurs financiers et des assurances ou ceux du commerce ou encore des loisirs et de la culture ont un retard bien plus important. Le PIB masque donc des déséquilibres importants entre les secteurs. Quelles en seront les conséquences?
Dans un tout autre domaine, il est difficile de passer à côté de l’explosion des prix de l’énergie et des coûts de transport. On assiste là à des phénomènes tout à fait exceptionnels, et à la mesure de la crise que nous vivons. Or, la poussée d’inflation qu’elle génère pourrait avoir en retour des conséquences sur la trajectoire future de reprise. Restons donc vigilants.
Le déséquilibre des finances publiques est un autre élément traduisant l’ampleur réel de la crise. Loin de moi l’idée qu’il ne fallait pas intervenir. Mais si les mesures de soutien ont permis de stabiliser les économies, la résilience de ces dernières ne sera effectivement testée que lorsqu’il s’agira de remettre les finances publiques sur des rails soutenables. Si l’épreuve devrait être facilement gérée par des pays tels que l’Allemagne ou les Pays-Bas, cela risque d’être plus délicat en Espagne, en France ou…en Belgique.
De même, le covid a imposé une nouvelle période de taux d’intérêt exceptionnellement bas. Cette période pourrait encore s’étendre sur plusieurs années en zone euro. Encore une fois, c’était nécessaire. Mais pour autant, il est difficile d’appréhender toutes les conséquences économiques et financières d’une période aussi longue de taux bas (voire négatifs), sans compter qu’une potentielle normalisation de la politique monétaire (avec des hausses de taux, donc) sera également une période délicate.
En conclusion, je reste convaincu qu’au-delà de sa dimension sanitaire, la crise du covid restera la plus grave crise économique de l’histoire moderne. Si l’on prend une photographie aujourd’hui, ce ne semble pas vraiment le cas: la crise financière a fait plus mal. Mais les importants déséquilibres actuels laissent penser qu’il est trop tôt pour crier victoire.
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