Mobilité: la voiture de location attend les vacances avec impatience

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Alors que le “lockdown” avait tout figé, le déconfinement redonne des couleurs à la mobilité avec, très proches, les vacances d’été. L’occasion, peut-être, de louer une voiture pour changer d’air tout en gardant l’avantage du cocon sanitaire. Le secteur, ravagé par trois mois d’immobilisme, aimerait y croire…

Un seul fait donne l’ampleur de la débandade : fin mai, le loueur de voitures américain Hertz, plus que centenaire et connu dans le monde entier, s’est placé sous le régime américain des faillites. L’opérateur a été frappé au coeur par la pandémie de Covid-19, qui a causé une baisse brutale de ses revenus et des réservations futures. Le 21 avril, Hertz avait déjà annoncé supprimer 10.000 emplois en Amérique du Nord, soit 26,3% de ses effectifs mondiaux, pour réaliser des économies et mieux affronter l’incertitude. Il y a 10 jours, le groupe a précisé que ce sont 20.000 personnes au total qui ont été licenciées, soit environ la moitié de ses effectifs mondiaux. Le Wall Street Journal fait état d’une dette d’environ 19 milliards de dollars et près de 700.000 véhicules en grande partie inutilisés à cause du coronavirus.

Et maintenant ? La location professionnelle devrait redémarrer au fil de la reprise industrielle et commerciale, mais une partie notable de l’activité restera sur le carreau. Car le visage des vacances 2020 sera aussi très différent : par peur du virus, beaucoup de touristes décident de partir moins loin que d’ordinaire, préférant un moyen de déplacement non commun et non partagé.

Les loueurs ont réduit leur flotte en mars et avril. On pourrait donc même constater un éventuelle pénurie dans certaines catégories de véhicules.” – Frank Van Gool (Renta)

” Les distances franchies devraient aussi être plus courtes avec une part plus importante de flux domestique, assurait récemment à La Libre Jean-Michel Decroly, professeur de géographie, de démographie et de tourisme à l’ULB. Il est vraisemblable aussi qu’on voie se réduire les concentrations de touristes dans les hotspots, notamment parce que dans certaines destinations courues, les pouvoirs publics vont prendre des mesures pour les réduire. ”

Un cocon qui a de l’avenir

” Tout semble indiquer que l’usage de l’automobile devrait être particulièrement prisé au cours des prochains mois, assure donc Philippe Dehenin, président de Febiac, la Fédération de l’industrie de l’automobile et du cycle. Et pour cause : si le déconfinement peut s’amorcer, les mesures de distanciation sociale ainsi que l’application des gestes barrière vont, quant à elles, bien perdurer dans le temps. Et quel autre moyen de transport qu’une automobile offre à son occupant la garantie d’une distanciation physique aussi sûre ? La Première ministre elle-même n’a-t-elle pas appelé ses concitoyens à favoriser le recours préférentiel aux moyens de transport individuels. ”

Et la tendance soudain de s’inverser. Au lieu de se débarrasser de ” voitures coûteuses, polluantes et encombrantes “, le réflexe de préservation avec l’épidémie conduit à moins se déplacer. Et, quand il le faut absolument, à privilégier un cocon protecteur bien à soi. D’autant que face à cette réalité, l’automobile est non seulement perçue comme sécurisante, mais aussi comme le moyen de retrouver une liberté de mouvement brutalement supprimée par le confinement.

” Il est clair que quand la surface partagée devient trop étriquée, le recours à la voiture individuelle, – éventuellement au vélo – devient plus intense, explique Joost Kaesemans, porte-parole de Febiac. La voiture, c’est un peu comme une extension de chez soi. Quand on a introduit l’interdiction de fumer en présence d’enfants, des conducteurs ont protesté qu’ils étaient ‘chez eux’ dans leur voiture. On voit pourtant bien la différence puisqu’on circule sur la voie publique. C’est un sentiment irrationnel, mais il faut en tenir compte. ”

Mobilité: la voiture de location attend les vacances avec impatience
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Trois touristes sur quatre en voiture

Les chiffres de Belvilla, spécialiste de la réservation en ligne de locations de vacances, montrent que de très nombreux Belges ont choisi de passer leurs vacances au pays cette année. Par rapport à l’an dernier, cela représente une hausse de pas moins de 265 %. La France, une destination également très appréciée par les Belges, se situe à la deuxième place, avec une croissance de près de 161 %. En troisième position se trouvent nos voisins du Nord, avec une augmentation de plus de 96 %. L’Espagne se classe quatrième, avec un accroissement de 34 %.

Un sondage réalisé pour la start-up Virtuo montre par ailleurs que 77% des citoyens comptent privilégier la voiture pour leurs déplacements à l’occasion de leurs vacances. Cela représente un bond de 22 points, compensant presque exactement les reculs du train et de l’avion (23% contre 45,5% avant). Selon une étude menée aux Etats-Unis le mois dernier par IBM, les transports publics mais aussi les taxis et les véhicules avec chauffeurs (VTC) devraient perdre une partie importante de leurs passagers du fait de la baisse de l’utilisation des transports et d’un recours plus important aux véhicules individuels. L’étude souligne aussi le fait que les déplacements vers le centre des métropoles devraient sensiblement se réduire. Plus de 17% des sondés ont déclaré avoir l’intention d’utiliser plus souvent leur voiture. Pour ceux qui prenaient régulièrement les transports en commun avant l’épidémie – le bus, le métro et le train – 20% ont l’intention de ne plus du tout les utiliser et 28% de les prendre moins fréquemment. Une différence considérable.

On en a peu parlé, mais ce ‘lockdown’ a représenté une sorte de catastrophe majeure pour notre secteur.” – Laurent Sculier

” Nous manquons encore de chiffres précis sur une éventuelle augmentation des réservations pour les deux mois de vacances scolaires, mais beaucoup de gens étaient dans l’incertitude, réagit Frank Van Gool, directeur général de Renta, la fédération belge de location de véhicules. Les loueurs ont réduit leur flotte en mars et avril. On pourrait donc même constater un éventuelle pénurie dans certaines catégories de véhicules. Mais il faut espérer que ce marché suive celui du B to B, qui a déjà récupéré 70% de son volume. ” C’est d’autant plus rageant que la flotte et le volume d’affaires augmentaient de 3 à 5% par an ces cinq dernières années. Les analystes estiment qu’il faudra de deux à trois ans pour simplement revenir au niveau initial avant Covid.

La voiture perçue, plus encore aujourd’hui, comme une protection contre les agressions extérieures. C’est ce qui ressort d’un autre sondage, réalisé il y a deux mois par l’Association 40 millions d’automobilistes, juste avant le confinement. Plus de quatre Français sur cinq (82,3%) déclaraient alors que la voiture restait leur moyen de transport favori, contre 7% pour la moto, 5,4% la marche et 3,6% le vélo. Un raz-de-marée pour le transport individuel au détriment du collectif vécu avant tout comme une contrainte.

Laurent Sculier (Avis Budget Group France Benelux) : “Pas un retour à la normale avant, au plus tôt, 2023”

Pour le président d’Avis Budget Group France Benelux, numéro deux du secteur, l’éclaircie attendue sur le marché de la voiture de location grâce aux vacances ne devrait pas permettre de rétablir la ” normale ” avant de longs mois.

TRENDS-TENDANCES. Beaucoup de touristes décident de partir moins loin, la peur de la contagion fait préférer un transport non commun et la liberté retrouvée s’adapte bien à la flexibilité maximale qu’offre la voiture individuelle. Vous devriez être aux anges après trois mois de disette…

LAURENT SCULIER. Il faut distinguer les situations. Le marché de la location à long terme de véhicules professionnels (800 véhicules en Belgique) est resté intact pendant la crise. Par contre, le marché des particuliers à court terme, qui représente d’ordinaire chez nous une flotte de location de 2.700 véhicules, s’est dégradé très vite. Si plus personne n’arrive gare du Midi pour trois jours de réunions, de visites de partenaires et de voyage professionnel, nos voitures restent au garage. Même chose aux aéroports de Bruxelles et de Charleroi. Nous avons gardé nos bureaux ouverts pour la remise d’un ou deux véhicules occasionnels, mais 90% de notre activité avait disparu à la mi-mars. Nous avons dû réduire d’urgence notre parc, en suspendant les achats de voitures neuves et en accélérant la vente d’une partie de nos véhicules, qui n’ont jamais plus de 6 à 10 mois, avec un âge moyen qui oscille entre deux et trois mois. Bref, on en a peu parlé, mais ce lockdown a représenté une sorte de catastrophe majeure pour notre secteur.

Le retour progressif à la normalité de la mobilité devrait donc vous donner de l’air.

De l’air, certainement, mais pas la sérénité. Si les touristes belges louent un véhicule pour aller en Alsace ou sur la Côte d’Opale, si la demande est plus forte pour faire face aux loisirs, nos projections espèrent limiter les pertes à 30 à 40% par rapport à une année ordinaire. Les pertes sur l’international devraient se monter à 70% car les touristes internationaux ne reviendront pas des Etats-Unis, d’Asie et d’Afrique du Sud en 2020. Cependant, les boules de cristal les plus efficaces ne peuvent prévoir des scénarios face à une situation qui évolue au jour le jour. On vient ce 15 juin de rouvrir les frontières avec la France, on verra si cela augmente la demande. Le climat est très volatil. Sincèrement, je n’espère pas un retour à la normale avant, au plus tôt, 2023…

Mobilité: la voiture de location attend les vacances avec impatience
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Le Belge reste encore rétif à la location.

Oui. Au centre-ville de Bruxelles, beaucoup de nos clients sont des expatriés, parfois avec familles. Ces gens n’ont plus de véhicules personnels, ils utilisent les transports en commun et louent un véhicule plaisir ou loisir pour des vacances de deux semaines ou un week-end à la mer ou en Ardennes. Si on fait les comptes sur une année, détenir un véhicule coûte bien plus cher que cette manière de faire. Et cela comprend une assurance dépannage. Rien qu’en France, il y a 500 agences prêtes à vous prendre en charge en cas d’un souci.

Pour les convertir, cet été, vous dopez la demande avec des petites faveurs…

Oui. Avis Belgique a rendu toutes les réservations directes plus flexibles. Les clients réservant directement auprès d’Avis peuvent modifier ou annuler toute réservation effectuée en Europe pour la location débutant avant le 1er septembre 2020 sans frais supplémentaires. De plus, si les clients choisissent d’annuler avant la date de départ, Avis procédera à un remboursement complet. Nous ne passons pas par une proposition de report ni sur une prochaine location. C’est une manière de nous adapter au comportement du touriste, qui réserve le plus tard possible afin d’être certain que la situation sanitaire et légale lui permettra bien d’effectuer son voyage. Et s’il doit annuler parce qu’un aéroport ferme ou qu’un pays reverrouille ses frontières, il disposera de son argent tout de suite pour reformer un autre projet de vacances. Brussels Airlines, Ryanair, TUI ou encore Europcar remboursent tous en voucher. C’est devenu la nouvelle ” norme ” du secteur en crise. Une norme à laquelle nous avons décidé de ne pas participer en remboursant ” en argent “. En espérant que le touriste aura aussi besoin d’une voiture dans sa destination de substitution.

Vos charges ont également augmenté. A cause du nettoyage, par exemple.

Les protocoles de nettoyage ont été encore améliorés, notamment grâce à l’utilisation de désinfectant qui protège les clients et les employés. Tous les véhicules sont méticuleusement nettoyés avant chaque location, en accordant une attention particulière aux surfaces qui sont beaucoup touchées, telles que le volant, le tableau de bord, les poignées, les commandes, les porte-gobelets, les consoles centrales. Et les mesures de distanciation sociale sont bien sûr maintenues dans toutes les agences ; les employés reçoivent un équipement de protection individuel et des écrans de protection sont installés aux comptoirs.

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