Meta, Twitter, Uber, Deliveroo, Netflix: “L’économie de plateformes est à bout de souffle”
Le secteur des technologies s’écrase. “On arrive au bout de ce qu’elles pouvaient exploiter en terme d’effet de réseau”, analyse Paul Belleflamme, professeur d’économie à l’UCLouvain. Ces entreprises doivent se réinventer.
Paul Belleflamme est professeur d’économie à l’UCLouvain, spécialiste de la question des plateformes. Il analyse pour Trends Tendances le tournant majeur du moment pour les géants du web, qui subissent une crise importante avec perte de valeurs et plans de licenciements.
Assistons-nous à un tournant pour les GAFAM?
Ce qui est certain, c’est qu’ils se ramassent tous, pour le moment. Le secteur de la tech a bien dévissé, le Nasdaq a perdu 30% sur ces deux derniers mois, alors que le Dow Jones s’est écrasé de 10%. C’est donc bien du côté des firmes technologiques que la perte est le plus importante.
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Tout le monde subit l’inflation, la hausse des taux d’intérêt, la diminution de la dépense des ménages pour ce qui est moins nécessaire, notamment des abonnements : cela explique partiellement le fait que ces entreprises soient plus touchées que d’autres. Les modèles gratuits, eux, subissent la diminution des publicités, c’est là que Meta est peut-être davantage touchée que les autres, d’autant plus s’il y a un désamour de la part du public. Par rapport à Apple et Google, Meta ne dispose, en outre, pas de son propre point d’entrée, il est dépendant du bon vouloir des autres pour l’accès à son application. C’est son grand problème.
Mais n’y a-t-il pas un problème plus général de modèle économique?
Sans doute que oui, et il ne faut pas parler que des GAFAM, mais bien de toutes les plateformes en ce compris Uber, Deliveroo, Spotify, Netflix et autres. On se rend compte qu’elles arrivent un peu au but de ce qu’elles pouvaient exploiter en terme d’effet de réseau.
L’effet de réseau, c’est l’idée que la plateforme devient de plus en plus attractive au fur et à mesure qu’elle a des utilisateurs. Cela permet aussi, pour Meta ou Netflix, d’avoir davantage de contenus à échanger, de produire des contenus précis. Pour Uber, cela permet d’avoir davantage de chauffeurs et d’offrir un meilleur service aux passagers en diminuant le temps d’attente. Cela explique aussi leur forte croissance, même si cela nécessite de grands investissements au début avec un retour qui prend du temps à arriver.
Mais au fil du temps, cet effet de réseau a des retours de plus en plus faibles pour les entreprises.
Parce que la croissance n’est pas infinie?
C’est un premier point. Mais au-delà de cela, les premiers utilisateurs que l’on parvient à attirer ont beaucoup plus de valeurs que ceux qui arrivent ensuite. Il arrive un moment où les effets positifs de cette augmentation du réseau deviennent de moins en moins importants.
La performance est moindre, en réalité?
Exactement. C’est l’effet marginal tel qu’on le calcule en économie. L’apport du dernier utilisateur devient de plus en plus faible. Cela vaut pour Uber comme pour Netflix. et cela reste un business incertain: on a beau savoir le goût moyen des utilisateurs, ce que permettent le nombre croissant de données obtenues, il n’en reste pas moins que le succès d’une série ou d’un film est aléatoire.
Y’a-t-il un effet de lassitude: trop de connexions, trop de sollicitations…?
Quand on fait un peu d’introspection, il faut reconnaître que l’on est un peu fatigué de ce modèle, aussi. Parce qu’il y a trop de sollicitations, c’est vrai, mais aussi parce que l’on paye, d’une façon ou d’une autre, et que l’on est de plus en plus sensible à l’utilisation qui est faite de nos données… Ces entreprises deviennent aussi de plus en plus grosses, ce que l’on n’aime pas trop, on se méfie de leur omniprésence. Personne ne va se prendre de pitié à l’idée de les voir se casser un peu la figure.
Y’a-t-il un effet générationnel?
Dans le cas de Meta, oui: Facebook est un réseau social de vieux, les jeunes préfèrent TikTok. C’est aussi l’illustration que les barrières à l’entrée se sont réduites. Il y a les barrières constituées par le pot de consommateurs que les firmes installées ont déjà et il est difficile de faire migrer tout un groupe. Si on migre seul, on perd les effets de ce qui a été engrangé. Mais dans le cas de TikTok, c’est effectivement une nouvelle génération d’utilisateurs qui s’en empare.
Par ailleurs, la technologie s’est démocratisée et les modèles d’affaires sont bien connus. Lancer une plateforme, cela reste compliqué, mais le fait que les consommateurs y soient habitués permet d’en lancer plus facilement qu’il y a dix ans.
On va donc vers une plus grande diversité de plateformes?
C’est ça. Se faire tailler des banderilles par des concurrents devient facile possible aujourd’hui. Les portes s’ouvrent pour de nouvelles plateformes avec des modèles d’affaires similaires, mais avec une approche un peu différenciée. Cela dit, il y a moins de cash disponible, tout simplement, et la stratégie consistant à gonfler sans fin pour espérer dominer le marché et obtenir une position dominante n’est plus aussi évidente.
Dernier point à prendre en considération: les régulateurs sont devenus de plus en plus importants. Le pressing, comme on dit en foot, est de plus en plus important.
Les conséquences de tout cela sont importantes pour l’emploi: l’année dernière, 45000 emplois ont été perdus et les plans de licenciements actuels de Meta et Twitter vont encore renforcer cette tendance ;
Un petit mot sur Twitter : le rachat par Elon Musk change le modèle, voire vise à en faire un instrument politique. C’est aussi une évolution significative, non?
Tout à fait, c’est une évolution forte que le rachat d’une entreprise par une personne et le fait qu’elle ne sera plus cotée en bourse. Du côté de Meta aussi, c’est Zuckerberg qui prend toutes les décisions, il y a une forme de dépendance à l’égard d’une personne, sans contrôle externe. Ils ont montré qu’ils étaient des businessmen éclairés, mais il y a peut-être une forme de mégalomanie qui peut être préjudiciable. L’avenir de ces entreprises peut être lié aux humeurs de leurs boss.
Pour revenir à Elon Musk et Twitter, c’est difficile à comprendre parce qu’il s’est engagé dans un bourbier pas possible en payant un montant que tout le monde considère excessif. C’est une entreprise qui ne faisait pas de profits et on ne voit pas très bien comment elle pourrait en faire. Il veut rendre tout payant, mais un des risques pour un tel réseau, c’est que si cela marche bien quand il enfle rapidement, il peut aussi tout perdre quand tous les rats quittent le navire. Cela peut aller très vite dans un sens comme dans l’autre. Or, on n’est prêt à payer que s’il y a beaucoup de contenu et donc d’utilisateurs. C’est un équilibre difficile à trouver s’il n’y a plus personne.
La technologie pour que tout cela fonctionne, c’est la modération de contenus, un business extrêmement complexe sur lequel tout le monde se casse les dents. Et dire que l’on ne fait plus de contrôle, que c’est la liberté d’expression, c’est le meilleur moyen… pour qu’il n’y ait plus de liberté d’expression, justement. Tout le monde risque de se détacher d’un univers qui n’est plus contrôlé ;
En outre, quand Elon Musk annonce qu’il va voter républicain, il risque de transformer le réseau en instrument politique…
Chacun a droit son positionnement politique, mais d’un point de vue purement business, si Elon Musk oriente le contenu d’une certaine manière, il faut s’attendre à ce que les utilisateurs soient ceux qui sont d’accord avec lui, comme Trump l’a fait avec son propre réseau social. Mais garder la base actuelle des utilisateurs de Twitter avec une liberté d’expression contrôlée pour qu’il n’y ait pas tout et n’importe quoi, c’est extrêmement important pour les publicitaires évidemment qui sont réticents à s’asscoier à du contenu haineux. Ils risquent d’être les premiers à s’en aller. Ce pourrait être un cercle vicieux, d’autant plus si les utilisateurs s’en vont en nombre.
Est-il difficile de réinventer le modèle ? Meta a investi massivement dans son univers virtuel, sans grand succès jusqu’ici…
La sauce ne prend pas, en effet. En ayant leur propre univers Metavers, ils auraient le contrôle de leur propre point d’entrée. Mais ce n’est pas le plus commode : pour utiliser un casque virtuel, il faut environ 9m2 plus ou moins libres, cela implique des contraintes techniques énormes à l’utilisateur au-delà de l’investissement. On voit mal, dans l’était actuel de la technologie, comment cela pourrait se développer.
Est-ce la fin d’un monde dominé par les Etats-Unis ?
Je ne sais pas, je ne crois pas que ces entreprises vont disparaître et elles gardent une valeur non négligeable, tout de même. Le tout, c’est de retrouver une nouvelle vitesse de croisière qui fonctionne. Cela démontre toutefois que ce sont des modèles assez friables parce que les sources de revenus sont largement dépendantes des interdépendances entre les utilsateurs.
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