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Maria Alekhina (Pussy Riot): “Il faut faire le choix d’agir et de surmonter sa peur”

Maria Alekhina, membre du groupe de punk-rock féministe Pussy Riot, appelle à vaincre la peur et l’indifférence, pour combattre la nouvelle norme instaurée par Poutine.

La révolution, c’est la vie, et on est toujours confronté à un choix : agir ou être en retrait. Quiconque se jette dans le combat contre l’injustice imposée par un régime en vient vite à comprendre que son renversement ne se produira pas tout de suite. Parmi les Russes descendus dans la rue en 2012 pour manifester contre le régime, nombreux sont ceux qui ont aujourd’hui quitté le pays. Des centaines de personnes sont derrière les barreaux. Les assassinats politiques ne sont toujours pas un phénomène du passé. La gouvernance pompeuse de Vladimir Poutine est, pour citer Pouchkine, ” un festin en temps de peste “.

Les gens que j’ai rencontrés à l’étranger voient mon pays comme une machine à tuer, avec le président Poutine aux manettes. Cela me fait penser au film russe intitulé To Kill a Dragon. Car, à chaque fois que l’on évoque devant moi une personne qui se considère comme un dirigeant, je repense à ce film. Il ne suffit pas de trancher la tête du dragon. D’autres têtes subsistent. Comment faire pour les couper toutes ?

La réponse repose dans ma conviction que la révolution est un processus politique qui se déroule en chacun de nous : c’est le choix d’agir et de surmonter sa peur, laquelle surgit dès qu’on commence à agir. Nos ennemis sont la peur et l’indifférence. Ce sont elles qui permettent aux services de sécurité d’exercer leur emprise sur un pays immense comme la Russie, après avoir mis au pouvoir le petit espion fade et sans relief qu’est Vladimir Poutine.

Comment est-il possible que la Russie soit aujourd’hui associée au seul Vladimir Poutine ? La réponse est simple et cynique. C’est là l’image que ce pays se crée lui-même. Le cri de ralliement pour les artistes, les militants et les médias indépendants pourrait donc être ” Construire un monde autre que celui formé par la politique officielle “.

De ce point de vue, le ” rideau de fer ” n’est pas une expression politique du 20e siècle, mais une muraille de méfiance construite par chacun d’entre nous lorsque nous refusons d’assumer nos responsabilités et de prendre part à la vie politique. C’est le mur de séparation entre ” eux ” et ” nous “.

Le nouveau rideau de fer ne pourra être abattu que par des personnes dynamiques et des groupes actifs. Ce qui signifie que nous devons cesser d’avoir peur de nous regarder les uns les autres.

La propagande officielle nous qualifie de ” cinquième colonne ” – un terme militaire des années 1930. Autant dire que nous sommes en guerre. Mais cette guerre est invisible, et de ce fait encore plus dangereuse. Pourtant nous ne sommes pas des ennemis de l’Etat. La Russie n’est pas l’ennemie de l’Europe. Et la guerre que tout Européen peut déclarer contre ceux qu’il considère dangereux et hostiles est de même nature que celle qui a été déclarée contre nous lorsqu’on nous a emprisonnées pour protéger la société contre le danger supposé que nous représentions.

En d’autres termes, la crise des migrants que connaît l’Europe relève de la même peur, de la même méfiance et de la même indifférence envers les autres. Comment pouvez-vous considérer comme ” autres ” ceux qui franchissent des frontières et risquent la mort afin de vivre comme vous ? L’idée de la supériorité d’un groupe sur un autre est étroitement liée au sentiment de pouvoir du régime et à son instauration d’une ” norme “. Mais combattre la ” norme ” – qu’un écrivain russe, Vladimir Sorokine, compare habilement à la lie que le pouvoir sert chaque matin aux masses obéissantes – est l’une des forces motrices de ma vie.

Quand on y réfléchit un instant, une grande partie de ce qui passait pour être la norme il y a un siècle est aujourd’hui considéré comme du racisme. Ce qui était considéré comme la norme il y a un demi-siècle est aujourd’hui qualifié de totalitarisme. La façon dont nos actes seront décrits dans les futurs livres d’histoire dépend entièrement de nous.

Combien de nos enfants, à la ligne “Lieu de naissance” de leur passeport, auront un pays inexistant ?

Maria Alekhina

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