Mais quelle est donc la potion anti-crise des Suédois?

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La suédoise est le terme donné à la coalition politique formant notre gouvernement. Mais c’est aussi un modèle économique qui a étonnamment bien traversé la crise. Taux d’emploi au plus haut, endettement au plus bas, bonne croissance… Quelle est cette potion magique qui fait que la Suède passe au travers de la crise ?

Ama gauche, la Suède : une dette publique de 43,4 %, un chômage de 7,4 %, un taux d’emploi (la proportion d’emploi temps plein dans la classe des 25-64 ans) exceptionnel de 75,7 % et un pays qui traverse la crise sans gros remous (avec un taux de croissance moyen de 2,6 % ces trois dernières années). A ma droite, la Belgique, avec une lourde dette publique de 106 % du PIB, un taux de chômage de 8,5 %, un taux d’emploi qui atteint péniblement 61,9 % et une croissance qui se traîne depuis au moins trois ans en dessous de 1 % en moyenne au cours de ces trois dernières années.

L’admiration pour ce modèle scandinave est générale et transcende les courants de pensée. ” Je ne comprends pas pourquoi nos regards se sont détournés de ce modèle “, assène l’économiste Philippe Defeyt, administrateur de l’Institut pour un développement durable. ” Nous avons beaucoup à en apprendre “, abonde Jean Hindriks, professeur à l’UCL et senior fellow de l’institut de recherche Itinera. ” Vive le modèle suédois “, s’exclame quant à lui Philippe Aghion, professeur d’économie au Collège de France.

Pourtant, entre la Suède et la Belgique, il y a beaucoup de points communs : les deux pays ont un passé industriel, ont connu une grave crise bancaire, ont une population de taille similaire (11,5 millions Belges pour 9,8 millions de Suédois) et ont subi la désindustrialisation (le géant automobile Saab est par exemple tombé en faillite). Mais dans le match économique, la Suède nous écrase tant en matière d’emploi que de gestion des finances publiques ou de croissance.

Mais quelle est donc la potion anti-crise des Suédois?
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Il y a certes aussi quelques différences de base, comme la dynamique démographique. ” La Belgique a connu une hausse importante de sa population reposant en partie sur l’immigration, souligne Philippe Defeyt. En effet, ces 10 dernières années, les populations belge et suédoise ont chacune augmenté de 800.000 personnes, mais la dynamique est différente. Selon Eurostat, en 2080, la Belgique devrait compter 16,6 millions d’habitants, contre seulement 14,1 millions pour la Suède. Pendant un temps, tous ces nouveaux arrivés sur le marché du travail, dont un certain nombre sont issus de l’immigration, ont du mal à trouver du travail, ce qui pèse sur les statistiques de l’emploi, notamment. ” A terme, bien sûr, tout s’équilibre : davantage de population, c’est davantage d’activités, davantage de recettes et de revenus… “, tempère Philippe Defeyt. Mais il y a un temps d’adaptation qui pourrait expliquer en partie l’écart de performance entre les deux pays.

Potion magique

En partie seulement, car d’autres facteurs entrent en ligne de compte. En fait, dans la potion magique que prennent les Suédois, il y a deux ingrédients principaux : le pragmatisme et la solidarité.

Dans la potion magique que prennent les Suédois, il y a deux ingrédients principaux : le pragmatisme et la solidarité.

” Ce modèle est basé sur une forte cohésion sociale, explique l’économiste Geert Noels, fondateur de la société de conseil et de gestion de patrimoine Econopolis. La population est d’accord d’y adhérer et d’en respecter les règles, poursuit-il. En Suède, on observe moins de dégradation de biens publics, moins de travail au noir et une plus grande adhésion au système fiscal. Chaque habitant se sent responsabilisé face à la collectivité et a conscience que ses actions comptent. Cela provient sans doute de cette culture calviniste que l’on rencontre dans d’autres pays scandinaves, mais aussi aux Pays-Bas et en Suisse. Mais ce sentiment de solidarité fait aussi que tout le monde essaie d’être actif .”

C’est cela qui frappe de prime abord : la Suède est la championne du taux d’emploi, quelle que soit la manière dont on le calcule. Si l’on estime le nombre de personnes qui ont un emploi (à temps plein ou partiel) dans la catégorie d’âge des 25-64 ans, on arrive à plus de 80 %, contre 67 % en Belgique. En calculant en équivalents temps plein, la Suède bat là aussi tous les records avec 75,5 % d’équivalents temps plein parmi les 25-64 ans, contre seulement 61,2 % chez nous.

Certes, tout n’est pas rose. La Suède réussit très bien à accompagner un travailleur qui change d’emploi, mais elle éprouve les mêmes difficultés que d’autres à combattre le chômage des jeunes : trouver un premier emploi n’est pas facile, et un certain nombre de jeunes Suédois quittent le pays, observe Jean Hindriks.

Il reste que cette volonté des Suédois de mettre tout le monde au travail est une des caractéristiques les plus connues du modèle scandinave : ce qu’on appelle la flexisécurité : la priorité du système ne consiste pas à conserver l’emploi, mais à accompagner ceux qui le perdent pour en trouver rapidement un nouveau. ” La Suède se distingue par l’attention des autorités portée au capital humain “, souligne Philippe Defeyt. Une attention qui ne date pas d’hier. L’instruction obligatoire remonte à 1842 et les grandes écoles techniques, destinées à former ingénieurs et techniciens pour l’industrie sidérurgique et papetière, sont nées au milieu du 19e siècle. Cela peut ressembler à l’histoire de l’enseignement en Belgique, mais la grande différence réside dans l’importance de l’effort qui est continué à être supporté par le pays. La Suède, aujourd’hui, dépense plus de 8 % de son PIB dans l’enseignement et la formation, ce qui est un record mondial (la Belgique tourne aux alentours de 6,5 %). Ainsi, l’enseignement est complètement gratuit jusqu’à l’université ou l’école supérieure. Cette gratuité englobe les transports, les fournitures, les repas… A cela s’ajoute un système de formation continue très efficace, qui supporte un effort en innovation, recherche et développement plus poussé qu’ailleurs. ” La Suède est un pays qui effectue de grandes dépenses de formation professionnelle. Ce qui est normal dès que l’on sait que l’on va travailler longtemps, explique Jean Hindriks. C’est dans l’intérêt du travailleur, mais aussi de l’entreprise de soutenir ce système de formation professionnelle qui va accompagner le travailleur tout au long de sa carrière. Le taux d’emploi des seniors est donc en Suède exceptionnellement élevé. ”

Mais quelle est donc la potion anti-crise des Suédois?
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L’enseignement et la formation professionnelle ne sont pas le seul secteur à supporter l’emploi. Toute l’administration est bâtie pour aider les gens à travailler. Ainsi 8,9 % des Suédois ont un second emploi, contre seulement 4,1 % des Belges. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les personnes qui ont deux emplois ne sont pas des travailleurs à l’emploi précaire obligés de nouer les deux bouts en cumulant des petits jobs “, souligne Philippe Defeyt. Ce sont plutôt des gens assez bien qualifiés. Et si les Suédois sont les champions de ce double emploi, ” c’est parce qu’ils ont davantage de temps que d’autres “, ajoute l’économiste namurois, du fait qu’ils disposent facilement de crèches, de services publics performants, etc.

Une administration efficace

L’administration. C’est là l’autre grande caractéristique du modèle suédois.

Parmi les grandes réformes entamées par la Suède dans les années 1990, une des plus importantes concerne les dépenses publiques.

Cette dynamique suédoise n’a-t-elle pas été rendue possible parce que la Suède a pu conserver sa politique monétaire ?

Les Suédois ont en effet profondément modifié leur administration. ” A la place de grands ministères, ils ont mis en place des centaines d’agences autonomes, qui restent des administrations publiques, mais qui ont chacune une compétence définie, une mission unique et disposent d’un budget déterminé qu’elles ont la liberté de gérer en fonction des objectifs qui leur ont été assignés, explique Jean Hindriks. C’est le contraire, par exemple, du tri des déchets en Région wallonne, une tâche pour laquelle il n’existe pas en Wallonie de compétences claires et pour laquelle, donc, les responsabilités sont diluées.

Parallèlement à cette refonte des services publics, les Suédois ont aussi revu leur système de pension qui commençait à prendre l’eau. Ils ont instauré un système, cumulant retraite par répartition et par capitalisation. Chaque Suédois reçoit dans le courant du mois de février de chaque année une petite enveloppe orange dans laquelle il trouve une estimation de sa pension sur la base de ce qu’il a déjà engrangé et en fonction de divers scénarios. ” On peut comparer ce système à une voiture dotée d’un GPS (on sait où l’on va) et d’un ABS qui évite les dérapages “, observe Jean Hindriks. Dès qu’un déficit apparaît dans le système, un ajustement automatique s’opère. ” On s’épargne donc de longues discussions politiques pour savoir comment rectifier la trajectoire “, ajoute l’économiste. Cet ajustement peut se réaliser de diverses manières : en allongeant la durée de cotisation, en relevant le montant de la cotisation, en gelant pour une ou plusieurs années les montants des pensions au coût de la vie. ” Mais depuis que le système existe, je n’ai jamais observé une baisse nominale des pensions “, précise Jean Hindriks qui précise que ce système d’ajustement s’accompagne aussi d’un système de rattrapage lorsque la conjoncture s’améliore.

Mais quelle est donc la potion anti-crise des Suédois?
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A cette remise en ordre des dépenses publiques, la Suède, dans les années 1990, ajoute aussi une grande réforme fiscale, abaissant le taux marginal d’imposition des tranches de revenus les plus élevées, et abaissant substantiellement le taux nominal de l’impôt des sociétés. ” Cette réforme fiscale a produit des effets étonnants sur l’économie suédoise, soulignaient Philippe Aghion et Bérenice Berner (professeur à Harvard) dans une carte blanche publiée par Le Monde. Un taux d’épargne brut qui augmente de près de quatre points sur les 20 dernières années et un saut en matière d’innovation : entre 1990 et 2010, le nombre annuel de brevets par millier d’habitants passe en Suède de 1 a 2,5 .”

Les mérites de la couronne

Reste une question à cinq euros : cette dynamique suédoise n’a-t-elle pas été rendue possible parce que la Suède, ne faisant pas partie de l’euro, a pu conserver sa politique monétaire et donc pu soutenir son économie en abaissant la valeur de la couronne ? Depuis quatre ans ; la couronne se déprécie en effet face à l’euro.

La Suède joue-t-elle dès lors le jeu de la dévaluation compétitive pour supporter ses exportations ? ” Je ne crois pas, répond Geert Noels. Il est vrai qu’à court terme on a pu observer une faiblesse de la couronne qui peut donner un peu d’oxygène. Mais à long terme, la couronne suédoise a toujours été liée au mark allemand. La devise suédoise ne s’est pas caractérisée par une faiblesse persistante par rapport à l’euro. La Riksbank, la banque centrale suédoise, est la plus vieille banque centrale au monde et ne pratique pas un laxisme monétaire “, ajoute-t-il.

Toutefois, ne pas être membre de la zone euro peut quand même constituer un avantage. ” La Suède a gagné quelque chose en restant à l’extérieur, expliquait l’ancien ministre suédois des Finances Anders Borg à The Economist. Etre un outsider vous force à mettre en ordre vos finances publiques et votre compétitivité. Si vous savez que l’hiver risque d’être très froid, vous devez vous assurer que votre maison a été solidement construite. ” Et maintenant que l’hiver est là, on voit les maisons les plus résistantes. Tout le pragmatisme suédois…

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