Ludivine Dedonder: “L’armée va nouer des partenariats avec des entreprises de cybersécurité”
Ces partenariats serviront à l’achat d’équipements technologiques mais aussi peut-être au partage de techniciens qualifiés, qui pourraient prester à temps partiel pour la défense, explique la ministre de la Défense Ludivine Dedonder.
L’armée a souvent servi de variable d’ajustement lors de la confection des budgets fédéraux. Ce n’est plus le cas puisque le gouvernement Vivaldi vient d’approuver le plan STAR (securité, technologie, ambition, résilience) qui doit porter le budget de la Défense à 1,54% du PIB, contre 1,1% en début de législature. Cela représente un apport cumulé de plus de dix milliards d’euros supplémentaires. La ministre de la Défense Ludivine Dedonder (PS) nous explique à quoi servira cet argent.
Le budget annuel de la Défense grimpera progressivement de 4,2 à 6,9 milliards d’euros. Quelles sont vos priorités d’affectation ?
Ludivine Dedonder. Depuis ma prise de fonction, je me suis d’abord focalisée sur le moteur de l’organisation, à savoir son personnel. Nous avons travaillé pour une revalorisation salariale et une amélioration du cadre de vie, pour rendre la Défense attractive comme employeur. Pour la première fois depuis très longtemps, la vision stratégique du département intègre une trajectoire de croissance du personnel. Il doit passer de 24.000 aujourd’hui à 29.000 personnes d’ici 2030.
J’accorde beaucoup d’importance au rôle de formation, d’éducation que peux jouer l’armée. Nous lancerons cette année les bases du service d’utilité collective. Elle représente une très belle opportunité pour les personnes non-qualifiées d’acquérir des compétences, de bénéficier d’un bon encadrement et, in fine, de sortir de l’inactivité. C’est peut-être la touche socialiste de mon action.
Vous veillez aussi à ce que l’armée soit plus présente en Belgique, en jouant un rôle de services à la population…
L’armée doit bien sûr être capable de se déplacer en territoire étranger en cas de besoin. Mais elle doit aussi pouvoir intervenir sur le territoire national en cas de crise. Ce fut le cas après les attentats, pour la vaccination contre le Covid-19 ou pour venir en aide aux victimes des inondations. Ce volet “aide à la nation” avait été un peu mis de côté, nous voulons le remettre à l’honneur.
Cela implique d’investir dans des capacités duales, pour qu’elles puissent être utiles aussi bien dans les services à la population que lors d’interventions militaires classiques. Lors des inondations, des moyens supplémentaires dans la logistique ou le génie auraient été bien utiles par exemple. C’est vrai aussi dans le domaine médical, il faudra intensifier les collaborations avec le réseau hospitalier. Une partie des moyens supplémentaires serviront à cela.
L’accord de gouvernement prévoit la constitution d’une nouvelle composante de l’armée belge : la cyber-sécurité. En ce domaine, le recrutement ne risque-t-il pas d’être particulièrement compliqué ?
Nous avons besoin de profils qualifiés évidemment mais nous pouvons aussi accueillir des moins qualifiés. L’un des grands atouts de l’armée, c’est sa capacité à former les gens. Nous n’avons pas forcément besoin de diplômés mais de personnes qui ont envie d’apprendre, des geeks qui veulent évoluer avec un encadrement professionnel. Des gens nous rejoignent parce que nous leur apportons une formation continue et nous leur permettons d’avoir accès à toute une série d’informations qui ne sont pas disponibles ailleurs.
Il y a déjà une guerre des talents entre les entreprises, la Défense pourra-t-elle vraiment y faire son trou ?
Je ne vois pas cela en terme d’opposition avec les entreprises. Au contraire, nous recherchons des partenariats avec les sociétés existantes dans le domaine de la cybersécurité, comme dans d’autres ailleurs. Ces partenariats peuvent aussi se décliner en termes de moyens humains : des travailleurs d’une start-up de cybersécurité pourraient prester à temps-partiel pour la Défense. Il faudra bien définir les modalités mais les entreprises que j’ai rencontrées sont très intéressées par de tels partages d’expériences et d’expertises. Vous savez, toute ma note de politique générale est traversée par ce souci de multiplier les partenariats. C’est la Défense qui s’ouvre sur la société, sur le monde académique et sur le monde industriel. Tout simplement parce que nous avons des défis communs.
Pour en revenir à la composante Cybersécurité, nous mettrons en place un premier commandement Cyber à la fin de l’année. Il y aura ensuite une montée en puissance pour constituer la composante Cyber avant la fin de la législature, ce qui nécessite des investissements en moyens humains et en capacités. L’idée n’est pas de tout rassembler à Evere mais d’avoir des relais dans différentes casernes, des unités Cyber un peu partout en quelque sorte.
Vous parlez de partenariats avec le monde économique. Ces derniers temps, on a plutôt entendu des regrets de chefs d’entreprise qui constatent que les retombées des gros contrats militaires (F35, blindés…) ne sont pas à la hauteur des attentes ou des promesses. Quelles garanties pouvez-vous offrir quant aux retombées économique des 10 milliards supplémentaires de votre département ?
Il y a vraiment de grandes opportunités à saisir pour renforcer la base industrielle du pays. La Défense collaborait le monde économique sur une série de projets de recherche. Nous allons injecter des moyens conséquents dans la R&D (l’accord de gouvernement prévoit de porter les budgets annuels de 8 à 30 millions d’euros d’ici 2025 et jusqu’à 140 millions en 2030, ndlr), pour donner plus d’envergure à ces projets communs de recherche, en espérant parvenir ainsi à maximiser les retombées.
L’idée derrière tout cela, c’est que les entreprises soient partenaires dès le développement d’un nouveau programme et qu’elles soient ainsi très concurrentielles. Nous avons trop souvent constaté qu’elles étaient simplement appelées pour vendre des pièces, une fois que les dossiers sont bouclés, qu’elles devaient se raccrocher à des programmes élaborés par d’autres. Nous allons agir beaucoup plus en amont avec les entreprises. Les niches prioritaires doivent encore être définies mais on y retrouvera très certainement les grands axes que sont la cybersécurité, la lutte contre les mines marines, l’aérospatial, le biomédical et les énergies durables.
Y aura-t-il encore de très gros marchés, du niveau des F35 ou des blindés ?
Nous n’allons pas racheter d’autres avions tout de suite mais, oui, avec notre budget nous pourrons lancer de nouveaux programmes très conséquents. Nous prévoyons aussi des financements récurrents pour aider les entreprises belges à participer activement aux programmes européens de grande ampleur pour les technologies du futur. Nous insistons pour renforcer l’Europe de la défense, il est important que nos entreprises soient en capacité de s’inscrire dans ces grands projets d’avenir à l’échelle européenne. En les impliquant en amont, nous mettons tout en place pour que nos entreprises soient choisies demain pour leur expertise et non via des mécanismes de compensation en bout de course. C’est un changement essentiel.
Pour les marchés en cours, que répondez-vous aux entreprises qui regrettent le manque de retombées ?
Dans ces programmes, nous sommes toujours dépendants et c’est effectivement embêtant. Si nos entreprises pouvaient être à la manoeuvre dès le début, soutenues par le gouvernement et l’armée, nous aurions d’autres retombées. C’est pourquoi nous allons agir plus en amont. Le plan STAR nous donne les moyens d’investir dans la R&D et de travailler en partenariat avec les entreprises dès le développement des programmes.
Cela dit, nous ne restons pas inactifs : nous avons déjà débloqué 150 millions d’euros, sur une enveloppe de 277 millions, pour soutenir une dizaine d’entreprises belges impliquées dans le programme F35. L’aide publique les aide à entrer dans ce processus, à développer une pièce, un composant pour ces avions. Pour le programme CaMo (Capacité Motorisée), il y aura encore des opportunités pour les entreprises belges, notamment dans les contrats de maintenance. Mais encore une fois, c’est le consortium français (Nexter, Thales et Arquus) qui est à la manoeuvre.
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