Loi anti-abus : le fisc dresse sa “liste noire”

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L’administration fiscale vient de publier une série d’exemples d’opérations abusives en matière de succession et de donation. La planification successorale ordinaire n’est pas remise en cause.

C’est fait ! L’administration vient de publier une seconde circulaire relative à la mesure anti-abus. On se souviendra que le secrétaire d’Etat en charge de la Lutte contre la fraude fiscale, John Crombez (sp.a), avait exigé des précisions de l’administration quant à la portée exacte de la nouvelle disposition anti-abus (nouvelle mouture de l’article 344 du Code des impôts sur les revenus, entrée en vigueur le 1er juin dernier) suite au tollé provoqué par certaines déclarations dans la presse, laissant entendre que planifier sa succession serait dorénavant considéré comme un abus fiscal. Pour tenter de calmer les esprits, l’administration a donc dressé une liste, non exhaustive précisons-le, d’opérations sûres ou suspectes. C’était une demande expresse du secrétaire d’Etat. L’administration s’est donc pliée à cette exigence mais à contrecoeur.

Le don manuel reste possible

Parmi les montages successoraux qui ne peuvent pas, en soi, être considérés comme relevant de l’abus fiscal, on retrouve : le don manuel ou par virement bancaire, la donation par acte passé devant notaire étranger (aux Pays-Bas, par exemple), la donation échelonnée de biens immeubles avec période intermédiaire supérieure à trois ans, la donation avec charge, la donation assortie d’un retour conventionnel, la donation avec réserve d’usufruit, la donation sur le lit de mort, les clauses de tontine ou d’accroissement, le legs en duo pour autant qu’il en résulte un avantage substantiel pour l’association. Bref, “les cas les plus classiques de planification successorale ne tombent absolument pas sous le coup du nouveau texte”, observe François Parisis, directeur de la structuration patrimoniale chez Puilaetco Dewaay et professeur de droit fiscal à l’Ulg.

En revanche, les opérations suivantes sont considérées comme suspectes (sauf si le contribuable peut invoquer des motifs autres que fiscaux pour les justifier) : l’achat scindé précédé d’une donation des fonds nécessaires à l’acquisition de la nue-propriété lorsque cette donation est consentie par l’usufruitier au nu-propriétaire (achat par les enfants d’un immeuble dont les parents conservent l’usufruit), l’apport de biens propres à la communauté suivi d’une donation de ce bien par les deux époux, la sortie de biens meubles de la communauté suivie par une donation croisée entre époux, le testament du grand-père ainsi que la clause mortuaire (attribution du patrimoine commun à l’un des époux dûment désigné) qui, insérée in extremis dans un contrat de mariage, permet d’éviter le paiement des droits de succession.

Quid de l’achat scindé ?

Ce faisant, l’administration remet malgré tout en cause deux constructions juridiques assez couramment utilisées par les contribuables et leurs conseillers patrimoniaux pour alléger la facture fiscale : l’achat scindé précédé d’une donation d’argent et la clause mortuaire. “Deux constructions pourtant validées dans la précédente circulaire, fait remarquer François Parisis, laquelle circulaire avait expressément rappelé que la disposition générale anti-abus n’avait pas vocation à s’appliquer si le texte de la loi fiscale était clair ou s’il existait d’autres dispositions spécifiques anti-abus. Ce qui est le cas pour les deux montages en question.” Outre cette anomalie, la traduction française de la nouvelle circulaire comporte plusieurs imperfections. “Ainsi, poursuit François Parisis, à propos de l’achat scindé précédé d’une donation des fonds nécessaires à l’acquisition de la nue-propriété, on ne fait pas la différence dans la version néerlandaise selon que la donation d’argent est ou non enregistrée. Dans la version française, il n’y a d’abus fiscal que si la donation préalable des fonds nécessaires à l’acquisition de la nue-propriété du bien n’a pas été enregistrée !” Faut-il en déduire que les contribuables francophones sont privilégiés par rapport à leurs voisins du nord ?

Les tribunaux vont devoir trancher

La publication de cette seconde circulaire va-t-elle mettre fin au débat qui s’est fait jour suite à l’adoption de la nouvelle mesure anti-abus ? Rien n’est moins sûr. Ne clarifiant que de manière très hasardeuse une loi rédigée à la hâte (et dont l’objectif réel, selon certains, est de stigmatiser des opérations qui s’avèreront parfaitement légales pour éviter que les contribuables y recourent), la nouvelle circulaire n’est pas de nature à rassurer totalement les particuliers et leurs conseillers. Pour François Parisis, ceux qui envisagent de planifier leur succession peuvent néanmoins dormir sur leurs deux oreilles. “La loi anti-abus sera en pratique inapplicable dans le domaine de la sphère privée, estime-t-il. On doit cependant craindre que les fonctionnaires de l’enregistrement appliquent ce nouveau dispositif à mauvais escient. Il restera alors au contribuable à saisir les tribunaux pour que justice soit faite. Et là, nous ne sommes pas tous égaux. Il y a ceux qui pourront se payer les services d’un avocat et ceux qui courberont l’échine.” Est-ce cela la justice fiscale telle que John Crombez la conçoit ?

Sébastien Buron

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