Lettre à Theresa May sur le Brexit

© REUTERS/Toby Melville

Pour l’avenir de la City, il faut faire du Brexit un divorce raisonnable, explique ce chroniqueur. L’Europe continentale aurait tort de sous-estimer la place boursière britannique.

Madame la Première ministre,

1. La City n’a pas cessé de se réinventer au fil de l’Histoire, depuis la création de la Compagnie anglaise des Indes orientales (1600) jusqu’au big bang de la déréglementation thatchérienne. La présente note définit une stratégie pour l’après-Brexit. Elle ne prône ni un retour à la réglementation douce des années Blair-Brown, ni une rupture franche par rapport à l’Union européenne (UE). Elle propose un juste milieu.

2.La City reste l’un des deux grands pôles financiers de la planète, avec New York. Nos marchés des capitaux sont actifs, ouverts et en expansion. Nous n’avons pas à être entravés par des homologues continentaux qui n’ont ni la volonté ni la capacité de gérer les risques financiers transfrontaliers. Le Royaume-Uni est en tête des échanges sur le Forex, à 37 % (la France et l’Allemagne n’en possèdent respectivement que 3 et 2 %), et pèse 95 % du marché mondial des swaps (contrats d’échange) de taux d’intérêt. Environ la moitié de la dette et des actions émises par les sociétés de l’UE sont garanties par des banques établies en Grande-Bretagne.

3.Les partisans du Brexit font valoir que l’UE a plus besoin de la City que la City n’a besoin de l’UE. Là n’est pas la question. Ce qui compte, c’est la manière dont la City et l’UE vont réagir à la menace bien réelle de l’Amérique de Trump. Anciens champions de la mondialisation, les Etats-Unis démantèlent l’ordre libéral d’après-guerre en imposant des droits de douane industriels à leurs alliés, en utilisant le dollar comme une arme de sanction et en prenant pour cible l’Allemagne, à qui ils reprochent de faire cavalier seul.

4.Nous devrions gentiment rappeler à nos amis de Paris et de Berlin qu’ils auraient tort de nuire à Londres en favorisant une Amérique devenue traîtresse. Francfort et Paris sont des places financières pygmées par rapport à New York. La City est un bon rempart. Une realpolitik que Bismarck ou Richelieu n’auraient pas reniée.

5.Pourtant, il ne faut pas arrimer trop étroitement la City à l’Europe. Les différences culturelles sont profondes et touchent à l’essentiel de la gestion du risque sur les marchés des capitaux. Les Européens continentaux sont des ” harmonisateurs “. Les organes chargés de la réglementation au sein de l’UE veulent restreindre les mouvements de capitaux, les obligeant à rester sur le territoire national en cas de crise. La Banque d’Angleterre est bien plus détendue face aux fluctuations financières.

Nous ne pouvons être à la fois ouverts au commerce et fermés aux étrangers.

6.Les institutions financières établies au Royaume-Uni ne bénéficient pas d’un accès au marché unique sans rencontrer des difficultés. Mais la City ne peut pas se contenter de subir une réglementation. Ce que nous avons intérêt à faire, c’est nous doter de règles simples, accepter des principes communs et évoluer peu à peu vers le retrait, avec des délais clairs. On pourrait appeler cela une ” dissociation délibérée “.

7.Le Royaume-Uni doit continuer à promouvoir les principes du libéralisme, de l’ouverture des marchés, dans les rencontres internationales. Nous ne pouvons pas être à la fois ouverts au commerce et fermés aux étrangers. Mark Carney, le Canadien que nous avons fait venir pour siéger au poste de gouverneur de la Banque d’Angleterre, a présidé efficacement le Conseil de stabilité financière. Hors de l’UE, nous allons devoir nous battre pour obtenir les grands postes internationaux.

8.Le Royaume-Uni ne devrait pas rester cantonné à ses points forts traditionnels, telles l’assurance (menacée par les progrès de l’intelligence artificielle) et la gestion d’actifs (sujette aux débauchages de Paris et du Luxembourg). Nous devons nous intéresser aux possibilités d’avenir comme la finance durable, ou encore aux transactions transfrontalières en renminbi hors de la Chine.

9.Et nous ne devons pas négliger notre système réglementaire. Le moment n’est pas venu de démanteler le dispositif post-krach boursier de l’ancien ministre des Finances George Osborne (même si c’est tentant, madame la Première ministre). Mais les institutions de la City ont raison de se plaindre des chevauchements, des doublons et de la fragmentation. Les banques consacrent les trois quarts de leur budget à la réglementation d’après-crise.

10.Enfin, un mot sur la technologie financière (fintech). Elle est indispensable à la modernisation de notre infrastructure, car elle aidera les banques à lutter contre la concurrence à venir des géants de la technologie.

11.Pour conclure, la City est un atout essentiel, tant du point de vue national qu’international. Elle a un passé glorieux et un présent incertain. Avec un peu d’imagination, elle est promise à un grand avenir.

Par Lionel Barber.

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