Les Pays-Bas sont plus endettés que la Grèce

Amsterdam La dette privée des Néerlandais est pour 95% liée à l'immobilier. © Photos : Getty Images

Nos voisins du Nord sont-ils vraiment le modèle de vertu financière qui justifierait leur posture intransigeante au sein de l’Union européenne ? A certains égards, oui. Mais à d’autres, non.

Les quatre pays qualifiés de frugaux (Autriche, Danemark, Pays-Bas et Suède) ont obtenu pas mal de concessions lors du sommet européen ayant accouché du plan de relance de 750 milliards. L’attitude particulièrement tranchée de Mark Rutte, Premier ministre néerlandais, a suscité quelques commentaires critiques. Justifiés ? Voyons d’abord en quoi Amsterdam peut se parer de vertu. C’est clairement le cas en matière de finances publiques. Le budget s’inscrit résolument dans le vert, le boni se situant à 1,7% du pro-duit national brut (PIB) l’an dernier, contre 1,4% en Allemagne. La dette publique néerlandaise a du même coup reflué à 48,6 % du PIB. Amsterdam dame cette fois le pion à Berlin, qui affiche encore 59,8%. Le Danemark et la Suède se situent à moins de 40%. Ce ne sont toutefois pas tant ces chiffres enviables que les mesures prises pour y arriver qui confortent le Premier ministre dans sa posture. Ainsi, l’âge de la retraite s’inscrira-t-il à 67 ans dès l’année 2022. Par opposition à une Italie où l’âge minimum fut abaissé à 62 ans en 2019. On note en passant que, sur ce plan-là, la Grèce est plus vertueuse encore. Après des décennies de pensions aussi généreuses que trop facilement précoces, le pays a fixé la retraite à 67 ans lors de la réforme de 2016. Il afficha par ailleurs un boni budgétaire de 1,5% du PIB l’an dernier, à peine moins que les Pays-Bas.

Aux Pays-Bas comme dans les autres pays affichant une faible dette publique, la dette privée est fort élevée, tout spécialement celle des ménages.

Une longue stagnation…

Plus globalement, Amsterdam peut s’enorgueillir d’avoir opéré un fameux (et très douloureux) assainissement suite à la crise financière. Un élément suffit à illustrer la gravité de la situation. Alors qu’en Belgique, le niveau de PIB de 2008 a été rattrapé dès le 3e trimestre 2010, les Pays-Bas ont dû attendre le 1er trimestre 2015 ! “Ceci oblige d’ailleurs à relativiser les excellentes performances du pays durant les dernières années, souvent opposées à celles de la Belgique”, souligne Peter Vanden Houte, économiste en chef chez ING Belgique et observateur attentif des Pays-Bas, où il a vécu deux ans. Quelle catastrophe a donc ravagé le pays pour causer une si longue stagnation ? La conjonction de plusieurs facteurs, explique l’économiste.

Le Premier ministre Mark Rutte lors du dernier sommet européen à Bruxelles. Une attitude particulièrement tranchée.
Le Premier ministre Mark Rutte lors du dernier sommet européen à Bruxelles. Une attitude particulièrement tranchée.© Getty Images

D’abord, une modification du cadre fiscal jugé trop laxiste en matière de financement hypothécaire. Pas de chance : cette réforme intervint en pleine crise financière, de sorte que la conjugaison de ces éléments entraîna un véritable effondrement de l’immobilier ( lire l’encadréLes ‘subprimes’, version batave”). Si Amsterdam peut se targuer d’avoir réalisé un courageux assainissement, on peut aussi bien relever une fameuse bévue au niveau du timing… Quoi qu’il en soit, l’économie néerlandaise fut mise K.-O. durant plusieurs années. C’est que, un malheur n’arrivant jamais seul, la crise financière obligea plusieurs fonds de pension à plafonner, parfois même à abaisser, leurs versements de pension complémentaire. D’où une baisse de la consommation. Et cet environnement déprimé n’empêcha pas le gouvernement d’en remettre une couche en lançant un plan d’assainissement budgétaire. Ce fut très dur, mais le résultat est probant, il faut le reconnaître.

La fourmi moins travailleuse que la cigale

Ce n’est toutefois pas sans arguments concrets que l’attitude intransigeante de Mark Rutte a suscité des commentaires critiques et même courroucés, notamment en France. On en retiendra deux. Celui de Novethic d’abord : “La prospérité néerlandaise doit beaucoup à un modèle pas vraiment frugal sur le plan environnemental. L’agriculture et la pêche intensives y jouent un rôle clef. Près d’un tiers du PIB néerlandais dépend de l’exportation. Mark Rutte défend donc logiquement bec et ongles un modèle économique mondialisé reposant sur des réglementations pas trop contraignantes, contre une solidarité européenne favorisant la mise en oeuvre d’une transition vers des modèles plus durables”. Il faut savoir que Novethic n’est pas une association d’écologistes rêveurs, mais une filiale du groupe Caisse des Dépôts, bras financier de l’Etat français.

La prospérité du pays tiendrait au moins en partie à son statut de paradis fiscal. Ce n’est pas pour rien que Renault-Nissan ou Fiat-Chrysel y ont installé leur siège.

Quelques mois plus tôt, deux économistes français, Dany Lang, qui enseigne à la Sorbonne, et Isabelle Salle, économiste senior à la banque centrale du Canada et chercheuse à l’université d’Amsterdam, avaient trempé leur plume dans le vitriol pour s’exprimer dans une tribune publiée par Le Figaro. Il est erroné, affirment-ils, de distinguer d’une part les fourmis du Nord, pays vertueux car peu endettés en matière de dette publique, travailleurs et prospères. Et de l’autre, les cigales, les pays du Sud, dépensiers, rechignant au travail et nourris aux déficits.

Ainsi, c’est aux Pays-Bas qu’on travaille le moins ! Soit 30,4 heures à peine en moyenne hebdomadaire, contre 35 en Allemagne, plus de 37 en Italie et en Espagne, 40 au Portugal et 42 en Grèce, suivant les calculs de l’OCDE pour l’année 2018. En cause : les nombreux emplois à temps partiel, surtout féminins. C’est, du reste, un choix assumé qui contribue au faible niveau de chômage des Pays-Bas. D’où vient alors la prospérité du pays ? En partie au moins de son statut de paradis fiscal, soulignent les auteurs. Ce n’est pas pour rien qu’Airbus, l’association Renault-Nissan ou encore le groupe Fiat-Chrysler ont leur siège outre-Moerdijk.

Ménages endettés jusqu’au cou

Il y a autre chose : les Néerlandais ne vivraient-ils pas à crédit ? Si le pays est peu endetté, les citoyens, eux, le sont fameusement. On trouvera ci-contre quelques données comparatives exprimées en pour cent du PIB. Il y apparaît que le Néerlandais est 40 % plus endetté que l’Américain, souvent présenté comme un champion du genre. Il est aussi une autre manière de mesurer la dette des ménages, plus pertinente en ce qui concerne leur capacité à rembourser : en pour cent de leur revenu disponible. Or, avec cette mesure, on arrive à 127 % de l’Américain !

Finalement, les Néerlandais ne seraient-ils donc pas cigales plutôt que fourmis ? Deux éléments de réponse. D’une part, leur dette colossale est pour 95 % liée à l’immobilier, non au crédit à la consommation, ce qui est en principe beaucoup plus sûr. Sauf en cas de crise immobilière… D’autre part, on juge la dette privée beaucoup moins préoccupante que la dette publique. Cette dernière est en effet largement détenue par l’étranger (sauf au Japon) et n’est guère compensée par d’importants actifs plus ou moins liquides. Elle fragilise donc le pays. Il en va tout autrement de la dette des ménages, puisque ces derniers possèdent, à l’actif, un patrimoine mobilier et immobilier. Et s’il est beaucoup moins élevé aux Pays-Bas qu’en Italie, par exemple, il faut tenir compte du poids considérable des fonds de pension. Sauf que ceux-ci n’appartiennent pas au patrimoine mobilisable des ménages…

Les Pays-Bas sont plus endettés que la Grèce

Dès lors, faut-il s’inquiéter de cet endettement, oui ou non ? Dans une étude publiée en automne 2014, la Banque nationale de Belgique relevait que, de manière générale, “l’environnement macroéconomique influence la soutenabilité des dettes des ménages”. Et d’en prendre à témoin l’évolution observée durant la crise financière. Calculée à un an d’écart, la progression des retards de paiement est, chez nous, brutalement passée de 2 % au début 2008 à 16 % en été 2009. Au grand dam du secteur bancaire… Non, on ne peut donc faire fi de l’énorme dette hypothécaire des ménages néerlandais. A preuve : l’association des banques (NVB) diffuse des spots publicitaires pour les inciter à en rembourser une partie !

Les ” subprimes” version batave

La crise immobilière qui a frappé les Pays-Bas fut beaucoup moins médiatisée chez nous que celle qui a sévi en Espagne, a fortiori que le désastre des subprimes aux Etats-Unis. Elle fut pourtant aussi grave, sinon plus : les prix ont globalement chuté de plus de 15 % entre 2009 et 2014 selon certains indices, mais de 25 % et plus selon d’autres ! Pourquoi ce krach ? La totale déductibilité des intérêts hypothécaires ayant gonflé le pouvoir d’achat immobilier des citoyens néerlandais, les prix avaient flambé avant la crise financière. De plus, outre des quotités pouvant aisément aller jusqu’à 125 %, deux tiers des prêts avaient la forme in fine, ou bullet, c’est-à-dire que le capital n’était remboursé qu’à l’échéance, grâce à la revente du bien. A un prix supposé supérieur à celui de départ, bien entendu ! Sauf que les prix ont chuté. A fin 2010, la banque centrale estimait que 22 % des emprunteurs avaient une dette supérieure à la valeur de leur bien. Plusieurs banques ont bu la tasse et l’Etat dut même, en 2013, nationaliser la quatrième banque du pays, SNS Reaal, virtuellement en faillite.

30 heures

La durée moyenne de la semaine de travail aux Pays-Bas, la plus basse de l’OCDE.

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