Les “millennials” des classes moyennes sont-ils une espèce en voie de disparition?

Des revenus qui plafonnent, des emplois moins stables, une pression fiscale et un coût de l’immobilier qui s’accentue: les “millennials” des classes moyennes semblent une espèce en voie de disparition, alerte l’OCDE.

“Aujourd’hui, la classe moyenne ressemble de plus en plus à un bateau qui naviguerait en eaux troubles”, a reconnu le secrétaire général de l’Organisaiton de coopération et de développement économiques (OCDE), Angel Gurria, cité mercredi dans un communiqué accompagnant la publication du rapport: “Sous pression: les classes moyennes en perte de vitesse”.

L’étude assure ainsi que plus de 68% des “baby-boomers”, nés en pleine prospérité juste après la Seconde Guerre mondiale, ont réussi à intégrer cette tranche socio-économique de la population qui gagne entre 75% et 200% du revenu national médian, contre 60% seulement des fameux “millennials”, la génération actuellement âgée entre 20 et 40 ans.

Plus que le déclin statistique de cette population, c’est l’affaiblissement de son poids économique au sein de la société toute entière qui semble inquiéter l’OCDE.

“Le revenu global de l’ensemble des ménages à revenu moyen était quatre fois supérieur au revenu global des ménages à revenu élevé il y a trois décennies. Aujourd’hui, ce ratio est inférieur à trois”, relève ainsi le rapport.

Car l’OCDE accorde aux classes intermédiaires un rôle de “centre de gravité économique essentiel pour soutenir la croissance de la productivité, financer correctement la protection sociale et sortir des millions de familles de la pauvreté”.

“Cette étude nous pose la question du financement des services publics”, commente Lucas Chancel, co-directeur du laboratoire sur les inégalités mondiales à l’Ecole d’économie de Paris. “C’est ce qui permet justement aux classes populaires et moyennes européennes de ne pas décrocher autant qu’aux Etats-Unis”.

Des choix plus “politiques” que “mécaniques”

“La compression d’une classe moyenne sous l’effet de la montée des inégalités résulte plus de choix politiques que mécaniques”, critique-t-il.

L’OCDE, qui regroupe les pays les plus riches, attribue elle ce déclassement à “l’augmentation du coût des logements” alors que la classe moyenne rêve d’accession à la propriété, à la stagnation des salaires, au “contexte d’insécurité croissante de l’emploi”, ou à la pression fiscale particulièrement forte, selon elle, sur cette population.

“Ces vingt dernières années, les prix du logement ont progressé trois fois plus vite que le revenu médian des ménages et un emploi sur six correspondant à un salaire moyen est actuellement confronté à un risque élevé d’automatisation contre un travail à revenu élevé sur dix”.

“Même avec deux revenus, il est de plus en plus difficile d’atteindre le niveau de revenu intermédiaire, si au moins l’un des partenaires n’est pas hautement qualifié”. Quand le marché du travail était plus protecteur, les promesses de retraites correctes plus élevées, un seul salaire d’emploi hautement qualifié suffisait souvent, précise l’étude.

“Notre analyse dresse un tableau sombre et lance un appel à l’action. La classe moyenne est au coeur d’une société cohésive, prévient Gabriela Ramos, la directrice de cabinet de l’OCDE. Nous devons répondre aux préoccupations concernant le coût de la vie, l’équité et l’incertitude”.

Comme l’illustre par exemple la crise des des “gilets jaunes” en France, le “risque de déclassement” inquiète d’autant plus les classes moyennes qu’il leur semble “injuste”.

L’OCDE conseille donc aux dirigeants d’infléchir leur politique.

Pour combattre le sentiment d’injustice fiscale, l’institut suggère d’alléger l’impôt sur le revenu et de le rendre plus progressif, tout en renforcant la taxation du capital, des revenus de l’immobilier et les droits de succession.

Il préconise également “d’encourager l’offre de logements abordables”, tout en évitant “la ségrégation résidentielle” et de miser sur l’enseignement et la formation pour lutter contre la vulnérabilité du marché du travail.

“Depuis quelques années, les organisations multinationales sont plus à jour des réalités économiques que les politiques au pouvoir. Mais combien de temps faudra-t-il pour mettre à jour le logiciel économique de dirigeants un peu figés?”, s’interroge encore Lucas Chancel.

Et de faire le lien entre la frustration des classes moyennes et la montée du populisme dans une puissance émergente comme le Brésil.

L’ancien président de gauche “Lula avait été élu sur la promesse de services publics, mais il avait également signé un accord avec le patronat pour ne pas faire de réforme fiscale, rappelle-t-il. La classe moyenne a pu se sentir compressée, et cela aboutit à un sentiment pro-Bolsonaro”.

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