Les gagnants et les perdants de la “guerre des devises”

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Réunis le week-end dernier à Washington, les grands argentiers mondiaux ne sont parvenus à aucune décision concrète pour éviter une “guerre des changes”. Les Etats-Unis et la Chine sont bien placés pour la gagner.

Après avoir activé les leviers de la politique monétaire et de la relance budgétaire, les gouvernements se tournent désormais vers les changes, espérant doper les exportations et renforcer la reprise.

Les Etats-Unis et la Chine, champions de la dépréciation

Le président américain veut voir ses exportations doubler en cinq ans. Un objectif ambitieux qui serait grandement aidé par une baisse du dollar. Au jeu de la dévaluation compétitive, les Etats-Unis sortiront toujours gagnants.

D’abord, parce qu’ils émettent la principale monnaie de réserve internationale. “Certes, la Chine commence lentement à diversifier ses réserves, mais les Etats-Unis n’ont pour l’instant aucun mal à vendre du dollar sur les marchés de change”, analyse Antoine Berthou, économiste au Cepii. Ensuite, parce que, contrairement aux pays émergents, les Etats-Unis n’ont pas à se soucier de l’inflation, qui reste en deçà de l’objectif de la Fed. C’est même le spectre de la déflation qui a récemment suscité des inquiétudes.

Les Etats-Unis peuvent donc tranquillement faire marcher la planche à billets sans s’inquiéter des risques inflationnistes qui accompagnent habituellement l’expansion de la masse monétaire. La Fed ne s’est d’ailleurs pas privée de laisser entendre fin septembre qu’elle lancerait bientôt une deuxième vague d’assouplissement quantitatif, ce qui n’a pas manqué de faire dégringoler le billet vert.

Les Etats-Unis restent toutefois impuissants face à la Chine, dont la monnaie, fixée au billet vert, le suit automatiquement à la baisse. Désarmés, les Américains sont de plus de plus tentés de recourir à l’arme “nucléaire” du protectionnisme. Le Congrès a adopté début octobre un projet de loi prévoyant des mesures de rétorsion contre la Chine.

L’autre vainqueur de la “guerre des devises” est donc la Chine, qui profite depuis quelques mois de la chute du dollar. Ce qui fait dire à Charles Smith, auteur d’Of Two Minds, que les deux pays sont en fait “alliés”. De fait, la Chine souhaite, comme les Etats-Unis, que le dollar reste faible par rapport à d’autres devises comme l’euro, d’autant que l’Europe est un marché d’exportation légèrement plus important que les Etats-Unis pour la Chine.

De toute façon, s’il y a une chose que Pékin a démontré ce week-end lors du G7, c’est qu’il n’était guère intimidé par les injonctions de ses partenaires commerciaux lui demandant de laisser s’apprécier le yuan. L’insistance des Etats-Unis et de l’Europe n’y aura rien fait : la Chine tient à aller à son rythme dans la réévaluation du yuan qu’elle a annoncée en juin.

Les victimes émergentes

Les premières victimes de la baisse du yuan sont les pays émergents asiatiques mais aussi le Brésil, qui est le premier à avoir parlé de “guerre des changes”. Comme Pékin garde fermement le contrôle de son taux de changes, leurs devises se sont appréciées plus que le yuan face au dollar. Or, elles s’apprécient déjà à cause de l’arrivée massive de flux financiers. Ces pays offrent en effet des rendements supérieurs à ceux des Etats-Unis, d’Europe et du Japon, qui souffrent d’une croissance anémique. Selon l’institut International Finance, les pays émergents devraient recevoir, en solde net, 825 milliards de dollars en 2010, contre 581 milliards en 2009.

Ainsi, depuis janvier, les devises asiatiques se sont appréciées de 6 % en moyenne face au dollar, alors que le yuan n’a augmenté que de 2 %. Or, les banques centrales sont relativement désarmées face à la hausse de leur monnaie, préférant ne pas puiser dans leurs réserves en raison des risques d’inflation. Des pays comme la Corée du Sud et la Thaïlande ont néanmoins commencé à adopter des mesures pour freiner la ruée de capitaux dans leur économie.

L’Europe, le dindon de la farce

Le gros perdant reste malgré tout la zone euro. Mathématiquement, les Etats dévaluent forcément leur monnaie par rapport à une autre devise qui, elle, monte. Et cette devise, c’est l’euro. Le problème, c’est que le traité de Maastricht ne prévoit pas que la BCE mène une politique de change unique, son seul mandat étant de s’assurer de la stabilité des prix.

Résultat : pendant que les autres banques centrales interviennent sur le marché des changes ou impriment de la monnaie, la BCE reste les bras croisés, se contentant de maintenir le taux directeur à 1 %. Du coup, la monnaie européenne a atteint 1,40 dollar pour la première fois depuis huit mois.

Aux yeux du porte-parole de la Commission européenne pour les questions économiques, Amadeu Altafaj, “l’euro supporte une part disproportionnée de l’ajustement des taux de change dans le monde, ce qui pourrait affecter la reprise économique, les exportations”. Une crainte d’autant plus grande que les perspectives de croissance sont mitigées. Le FMI a tablé cette semaine sur une reprise seulement “modérée et inégale” dans la zone euro, avec une croissance de 1,7 % cette année puis un ralentissement à 1,5 % l’an prochain.

Laura Raim, L’Expansion.com

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