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Les dangers qui guettent l’harmonisation fiscale européenne

Serait-on en train de commettre, dans le domaine fiscal, la même erreur que lors de la création de l’euro ?

Voici 20 ans, on avait voulu accélérer l’union économique en jetant trop tôt les pays européens dans l’union monétaire. Voici six mois, la Commission européenne, pour redonner un coup de jeune à l’image de l’Europe, écornée par le Brexit, a décidé de réveiller l’harmonisation de l’impôt des sociétés mais d’une manière qui, là aussi, pose question. L’harmonisation fiscale est le sujet a priori idéal – surtout depuis les divers leaks qui ont défrayé la chronique – pour redorer le blason terni de l’Union européenne…

Depuis le mois d’octobre, la Commission met donc les bouchées doubles pour faire avancer son projet ACCIS (Assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés). L’idée consiste non pas à harmoniser les taux d’imposition mais la base taxable des sociétés ayant en Europe des activités transnationales et affichant un chiffre d’affaires de plus de 750 millions d’euros. Libre, ensuite, aux Etats membres de fixer le taux d’imposition de leur choix.

Le projet profiterait aux Etats puisqu’il devrait éliminer en grande partie la possibilité pour un groupe de faire percoler ses profits vers un paradis fiscal où ils ne seraient presque pas imposés. Il réjouirait aussi les multinationales qui pourraient se contenter d’une déclaration fiscale européenne unique (plus besoin de remplir une déclaration dans chaque pays où elles sont implantées) et pourraient consolider leurs résultats, les bénéfices réalisés dans un pays pouvant désormais être compensées par les pertes réalisées dans un autre.

On simplifierait le travail administratif des entreprises tout en combattant une concurrence fiscale malsaine réalisée à coups de rulings, de manipulations des prix de transfert ou d’utilisations abusives de niches fiscales. Parallèlement, on éviterait aussi les doubles taxations. Investir dans un pays européen serait plus facile et moins cher. La croissance et l’emploi dans l’Union devraient mieux s’en porter.

Mais comme souvent, une bonne idée sur papier peut se révéler calamiteuse sur le terrain.

Une fois encore, on semble oublier qu’avant de mettre en place un grand projet unificateur, monétaire ou fiscal, il faut d’abord faire converger les économies elles-mêmes.

Pour emporter l’adhésion des Etats, la Commission a cru sage de procéder en deux étapes : d’abord harmoniser la base taxable, mais ne permettre la consolidation (la compensation entre les pertes et les bénéfices au niveau européen) que plus tard. Beaucoup d’entreprises estiment, avec raison, que cette période transitoire augmenterait pour rien les frais administratifs et complexifierait encore le paysage fiscal. L’inverse du but recherché.

Mais surtout, même dans son stade final, cette harmonisation ne rapprocherait ni les peuples ni les économies.

Au contraire. Les revenus déclarés d’une multinationale seraient en effet répartis entre les divers pays où elle est active via une clé qui tiendrait compte de l’importance des actifs établis dans le pays, de la main-d’oeuvre employée et du chiffre d’affaires réalisé. Une clé qui, souligne entre autres la FEB, avantage les grands pays abritant de grandes industries, mais désavantage les pays comme le nôtre qui ont une économie ouverte et une grande productivité. Selon une évaluation réalisée en 2011, avec une telle harmonisation, la base taxable des sociétés belges croîtrait de 20 % alors que dans le même temps, pour l’Etat belge, les recettes de l’impôt des sociétés diminueraient de 4 milliards !

Une fois encore, on semble oublier qu’avant de mettre en place un grand projet unificateur, monétaire ou fiscal, il faut d’abord faire converger les économies elles-mêmes. Cela suppose de mettre les entreprises européennes au niveau de leurs compétiteurs asiatiques ou américains, de favoriser la mobilité des travailleurs, d’harmoniser les prestations sociales mais aussi de tenir compte des avantages compétitifs et des caractéristiques propres à certains pays… De grâce, ne commençons pas le travail à l’envers. Nous risquerions d’écarteler un peu plus encore une Union qui a déjà bien du mal à se rassembler.

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