Légitimité et passe-passe démocratique au Parlement wallon

© Belga

Le nouveau gouvernement wallon est installé. Il dispose d’une majorité étriquée, mais il est prêt à quelques contorsions pour la conforter un peu.

Ce vendredi 28 juillet rentrera dans l’histoire politique de notre pays. Pour la première fois, un important changement de majorité s’opère dans un exécutif régional, sans passer par les urnes, via l’utilisation de la motion de méfiance constructive. Il peut sembler étonnant de réaliser un tel basculement sans demander l’aval des citoyens. Le mécanisme n’a cependant rien d’anti-démocratique. Les députés wallons ont été élus avec un mandat de cinq ans et, d’un point de vue strictement arithmétique, la coalition MR-cdH est bien majoritaire : 38 sièges sur 75. C’est court, mais suffisant tant que tout le monde vient siéger. Ce vendredi, la motion de méfiance a même reçu en plus l’apport inopiné et apparemment non négocié d’un député indépendant (ex-Parti Populaire). En d’autres termes, on peut ne pas apprécier la nouvelle coalition, on peut la juger trop étriquée pour durer (mais la législature ne comporte plus que deux ans), elle n’en demeure pas moins parfaitement démocratique.

Pourquoi ne pas passer par les urnes ?

Même s’il avait voulu provoquer des élections régionales anticipées, Benoît Lutgen n’aurait pas pu. La législation actuelle ne le permet pas. Cela fait peut-être bisquer certains militants aujourd’hui, mais ni le PS ni Ecolo n’ont jugé opportun, lors des différentes réformes de l’État, d’autoriser des élections anticipées au niveau régional. Il ne s’agissait pas d’un oubli, mais d’un souci de stabilité : les élus wallons siègent aussi à la Communauté française en compagnie de députés bruxellois. Si l’on vote en Wallonie, il faut alors voter aussi à Bruxelles pour avoir une assemblée communautaire découlant d’un même scrutin. Mais à Bruxelles, il y a aussi des partis flamands. Les Bruxellois néerlandophones devraient donc voter en cas de problème en Wallonie. Vous imaginez le tollé.

En prenant l’hypothèse d’un problème politique en Flandre, l’organisation d’élections anticipées serait encore plus cocasse. Six élus bruxellois siègent au parlement flamand. Ils sont désignés par les électeurs de la capitale qui ont choisi de voter pour une liste flamande au parlement bruxellois. Une élection anticipée en Flandre impliquerait donc la tenue d’élections anticipées au parlement bruxellois aussi (et dès lors en Wallonie également pour renouveler le parlement de la FWB). Ou alors il faudrait ouvrir cette élection à l’ensemble des Bruxellois, francophones inclus.

C’est pour éviter ces effets en cascade que le législateur n’a pas prévu d’élections anticipées au niveau régional. Les éventuels changements de majorité se règlent alors par le mécanisme de la méfiance constructive (constructive car le même vote destitue un gouvernement et désigne son successeur). Il existe depuis 1993, mais n’avait jamais été utilisé avant cette année. La méfiance constructive est en revanche un peu plus fréquente au niveau communal.

Ce qui est plus inquiétant en revanche, c’est le tour de passe-passe auquel cette nouvelle majorité s’est livrée pour se faciliter la vie dans les commissions parlementaires. Le système de dévolution (clé D’hondt) attribuait 6 sièges sur 12 en commission au parti socialiste. De quoi, si pas bloquer, du moins ralentir sensiblement le travail législatif de la majorité. Voici la parade: en limitant les commissions à dix membres, la même clé D’hondt n’attribuait plus que 4 sièges au PS, ce qui rendait de facto MR-cdH majoritaire (4+2). Le Parlement a adopté ce vendredi une modification du règlement en ce sens.

À nouveau, c’est parfaitement légal. Il n’est toutefois pas très sain que de telles dispositions puissent ainsi être modifiées, au gré des circonstances, par un simple vote majoritaire. Les règles de fonctionnement des institutions démocratiques – l’organisation du parlement, le système électoral, le financement des partis, le statut des groupes politiques… – devraient pour le bien être fixées par une majorité des deux tiers. Une suggestion en passant: quitte à remodeler les commissions parlementaires, pourquoi ne pas prévoir une balise, plafonnant l’impact des plus gros partis. Par exemple en stipulant qu’un groupe politique qui n’est pas majoritaire au Parlement ne peut le devenir en commission par le simple jeu de la clé D’Hondt. Ainsi avec 40% des députés wallons (30 sur 75), le PS ne pourrait avoir plus de 5 représentants sur 12 en commission parlementaire. Une modification de la réglementation dans ce sens aurait plus de pertinence démocratique que le tour de passe-passe circonstanciel de la nouvelle coalition wallonne.

Pour la petite histoire, sachez encore que le PS a déposé un amendement, vendredi dernier au Parlement wallon, pour ramener les coalitions à 11 et non 10 membres. Le calcul lui octroyait 5 députés sur 11 et permettait donc aussi à la nouvelle majorité de fonctionner. L’amendement a été rejeté avec cet argument totalement improbable: “pour faciliter le calcul des majorités, il est préférable que le nombre de membres d’une commission soit pair”. La véritable raison, c’est qu’une répartition 6-5 obligeait les élus de la majorité à être systématiquement présents. Avec du 6-4, ils conserveront le droit à un peu d’absentéisme…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content