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Le vrai danger populiste

De la Hongrie de plus en plus autoritaire à l’Italie xénophobe, le populisme se fait une place en Europe. On a souvent le tort d’en minimiser la portée, sous prétexte qu’il ne s’agirait que de réactions superficielles d’un électorat déboussolé et déçu par les mouvements politiques traditionnels ou par le manque de choix effectifs que ceux-ci proposent.

Pourtant, il y a, à la base de mouvements parfois épars, souvent proches de la droite extrême, mais aussi de l’extrême gauche (comme Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne), des traits communs qui sont, par exemple, décrits dans Le moment populiste, l’ouvrage du très conservateur et droitier Alain de Benoist paru il y a un an. Et c’est ce fondement idéologique – que, certes, la plupart des militants de ces mouvements ignorent – qui est sans doute le pire danger que représente la mouvance populiste.

Ce que ces mouvements critiquent, c’est la mondialisation (du commerce, mais aussi celle des idées), l’universalisme (notamment celui des droits de l’homme) et les pratiques gestionnaires, pas assez politiques à leurs yeux, des gouvernements des Etats occidentaux. Ce qu’ils veulent, c’est rendre au ” peuple ” la capacité de décider, sur une base nationale, sans avoir à se préoccuper des droits de l’individu. Ils considèrent que le fondement de la souveraineté c’est le peuple, et ils rejettent ce qu’ils appellent avec mépris ” les élites “, accusées de décider de tout en revendiquant des qualités ” d’experts ” et en maîtrisant les opinions de populations jugées incapables de décider.

Les droits des ” peuples “, pour les populistes, priment sur ceux des individus. A la question de savoir ce qu’il faut entendre par un ” peuple “, ils se réfèrent à leurs vagues idées, très conservatrices, fondées sur un processus ” d’imitation-coutume qui est à la fois l’essence du lien social et la base des traditions et qui permet aux citoyens de faire l’épreuve de ce qu’ils ont en commun “.

Les populistes ne sont pas dans le camp des droits de l’homme mais, comme les fascistes et les communistes, dans celui du pouvoir.

Les doctrines populistes s’obstinent ainsi à considérer que le pouvoir appartient à des entités aux contours flous qui s’estiment en droit d’exiger – y compris contre le gré de certains de leurs membres et, a fortiori, des étrangers – le maintien des traditions locales, religieuses ou non, de coutumes ayant le seul mérite d’être anciennes et de règles d’exclusion de ceux qui ne s’y intègrent pas. C’est à la fois la base de leur rejet habituel – de l'” étranger “, celui qui a une autre origine ou d’autres habitudes – et de leur proximité avec le nationalisme, parce que pour faire valoir les volontés du peuple, ils ne peuvent agir que dans le cadre d’une ” nation ” et en utilisant l’Etat, c’est-à-dire la force.

Leur ennemi n’est pas le socialisme, dont ils s’accommodent finalement assez bien. Ils partagent avec la gauche étatiste le rejet des élites, des multinationales et des possédants, et proposent, comme le gouvernement italien actuel, des mesures démagogiques comme le revenu universel et l’abaissement de l’âge de la retraite.

Ils ne sont évidemment pas non plus des adversaires de la droite conservatrice, dont ils partagent nombre de valeurs, mais à laquelle ils reprochent seulement sa proximité avec le monde des affaires, jugée a priori élitiste.

Leur vrai ennemi, c’est le libéralisme, même dans sa forme bien tiède que défendent les partis qui s’en revendiquent. Dans le libéralisme, ils s’opposent à la fois aux valeurs politiques (le respect des libertés dans les moeurs, du choix de vie de chaque individu) et aux valeurs économiques (la liberté d’entreprendre, le libre-échange). Ce rejet se fonde sur l’idée qui est à la base du populisme : ils ne reconnaissent pas l’existence de droits individuels autres que ceux concédés par l’Etat. Ils ne peuvent pas admettre qu’un homme ou une femme naisse avec des droits absolus opposables à quiconque. Pour eux, chacun n’a que les droits que le peuple, c’est-à-dire en fait l’Etat, veut bien leur concéder. C’est là un des points communs des populistes avec le fascisme et le communisme. C’est ce fondement idéologique qui constitue le danger populiste. Il faudra constamment leur répondre, comme le faisait Ayn Rand : ” Mes droits ne sont pas soumis à un vote “.

Une seule chose est exacte dans leur argumentaire. Proches à la fois de l’extrême droite et de l’extrême gauche, ils soutiennent avec raison que la distinction gauche/droite est périmée. C’est vrai : désormais l’opposition est entre l’individu et l’Etat, entre les libertés et le totalitarisme. Et eux, les populistes, ne sont pas dans le camp des droits de l’homme mais, comme les fascistes et les communistes, dans celui du pouvoir.

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