Le réseau de Christie Morreale (portrait)

© Frédéric Sierakowski (Isopix)
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Dès l’adolescence, elle était attirée par la politique. Elle a étudié la criminologie pour amener une touche de psychologie, de médical et de social dans son cursus en droit. Tout ce qu’il fallait pour une future ministre de la Santé.

Et si son réseau était avant tout constitué d’anonymes? Christie Morreale multiplie en effet les contacts directs sur le terrain et, surtout, elle veille à entretenir ensuite ces relations. “Je reçois de nombreux messages de directeurs médicaux comme d’aides-soignants ou d’agents des call centers, confie-t-elle. C’est cela mon réseau, cela met permet de sentir le pouls. J’ai visité tous les centres de vaccination, j’y ai rencontré des médecins, des infirmiers et nous sommes restés en contact. Ces gens continuent à m’alimenter, à m’informer, à dialoguer avec moi. Je n’ai pas UN mentor scientifique pour me conseiller, j’ai toutes ces personnes qui m’appellent et communiquent directement avec moi.”

La confidence illustre très bien la manière de fonctionner de la vice-présidente du gouvernement wallon. Mais rassurez-vous, nous avons quand même essayé d’en savoir un peu plus sur le réseau de cette femme née en 1977 et qui, dès l’adolescence, a été attirée par la politique, par les débats électoraux, etc. “Je mesure la chance d’exercer un métier qui est d’abord une passion”, résume-t-elle. Sa première réunion politique, elle devait avoir 15-16 ans, c’était avec sa maman pour aller écouter Laurette Onkelinx. “Je me suis directement sentie chez moi”, se souvient Christie Morreale, qui considère l’ancienne vice-Première ministre comme son “mentor en politique”. Son premier boulot, ce fut d’ailleurs au cabinet Onkelinx où elle a notamment contribué à l’élaboration du premier plan fédéral de lutte contre la violence faite aux femmes. “Auprès de Laurette, j’ai appris la rigueur, la force de travail et l’importance d’avoir une détermination sans faille”, dit-elle. Parmi ses collègues de l’époque, il y avait notamment Laurence Bovy, l’actuelle directrice de Vivaqua et présidente de la SFPI.

Christie Morreale était alors fraîchement diplômée en criminologie (Université de Liège). Elle avait commencé le droit en même temps que Christian Behrendt (aujourd’hui professeur de droit constitutionnel à Liège), Clarisse Ramakers (Agoria) ou Jean-Marc Galand, l’actuel chef de cabinet de la ministre de la Fonction publique Valérie De Bue (MR). “Jean-Marc était dans l’année juste au-dessus, c’est lui qui m’a fait découvrir l’université”, précise Christie Morreale.

L’entrée à l’université, et singulièrement en faculté de droit, fut un choc pour cette fille d’un ouvrier et d’une employée. “J’entendais les professeurs parler d’un tel qui est le fils du procureur ou d’une telle qui est la fille d’un avocat, raconte-t-elle. Les propos pouvaient paraître anodins mais je les ressentais comme blessants, comme un rappel du fait que je n’étais peut-être pas à ma place car je ne provenais pas du milieu juridique. Ce déterminisme social me rendait mal à l’aise en faculté de droit.” C’est pourquoi, en master, elle a bifurqué vers la criminologie, afin d’élargir l’approche des questions en combinant le droit avec la psychologie, la médecine ou le social. On ne résiste pas à l’envie de vous révéler le sujet de son mémoire: les bandes criminelles de motards! Elle l’a réalisé sous la houlette du professeur Michaël Dantinne, criminologue réputé de l’ULiège avec qui elle est restée en contact depuis. Un petit détail pour clore le chapitre universitaire: si elle ne se sentait pas à sa place en faculté de droit, Christie Morreale a pourtant été choisie comme déléguée étudiante. La fibre de la politique et des élections, sans doute…

Le réseau de Christie Morreale (portrait)
© Frédéric Sierakowski (Isopix)

Le cadeau qui aurait pu être empoisonné

En 2003, c’est la surprise. La jeune conseillère du cabinet Onkelinx est conviée au boulevard de l’Empereur un dimanche à 16h45. Elle rencontre, pour la première fois, Elio Di Rupo qui, au terme d’un entretien d’une heure, lui propose de devenir vice-présidente d’un parti qui pesait alors 40% de l’électorat wallon. Pour une femme de 26 ans, sans guère d’expérience politique et sans aucun mandat électoral, cette promotion ultra-rapide aurait pu s’avérer un cadeau empoisonné. Christie Morreale n’a pas explosé en plein vol et ne s’est pas non plus engluée dans un rôle de potiche auquel beaucoup, notamment dans la fédération liégeoise du PS, auraient aimé la cantonner. “A ce jour, je ne sais toujours pas si cela a ralenti ou accéléré ma carrière, confie-t-elle. Mais effectivement, cela m’a beaucoup exposée.”

Elle se considère plutôt comme une femme de l’ombre, une militante qui bosse pour faire avancer ses dossiers dans les cabinets ministériels. Elle rejoindra celui de Philippe Courard (ministre wallon des Pouvoirs locaux) où elle aura comme collègues Françoise Lannoy (aujourd’hui directrice de l’Agence pour une vie de qualité, l’administration en charge des matières de santé et de bien-être en Wallonie), Sylvie Marique, la patronne du Servicespublic de Wallonie, et un certain Pierre-Yves Dermagne, désormais vice-Premier ministre et son alter ego dans les comités de concertation sur l’emploi.

Le premier mandat électif de la vice-présidente du PS sera communal: en 2006, elle devient échevine à Esneux, poste qu’elle occupera pendant 10 ans. “J’avais été élue au Parlement wallon, et je m’inscris totalement dans la logique du décumul, j’ai donc abandonné mon mandat communal, dit Christie Morreale. Ce fut une déchirure car j’ai adoré agir très concrètement en lançant une crèche, une maison de jeunes ou un centre de planning familial.” Au Parlement wallon, elle retrouve Pierre-Yves Dermagne mais aussi Patrick Prevot, Bruno Lefebvre ou Joëlle Kapompole. Dans les autres partis, elle s’entend bien avec les libérales Christine Defraigne et Valérie De Bue (elles participeront ensemble à une mission sur le droit des femmes à l’Onu) ainsi qu’avec les écologistes Manu Disabato et Philippe Henry. Elle a aussi des liens avec le monde syndical, en particulier Jean-François Tamellini (secrétaire général de la FGTB wallonne) et Nathalie Lionnet (Setca). Ce sont autant de collègues appréciés. Mais ses vrais amis en politique, ce sont le député verviétois André Frédéric et Thierry Giet, qui fut longtemps chef du groupe PS à la Chambre avant d’être nommé juge à la Cour constitutionnelle.

Fibre écologiste

Si elle affiche un parcours très socialiste, Christie Morreale concède qu’au départ, elle a hésité entre le PS et Ecolo. A la fois pour les questions environnementales, qui ont très tôt été une priorité pour elle, et pour celles relatives à l’égalité hommes-femmes. L’importance, à ses yeux, de la justice sociale a fait pencher la balance du côté rouge. Elle a toutefois continué à s’intéresser de près à l’écologie, à travers les coopératives alimentaires ou l’émergence des énergies renouvelables. Elle a ainsi fait la connaissance de Bruno Venanzi, à l’époque où il dirigeait Lampiris, et conserve une réelle admiration pour “le succès fulgurant” de cette entreprise. Christie Morreale connaît bien un autre chef d’entreprise liégeois: Julien Compère, le nouveau patron de FN-Herstal. “Nous sommes Sérésiens tous les deux, nous avons fréquenté la même école secondaire et nous nous sommes même affrontés dans un tournoi d’éloquence, conclut la ministre de la Santé. Mais je ne vous dirai pas qui a gagné.”

Micro-pauses sur les réseaux sociaux

Les politiques fustigent volontiers les réseaux sociaux, les fake news qui s’y propagent et les échanges sans nuance. Christie Morreale préfère en retenir les aspects positifs. “Cela m’a permis de rencontrer des personnes avec des points de vue différents et d’échanger avec elles”, dit-elle. Aujourd’hui, elle a à sa disposition une équipe de communication pour gérer tout cela mais la ministre ne lâche pas totalement le morceau pour autant. “C’est difficile de se laisser déposséder, sourit-elle. J’ai besoin, pour garder la tête sur les épaules, de continuer ces échanges spontanés avec les gens. Il m’arrive même parfois de répondre à des messages en pleine nuit.” “La ministre aime bien les réseaux sociaux, confirme sa porte-parole Stéphanie Wilmet. Elle y reste très active, c’est pour elle comme des micro-pauses durant la journée.”

Cuisine exotique et apiculture

“Je ne suis pas friande de cuisine française.” Christie Morreale se tourne plus volontiers vers des restaurants thaïlandais, syriens, marocains ou “italiens évidemment”. “Je préfère la petite trattoria authentique, les endroits où ça vit, où ça discute, dit-elle. Ces deux dernières années, ce n’était pas vraiment le format idéal.” Elle pointe aussi les lieux qui racontent une histoire, comme ce restaurant créé à Liège par des réfugiés syriens (chez Yara). A Namur, elle fixe volontiers ses rendez-vous ministériels au Sawasdee, un restaurant thaïlandais situé près de son cabinet à Jambes.

Si elle pouvait dégager un peu plus de temps dans son agenda, Christie Morreale en profiterait pour aller plus souvent au théâtre, en particulier pour les spectacles d’humoristes. En attendant, elle s’aère l’esprit en se promenant dès que possible à pied ou à vélo au bord de l’Ourthe. Ou, plus surprenant, en suivant des cours d’apiculture.

Manu Disabato – Député Ecolo

MANU DISABATO
MANU DISABATO© BelgaIMAGE

“J’ai appris à connaître Christie Morreale lors de débats télévisés dans le cadre de la campagne électorale de 2019 et ensuite pendant la période ‘coquelicot’. Depuis, nous continuons à échanger. Elle a mon oreille, j’ai la sienne, on s’appelle volontiers pour désamorcer les problèmes potentiels. Evidemment, nous ne sommes pas d’accord sur tout – sinon, nous serions dans le même parti – mais c’est une personne avec qui on peut discuter franchement et chercher des solutions.

J’attends beaucoup d’elle pour la concrétisation des volets emploi et formation de l’accord de gouvernement, en particulier l’organisation de territoires ‘ éro chômeur de longue durée’ et le développement de la formation en alternance. C’est indispensable pour éviter les pénuries de main-d’oeuvre qualifiée dans les prochaines années.

Christie a bien entendu dû consacrer beaucoup de temps à la crise du Covid-19. Elle gère cette période avec une sorte de force tranquille, assez impressionnante. Elle a sa ligne mais cela ne l’empêche pas d’exprimer ses craintes ou ses questionnements. Elle n’est jamais dans la caricature.”

Clarisse Ramakers – Directrice d’Agoria-Wallonie

CLARISSE RAMAKERS
CLARISSE RAMAKERS© BelgaIMAGE

“Elle a été ma déléguée des étudiants, quand j’étais en première année de droit à l’Université de Liège. Déjà à l’époque, son sourire et son enthousiasme ne laissaient personne indifférent!

Quand je la retrouve aujourd’hui, je la sens très consciente de la réalité des entreprises et des indépendants. Christie Morreale n’est pas une personne dogmatique, elle a une belle ouverture d’esprit, une saine curiosité. Elle est vraiment à l’écoute des messages que nous cherchons à faire passer, à l’importance de certains enjeux comme celui du financement des secteurs moins sustainable friendly… Pour un organisme comme Agoria, c’est très précieux.

En tant que ministre de la Santé, je trouve qu’elle a montré beaucoup d’humanité dans la gestion de la crise sanitaire. Elle a été très critiquée au Parlement wallon pour la stratégie de vaccination et des testings mais, finalement, ça tient la route. Quand vous êtes testé, vous recevez le résultat par SMS dans la journée, ce n’est quand même pas mal. Maintenant, il y a de gros enjeux sur le financement des hôpitaux et, bien entendu, sur l’emploi et la formation. Je pense que, Christie et moi, nous aurons bien des occasions de nous reparler.”

Laurette Onkelinx – Ancienne ministre PS

LAURETTE ONKELINX
LAURETTE ONKELINX© BelgaIMAGE

“Christie, c’est un peu ma petite soeur. Nous venons toutes les deux d’Ougrée, nous avons été élevées dans le même moule, j’ai même eu sa maman comme prof de gym! Je suis bien placée pour le savoir, faire ses armes au PS à Liège, ce n’est pas simple. Christie a réussi à suivre son chemin, coûte que coûte, avec toute sa force de caractère. C’est une femme libre, ce n’est pas quelqu’un qu’on formate! C’est une militante de longue date, bien avant de rejoindre mon cabinet ministériel comme criminologue. Elle a toujours été une féministe convaincue et elle a, beaucoup plus tôt que d’autres, lié son militantisme social à la question écologique.

Nous sommes toujours en contact. Elle sait qu’avec moi, elle peut se livrer avec la certitude qu’il n’y a pas d’arrière-pensée. Cela dit, elle est brillante et n’a pas vraiment besoin de mes conseils. Nos discussions permettent surtout de confirmer ses intuitions. Christie a toujours été une femme qui connaît ses dossiers à fond. Cette connaissance, elle l’acquiert en s’informant auprès d’experts mais aussi auprès des personnes de terrain. Elle prend le temps de dialoguer avec les acteurs, elle est très accessible et toujours curieuse de comprendre leurs motivations, leurs attentes. Ce retour complète très utilement l’étude des dossiers. Dans toute cette crise, elle a trouvé le ton juste. Elle s’exprime de manière claire, pédagogique, rassurante.”

Alain Vaessen – Directeur général de la Fédération des CPAS de Wallonie

ALAIN VAESSEN
ALAIN VAESSEN© PG

“Après un conclave budgétaire, elle m’a appelé pour m’informer des décisions prises, de ce qu’elle avait obtenu pour les matières sociales. C’est la première fois dans ma carrière (Alain Vaessen était précédemment commissaire spécial au Plan Marshall, Ndlr) qu’une ministre m’appelle ainsi en direct et aussi vite après la réunion. Cela montre sa grande accessibilité et son souci de rester en contact étroit avec les acteurs de terrain. Christie Morreale et les gens de son cabinet aiment avoir la température du terrain avant de prendre des décisions. Nous sommes donc très souvent en contact et l’on sent chez elle une vraie capacité d’écoute.

Dans la gestion du Covid-19, je trouve qu’elle a toujours été très attentive au bien-être des personnes. J’ai pu le constater lors de la première vague, quand il y avait énormément de décès dans les maisons de repos. Elle dégage une impression de sérénité – elle n’est pas au bout de sa vie, comme disent les jeunes – dans ces circonstances dramatiques. Les ministres doivent parfois prendre des décisions dans les 24 heures et elle, je ne sais pas comment elle fait, parvient à prendre des pauses, à marquer des temps d’arrêt pour se poser les questions avant d’agir.”

Christian Jonet – Coordinateur de la Ceinture Aliment-Terre liégeoise

CHRISTIAN JONET
CHRISTIAN JONET© PG

“Nous nous connaissons depuis six-sept ans car Christie Morreale s’est beaucoup intéressée au mouvement coopératif liégeois, notamment dans le secteur alimentaire. Elle a visité des coopératives et discuté avec du monde, bien avant d’être ministre. Nous nous retrouvons sur pas mal de valeurs car c’est une femme progressiste et qui a toujours eu une fibre environnementale assez forte. Je sens chez elle une envie de soutenir un mouvement coopératif qu’elle trouve enthousiasmant. Et ce ne sont pas seulement des envies ou des paroles, mais des actes: la création de trois hubs logistiques pour promouvoir le circuit court alimentaire a été intégrée dans le plan de relance, c’est un projet très ambitieux.

Je n’aimerais vraiment pas être à la place du monde politique dans cette crise sanitaire. Il me semble pourtant que Christie Morreale parvient à maintenir un cap de manière à la fois calme et décidée. Elle aurait pu être totalement happée par cette thématique. Ce n’est pas le cas, elle a continué à consacrer beaucoup de temps et d’énergie au développement de l’économie sociale. Christie Morreale et les gens de son cabinet restent très à l’écoute et nous appellent régulièrement pour prendre le pouls. Elle continue à aller à la rencontre des acteurs, par exemple sur les marchés de producteurs.”

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