Le réseau de Barbara Trachte

"Au piano, comme en politique, on peut se préparer, mais on ne parviendra jamais à maîtriser tous les paramètres." © Alexis Haulot
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Elle est plongée dans le bain politique depuis l’enfance, au point de déjà rédiger des tracts à l’école primaire! La secrétaire d’Etat bruxelloise à la Transition économique (Ecolo) affiche une personnalité très déterminée mais aussi très à l’écoute des différents points de vue

“En fait, j’ai toujours fait de la politique.” Avec un papa travaillant chez Amnesty International et une maman réfugiée du Rwanda qui officiait comme infirmière au Petit-Château, Barbara Trachte a toujours entendu parler des grandes questions de société et de politique internationale autour de la table familiale. “Mon frère et moi avons eu conscience très tôt de la chance que nous avions de pouvoir grandir en Belgique et de l’importance de s’engager ici, confie-t-elle. Nous avons vite intégré le fait que ce qui se passait à l’autre bout du monde nous concernait aussi.”

Et ce n’est pas à l’école que cette prise de conscience a été mise entre parenthèses. Ses parents avaient en effet opté pour une école pratiquant la pédagogie active, où l’on lisait le journal en classe dès qu’on avait appris à lire. “La chute du mur de Berlin, je me souviens que nous en avons parlé à l’école primaire, raconte-t-elle. Nous avons même rédigé des pamphlets sur la politique du bourgmestre de l’époque, Roger Nols, ce qui avait valu une visite de la police à l’école. C’était une évidence pour moi de participer, et même d’être l’une des chevilles ouvrières de ces combats sociétaux, comme l’antiracisme.” Il paraît même que sur des clichés des années 1990, on peut apercevoir la jeune Barbara Trachte lançant des oeufs sur le bâtiment de la Communauté française, place Surlet de Chokier, lors de manifestations réclamant, déjà, un refinancement de l’enseignement…

La nostalgie du Conseil d’Etat

Cet intérêt grandissant pour les débats politiques l’incite à assister à quelques conseils communaux. C’est ainsi qu’elle fera la connaissance d’ Isabelle Durant (dont les enfants fréquentent son école), Denis Grimberghs (échevin cdH) ou Bernard Clerfayt (DéFI) qui est aujourd’hui son collègue au gouvernement bruxellois. “Toutes ces personnalités, je les côtoyais déjà pendant mon adolescence”, dit-elle.

Barbara Trachte choisit d’étudier le droit à Saint-Louis, puis à l’ULB. Un choix dicté à la fois par la volonté de mieux comprendre le fonctionnement de nos institutions et par l’ouverture du procès des génocidaires rwandais, responsables notamment de la mort de plusieurs membres de sa famille maternelle. “Dès la première année, j’ai eu la chance d’avoir Françoise Tulkens comme professeure pour des séminaires, se souvient Barbara Trachte. J’ai eu la confirmation que c’était bien la voie que je devais suivre. Aujourd’hui, je ne fais plus vraiment du droit mais cela reste pour moi une vraie grille de lecture, une manière d’aborder les dossiers.” Elle a toutefois travaillé plusieurs années comme juriste, d’abord à Fedasil avec Isabelle Kuntziger (directrice de l’école d’administration publique Wallonie-Bruxelles) et ensuite comme avocate stagiaire au cabinet de Philippe Levert (DLM) et Jacques Englebert. Sa première affaire fut une plainte contre un bourgmestre qui avait dépassé le plafond de dépenses électorales. “C’était super pour une jeune avocate qui s’intéresse à la politique, se souvient-elle. Et on a gagné! J’ai même plaidé au Conseil d’Etat. J’aimais beaucoup le Conseil d’Etat, c’est peut-être l’une des choses qui me manque.”

La découverte d’Ecolo…

Les années d’université furent aussi celles de l’engagement politique concret. Chez Ecolo. Une évidence pour cette femme qui veut combiner les enjeux locaux et globaux, environnementaux et sociaux. “Je n’ai pas fait de shopping électoral, assure Barbara Trachte. Si Ecolo n’avait pas existé, je n’aurais pas milité dans un parti politique.” Elle distribue ses premiers tracts lors des communales de 2000. Elle y rencontre Vincent Vanhallewyn, aujourd’hui premier échevin à Schaerbeek et qu’elle considère depuis comme son alter ego politique. “Nous échangeons tout le temps”, dit-elle.

A l’époque, sous l’impulsion du secrétaire fédéral Jean-Michel Javaux, elle participe à la naissance d’Ecolo-J avec Benoît Hellings (premier échevin à Bruxelles), Matthieu Daele (député de Verviers) et quelques autres. Elle sera un temps coprésidente de cette section “jeunes” d’Ecolo. Elle tisse alors de nombreux liens en Wallonie, en Flandre ( Kristof Calvo, député fédéral depuis 2010, préside les Jong Groen à la même époque) et dans toute l’Europe. Elle est proche de Ska Keller, eurodéputée allemande et qui avait été la candidate des Verts à la présidence de la Commission, et surtout de Franziska Brantner qui est désormais secrétaire d’Etat allemande à l’Economie.

Le réseau de Barbara Trachte
© Alexis Haulot

… et des autres partis!

Paradoxalement, la politique active ouvrira aussi Barbara Trachte vers des représentants des autres partis politiques. Elue députée en 2009 (et réélue depuis), elle apprécie la cafétéria du Parlement, ce lieu où les députés peuvent confronter leurs points de vue hors du champ des micros et des caméras. “Cela permet de voir ce que les gens ont dans le ventre, quelles sont leurs lignes, dit-elle. Tant qu’on ne fait pas de la politique à temps plein, on a finalement peu l’occasion de telles discussions avec des adversaires politiques. C’est dommage, je trouve.” De sa vie parlementaire, elle conserve des liens étroits avec Joëlle Maison (DéFI), Françoise Bertiaux (MR), Caroline Désir (PS) ou Alda Greoli (Les Engagés).

Après 10 ans de vie parlementaire, elle se sent prête à “mettre les mains dans le cambouis” et à assumer un poste dans un exécutif. Ce sera celui de secrétaire d’Etat à la Transition économique. “Notre ambition de verdir l’économie était beaucoup plus originale en 2019 qu’aujourd’hui, constate Barbara Trachte. Avec les problèmes des chaînes d’approvisionnement et les prix de l’énergie, tout montre qu’il faut aller dans cette direction. Les signaux sont encourageants. Quand il a reçu son prix, le Manager de l’Année Sébastien Dossogne a déclaré que ce qui l’inspirait, c’était les Objectifs du développement durable (de l’Onu, Ndlr). C’était sa première phrase à la cérémonie, c’est incroyable quand même.” Cela dit, si elle se réjouit de cette évolution des esprits, la secrétaire d’Etat veille aussi à ne pas aller plus vite que la musique et à prendre le temps de convaincre. “Je suis habitée par la question de l’urgence climatique, confie-t-elle. L’erreur serait cependant de croire que cette conviction est partagée par tous. Il faut prendre les gens là où ils sont et non là où l’on pense qu’ils sont. Il faut les écouter et prendre le temps de confronter les idées.” Elle se réjouit globalement du dialogue avec le monde économique et des personnalités comme le CEO de finance & invest.brussels Pierre Hermant (“il m’apprend des choses chaque semaine”), Laurent Hublet (Be Central), Ibrahim Ouassari (Molengeek), Leila Maidane (begreator) ou Pascale Switten (Cameleon).

Manifestement, Barbara Trachte adore être dans l’action, dans la construction de solutions. De là à dire qu’elle sera toujours mandataire politique dans 10 ou 20 ans, il y a toutefois de la marge. “Je ne suis pas accrochée à la politique mais ce que je ferai sera toujours politique, conclut-elle. Avancer sur les enjeux climatiques et sociaux sera toujours au coeur de mon action. Cela passera peut-être par une association ou même une banque mais ça aura toujours un sens collectif et ce sera lié à la durabilité.”

La politique, c’est comme le piano

Pour un petit resto, la secrétaire d’Etat donne volontiers rendez-vous au Mangeoire, situé à Bruxelles, pas très loin de son cabinet. “C’est tenu par un couple et ils font tout eux-mêmes, dit-elle. Il n’y a pas grand-chose à la carte mais c’est tellement bon! Ils font aussi épicerie fine.”

“Sinon, pour être honnête, je n’ai pas beaucoup de temps, poursuit Barbara Trachte. Ma vie professionnelle est très épanouissante, je suis très heureuse de ce que je fais. Mais j’ai aussi deux jeunes enfants. Comme il n’y a que 24 heures dans une journée, les activités culturelles et les sorties au resto sont assez réduites et, oui, ça me manque. Mais je le répète, j’ai un job passionnant. Visiter des entreprises avec une charlotte sur la tête et découvrir tous les projets de ces entrepreneurs, j’adore ça.”

De temps en temps, elle “force” son agenda pour assister à un concert. Car Barbara Trachte est aussi pianiste. C’est même par ce biais qu’elle a découvert la maison communale de Schaerbeek, siège de l’académie de musique. “Ce fut une école de vie pour moi, j’y ai appris beaucoup de choses qui me sont encore très utiles aujourd’hui, confie-t-elle. Au piano, on peut se préparer mais on ne parviendra jamais à maîtriser tous les paramètres. Ce n’est pas parce que vous faites tout très bien que ce sera chouette à entendre, il faut cette touche d’inspiration. C’est vrai également dans mon métier actuel. Ce n’est pas parce que vous avez 10/10 à votre bulletin que la sauce va prendre. L’économie, c’est un domaine de liberté. Si on veut amener les entreprises vers la transition, il faut qu’elles en aient vraiment envie. Il faut avoir conscience de cela dans l’action politique.”

Franziska Brantner
Franziska Brantner© pg

Franziska Brantner

secrétaire d’Etat à l’Economie (Allemagne): “J’ai rencontré Barbara au début des années 2000, lors de réunions des jeunes écologistes d’Europe. Nous nous engagions pour une Europe plus solidaire et plus verte… et nous le faisons toujours! Nous sommes restées en contact depuis. Quand je suis entrée en gouvernement, Barbara m’a donné des conseils sur la manière d’agir, notamment lors des réunions européennes. Nous continuons à échanger nos idées, nos approches. Cela ne sert à rien de vouloir à chaque fois réinventer le monde, profitons des expériences des autres. La manière dont Barbara fait travailler son administration sur la définition de nouveaux indicateurs de bien-être, je trouve cela exemplaire et je compte bien m’en inspirer.

Barbara est très ancrée à Bruxelles, qu’elle connaît si bien. Je retiens ce détail: lors des conseils européens, elle veille à porter des vêtements de designers belges pour promouvoir son pays, sa région et leurs entreprises. Elle ne fait pas que parler d’économie locale, elle la vit!

Barbara a un vrai instinct politique. Elle est aussi très à l’écoute, y compris de celles et ceux qui n’ont a priori pas les mêmes opinions qu’elle. C’est la manière dont j’aime faire de la politique. Etre à l’écoute, convaincre et parfois aussi être convaincue. On doit pouvoir se dire que l’autre a raison et adapter alors notre politique.”

Joëlle Maison
Joëlle Maison© belgaimage

Joëlle Maison

députée DéFI: “Nous nous connaissons via le Parlement de la Communauté française et en particulier la commission de l’Education. Nous étions toutes les deux dans l’opposition, avec des profils très complémentaires, Barbara avait l’expertise parlementaire et moi l’expérience d’échevine de l’Enseignement. Elle est calme et pose un regard sage sur les choses quand je suis plus explosive. Nous avons vite sympathisé et développé une véritable amitié, bien en dehors de la vie politique. Nous sommes dans deux partis différents, nous ne sommes pas d’accord sur tout mais la campagne électorale de 2019, nous l’avons pourtant quasiment faite ensemble!

Barbara est une personne assez secrète, un peu mystérieuse. Elle ne se répand pas beaucoup. Mais elle agit avec beaucoup de détermination et de subtilité. J’ai rarement rencontré une personnalité aussi subtile. Elle n’exprime pas facilement ses émotions et j’ai été très émue quand elle m’a offert le livre qui l’avait le plus touchée ( Confiteor de l’écrivain catalan Jaume Cabré). C’est une manière pour cette grande lectrice de partager ses émotions. Et puis, on le sait peut-être moins, mais Barbara a beaucoup d’humour. Un humour de type anglais, à froid. Nous avons beaucoup ri aussi au Parlement. Aujourd’hui, malgré son agenda politique très chargé – j’étais super-contente quand elle a été désignée au gouvernement régional – nous continuons à prendre le temps de discuter ensemble.”

Pierre Hermant
Pierre Hermant© PG

Pierre Hermant

CEO de finances & invest.brussels: “Une ministre qui ose dire ‘je ne sais pas’ ou ‘je ne comprends pas’, ce n’est pas très fréquent. Et c’est pour moi, une preuve d’intelligence. Après, toi aussi tu poses tes questions, tu demandes ‘pourquoi faites-vous ceci ou cela? ‘ C’est de la remise en question constructive. Je l’ai vécu durant la pandémie. Barbara Trachte s’arrangeait toujours pour avoir un panel d’expertises très large et pour que chacun puisse écouter les arguments des autres. Elle n’arrive pas dans la discussion avec des positions dogmatiques et fait super bien fonctionner l’intelligence collective. C’est ainsi que vous obtenez l’adhésion. Elle a une manière très subtile de réussir à entraîner les gens dans des changements parfois un peu radicaux.

Il ne faut pas se méprendre sur son humilité: c’est une secrétaire d’Etat qui tranche et assume ses décisions. Elle prend toujours le temps de les expliquer clairement. Même si vous n’êtes pas tout à fait d’accord, vous respectez sa décision car vous savez que vous avez été écouté.

Par ailleurs, j’admire sa capacité à veiller au bon équilibre entre sa vie de famille et son boulot. Elle met des limites, elle n’accepte pas la ixième réunion qui ne débouchera sur rien. On la sent équilibrée et bien posée dans les discussions. Quand vous avez un rendez-vous avec Barbara Trachte, elle est vraiment disponible pour vous.”

Kristof Calvo
Kristof Calvo© belgaimage

Kristof Calvo

député Groen: “J’ai appris à connaître Barbara à travers les organisations de jeunesse écologistes. Avec Matthieu Daele, Benoît Hellings et quelques autres, c’était une génération politiquement forte et aussi des personnalités très sympathiques. Je suis resté en contact avec Barbara. J’apprécie en particulier son ouverture d’esprit, elle sait faire des ponts avec les autres familles politiques ou, dans ses compétences actuelles, avec le monde de l’entreprise. Avec ces qualités, c’est dommage qu’elle ne soit pas active au fédéral… Mais elle aime tant Bruxelles!

Elle parvient à combiner un travail de fond sur les idées et des actions concrètes en faveur de micro-entreprises ou d’indépendants. Agir ainsi sur les deux niveaux, ce n’est pas évident pour tout le monde.

J’ai toujours encouragé Barbara à être ambitieuse. Elle est plus modeste que la moyenne des gens, elle ne cherche pas systématiquement à être sur le podium – ce qui, pour moi, est plutôt une qualité – et là, je suis content qu’elle soit entrée dans un gouvernement, qu’elle ait une mission en lien avec ses qualités. Malgré ses fonctions, elle reste toujours aussi modeste. C’est une personne très accessible, curieuse, qui aime le travail de terrain, avoir de vraies conversations avec les gens.”

Pascale Switten
Pascale Switten© PG

Pascale Switten

CEO de Cameleon: “Nous nous sommes connues lors des discussions pour la relance de Cameleon. La première fois, je me suis dit que cette ministre avait quand même l’air un peu timide. J’avais tort: Barbara est une femme de caractère, vraiment passionnée par sa vision politique et par cette transition économique dont elle a désormais la charge.

C’est incroyable le soutien qu’elle nous a apporté, alors que nous arrivions après une faillite et avec un projet innovant de gouvernance participative. Quelqu’un qui croit en nous au point de dire “Si ça ne réussit pas, ce n’est pas grave, nous aurons essayé”, c’est très motivant pour toute l’équipe. Elle a écourté ses vacances pour être à nos côtés le jour où nous avons rouvert nos portes, le 22 décembre dernier.

Il fallait du courage, dans une année avec de nombreuses faillites et PRJ, pour mettre en avant une entreprise avec un nouveau mode de gouvernance, qui cherchait une rentabilité sociale et pas seulement financière. Barbara fait tout cela avec humilité mais aussi une forte détermination. Elle veut contribuer à de gros changements dans notre économie, avec plus de circularité et de participation. C’est une nouvelle manière de faire du business et nous sommes vraiment sur la même longueur d’onde.”

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