Le PTB, Bernard Arnault et la fiscalité

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Qui est derrière la machine du PTB, le parti d’extrême gauche qui a révélé que Bernard Arnault possède une fondation en Belgique, Protectinvest, qui pourrait lui servir à organiser une succession moins fiscalisée chez nous qu’en France?

Qui est derrière la machine du PTB, qui embarrasse la FEB et les chefs d’entreprises ? Le parti d’extrême gauche a fait “coup” la semaine dernière en révélant que Bernard Arnault possède une fondation en Belgique, Protectinvest, qui pourrait lui servir à organiser une succession moins fiscalisée chez nous qu’en France. Explications sur le fonctionnement du parti et sa stratégie.

Le PTB (PVDA en flamand) n’a aucun député, pas de sénateur, à peine 15 conseillers communaux, tous dans l’opposition. Pourtant cet ancien parti révolutionnaire gagne en influence, en particulier sur le terrain fiscal. Lorsque Bekaert a annoncé une restructuration il y a quelques mois, il a fait mouche en révélant que le groupe ne payait pas d’impôt en Belgique. L’info a fait le tour des médias et mis dans l’embarras la direction de Bekaert.Rebelotte la semaine dernière dans l’affaire Arnault. Le PTB a fait grand bruit en révélant que Bernard Arnault possèdait une fondation en Belgique, Protectinvest, qui pourrait lui servir à organiser une succession moins fiscalisée chez nous qu’en France.

La métamorphose d’un parti révolutionnaire

Voici une décennie, le PTB était marginal et développait une rhétorique marxiste-léniniste “largement maoïste”, explique Pascal Delwit; professeur en sciences politiques à l’ULB. Son influence dans le conflit des Forges de Clabecq à Tubize illustre le PTB ancienne manière. Avec l’épisode spectaculaire de la violence sur le curateur, Alain Zenner, qui apparut le visage ensanglanté devant les caméras de télévision après avoir été “bousculé” par des travailleurs.

“Tout cela a changé après un congrès en 2008, le parti est devenu plus réformiste, et mène des combats sur des choses très terre à terre, comme le prix des sacs poubelle ou celui de l’abonnement STIB pour les étudiants, poursuit le professeur. Il a adopté une approche assez sociale-démocrate, et développe une communication volontariste en direction des médias, ce qu’il ne faisait pas auparavant. Il cherche visiblement à suivre la voie qu’a prise le Socialistische Partij aux Pays- Bas, un parti maoïste qui a effectué le même virage beaucoup plus tôt, et a progressé
électoralement.”

Un bureau d’études de bénévoles

“Nous avons quitté une approche dogmatique pour nous concentrer sur les préoccupations quotidiennes des gens”,assure David Pestieau, responsable du bureau d’études du PTB. Cet ingénieur, neveu de l’économiste liégeois Pierre Pestieau, est rédacteur en chef du journal du parti, Solidaire, et s’affaire à renforcer le bureau d’études. “Nous n’avons pas beaucoup de budget, mais des contributeurs bénévoles, comme Dirk Van Duppen (Ndlr, président de Médecine pour le peuple) pour le médical.” Pour les questions fiscales, le principal expert est Marco Van Hees, qui connaît bien la matière, puisqu’il est inspecteur des impôts (des sociétés). Il a publié plusieurs ouvrages qui peuvent être compris comme des contributions à l’action du PTB: La fortune des Boël; Didier Reynders, l’homme qui parle à l’oreille des riches; Banques qui pillent, banques qui pleurent (Editions Aden).

Marco Van Hees nourrit la critique du PTB sur la distorsion entre la fiscalité du travail et du capital. Pour Bekaert, il a juste été consulter des informations tout à fait publiques, les bilans non consolidés de l’entreprise en Belgique, pour constater qu’elle ne payait pas d’impôts. “Les chiffres des rapports annuels sont consolidés, donc cela ne se voyait pas”, indique-t-il. La presse a suivi.

Pas d’économistes universitaires visibles

Le PTB recourt à des experts économiques dans certaines universités, mais contrairement à Ecolo, dont les sympathisants sont connus, à commencer par Philippe Defeyt, il n’y a pas d’économistes proches du PTB “visibles”. “Certains chercheurs sympathisants nous aident, comme cela a été le cas pour les pensions, à démontrer que les réformes de décembre allaient signifier une baisse des pensions pour les chômeurs ou des personnes prépensionnées, mais ils préfèrent rester anony –
mes”, confirme David Pestieau. Il y a bien Robert Halleux, de l’ULg, qui s’était présenté aux législatives pour le PTB, mais il est historien des technologies, pas économiste.

Du côté des entreprises et des fédérations, les attaques répétées sur les dispositifs de déduction fiscale (intérêts notionnels, revenus définitivement taxés), sur le taux réel modéré payé par les grandes entreprises troublent la FEB — qui n’a pas souhaité réagir pour cet article — dans la mesure où elles font mouche dans les médias. Le taux moyen modéré est obtenu en mélangeant des entreprises de type très différent, y compris celles qui jouent le rôle de “banque” pour des groupes, des centres de coordination profitant aujour d’hui de la législation sur les intérêts notionnels. Leur taux modéré s’explique par la raison qui a mené à leur création en Belgique: un dispositif fiscal favorable visant à les attirer.

“Très attirant en période de crise”

Geert Noels, économiste et co-fondateur du groupe Econopolis, est très critique sur cette “percée” dans le débat politique. “Pour moi c’est du populisme de gauche, déclare-t-il. Il ne force pas ma sympathie, pas plus du reste que le populisme de droite. Les thèses sont connues: les riches sont en faute, il faut prendre l’argent là où il est. C’est très attirant en période de crise. On rend ce parti acceptable, l’invite à débattre dans les médias, comme on l’a fait avec l’extrême droite. Mais il préconise le marxisme, le marxisme-léninisme. On oublie les crimes qui ont été commis au nom de cette doctrine.”

Geert Noels a lu le livre de Peter Mertens, le président du parti en Flandre. L’ouvrage Hoe durven ze? a remporté un vif succès, s’écoulant à plus de 10 000 exemplaires et il est aussi disponible en français (écrit en collaboration avec David Pestieau aux éditions Aden, “Comment osent-ils? La crise, l’euro et le grand hold-up”.)

L’économiste reproche au PTB “d’avoir une vision top down: on doit forcer les gens à changer, l’Etat doit intervenir et prendre les rênes de l’économie.” Quant aux débordements du monde financier, il estime que “le PTB n’a pas le monopole de l’indignation. Moi aussi j’ai critiqué certaines pratiques”.

Le PTB a abandonné ses objectifs révolutionnaires et le maoïsme. Mais il est vrai que ses objectifs politiques méritent d’être clarifiés. Est-il keynésien, comme l’économiste américain Paul Krugman, qui partage avec le PTB la même critique des programmes d’austérité développés en Europe? “Nous partageons certaines analyses de Krugman, répond David Pestieau, mais nous pensons pas que le keynésianisme apporte toutes les réponses. Peut-être pour le développement de politiques de relance, mais cela ne suffit pas. La grille d’analyse de Karl Marx reste encore pertinente. Mais un marxisme du 21e siècle.”

Un programme de nationalisations

En clair, sur le plan économique, le PTB défend l’idée d’une certaine nationalisation. “Nous ne sommes pas idéalistes, mais il nous paraît urgent de mettre en cause certains fondements. Les banques, l’énergie et les transports doivent fonctionner sous le contrôle de la population, via l’Etat”, soutient David Pestieau. Il n’est cependant pas favorable à la décroissance.

Populisme de gauche, comme le soutient Geert Noels? “C’est le joker que l’on sort quand on est à court d’argument, réagit Marco Van Hees. La réalité est que la Belgique est un enfer fiscal pour les travailleurs et un paradis pour les entreprises. Les chiffres publics sont assez clairs à ce sujet.”

La position du PTB tire parti de la position délicate du PS. Son ex-président, Elio Di Rupo est devenu Premier ministre, et doit organiser une politique d’austérité. Il essaie de garder un ancrage à gauche par des sorties de Laurette Onkelinx sur la fiscalité et de Paul Magnette, mais doit accepter des décisions difficiles pour son électorat. Paul Magnette a ainsi récemment utilisé un argument bien marxiste, en défendant l’index, le présentant comme “une institution anti-capital”. “J’ai failli envoyer un tweet pour le féliciter et lui dire qu’il est le bienvenu au PTB, à condition qu’il quitte le gouvernement”, ironise David Pestieau.

Devenu fréquentable, cité par des journaux comme La Libre ou De Standaard, invité sur les plateaux de télé, le PTB encaisse-t-il les dividendes de sa notoriété? Les sondages ne reflètent pas de frétillement. Le baromètre de La Libre de février indique juste que, le PTB frôle les 3% d’intentions de vote aux législatives. Le sondage du Soir de ce 12 mars lui accorde 2,6 % en Wallonie et 2,7 % à Bruxelles. Le défi du PTB est de toucher un public plus large que celui des ouvriers qu’il visait traditionnellement et que reflète sa petite implantation électorale dans des zones plutôt ouvrières (Herstal, Genk, Zelzate, La Louvière, etc.). Les communales qui approchent permettront de mesurer si cette politique d’élargissement porte ses fruits.

Robert van Apeldoorn

Les partis proches

Les représentants du PTB assurent n’avoir aucun
modèle, mais suivent manifestement la voie prise par
plusieurs partis (ex)communistes de pays voisins,
avec succès quelques fois.

Socialistische Partij (Pays-Bas). Parti fondé en 1971. Contrairement à ce que son nom
indique, il n’est pas le cousin batave du PS, mais plutôt du
PTB/PVDA. En 1991, il quitte le communisme pour
défendre un socialisme plus marqué que le PVDA, le
parti équivalent à notre PS. Et fait une percée électora le,
passant d’un score de moins d’un pour cent à 16,6% en
2006 (législative), ramené à environ 10% en 2010.

Die Linke (Allemagne). Assemblage des héritiers du
parti communiste de la RDA, le SED, d’une dissidence
du parti social-démocrate (SPD), le WSAG, qui n’a pas
digéré les reformes du marché du travail lancées par
le chancelier Gerhard Schröder (réformes Hartz), et
Oskar Lafontaine, ancien président du SPD. Il a obtenu
presque 12% des suffrages lors des élections fédérales
de 2009. Il est dans l’opposition.

PCF (France). C’est sans doute l’un des derniers partis
commu nistes. Avec un score de 4,6% aux législatives de
2007, il est loin des 20% atteints dans les années 1970.
Il tente de revenir avec la candidature, sous ses couleurs,
d’un ancien membre du Parti Socialiste, Jean-Luc
Mélenchon, qui intéresse beaucoup le PTB.

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