Daan Killemaes

“Le populisme fallacieux de la brique belge’

Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

Chacun sait combien une crise immobilière peut être moche, mais les ânes politiques butent malgré tout encore et encore sur la même pierre, affirme Daan Killemaes, le rédacteur en chef du Trends néerlandophone.

Chacun connaît les conséquences dramatiques que peut engendrer une crise immobilière. Et pourtant, les ânes politiques butent toujours sur la même pierre. Face au choix entre la promotion absurde pour devenir propriétaire de son habitation et la préservation de la stabilité financière, ils choisissent à chaque fois le gain politique à court terme, au détriment de l’intérêt général à long terme. Soit les hommes et femmes politiques n’osent pas heurter l’électeur en rendant le crédit hypothécaire plus cher, soit ils amadouent les banques qui désirent vendre toujours davantage de crédits hypothécaires pour étayer leurs bénéfices, soit ils cèdent devant le lobby immobilier qui leur fait les yeux doux.

Le 12 juin, le gouvernement fédéral a demandé à la Banque Nationale de postposer une mesure qui obligerait les banques à conserver encore davantage de fonds propres pour les hypothèques les plus risquées. Cela rendrait ces crédits plus chers et par conséquent moins accessibles pour les personnes disposant de peu d’argent. Dans un pays où le citoyen est né avec une brique dans le ventre, le gouvernement ne veut pas de cela. La préoccupation du gouvernement peut paraître sociale, mais c’est purement du populisme. L’accessibilité financière d’une habitation ne progresse pas d’un euro en maintenant le crédit hypothécaire facilement accessible. Si le marché est inondé de crédits bons marché, le prix des maisons augmentera proportionnellement. L’avantage ira vers les propriétaires existants, et les perdants seront les familles qui désirent encore acquérir une habitation. La seule chose que cela fait progresser, ce sont les dettes de l’acheteur.

Nouvelle bulle immobilière

La bulle immobilière américaine a été possible grâce aux subventions publiques et aux crédits artificiellement bons marché pour les personnes dont la solvabilité est limitée. Cette faille n’est toujours pas résolue, et les États-Unis sont en train de créer une nouvelle bulle immobilière. Nous reproduisons cela, à petite échelle et à notre manière. Une implosion comme celle aux États-Unis n’est pas à craindre, mais tôt ou tard, la facture nous sera envoyée. Alors là, le politique s’en souciera. La faiblesse des taux d’intérêt a, ici aussi, permis un pacte monstrueux entre les Belges à la recherche d’un investissement performant et les banques à la recherche de profit. Afin de faire face à la pression sur leur marge d’intérêts, les banques visent davantage de volumes, ce qui les conduit à prendre davantage de risques. Le pacte monstrueux a engendré un monstre prenant la forme de prix toujours plus élevés pour les habitations, de dettes de plus en plus élevées, et d’une instabilité plus grande du système bancaire.

Le populisme fallacieux de la brique belge

Depuis 2000, les crédits hypothécaires en cours dans ce pays ont été multipliés par quatre, jusqu’à presque 200 milliards d’euros, et les prix des maisons ont à peu près doublé. Le marché de l’immobilier résidentiel belge est l’un des rares marchés qui ne se soient pas fait tondre lors de la crise de 2008 et 2009. Certains paramètres indiquent une survalorisation grotesque, mais les analyses, sur base de l’offre et de la demande, révèlent une survalorisation de 5 à 10%. Ce n’est pas si mal, mais ce n’est pas une garantie contre une forte chute des prix. Le marché immobilier est lui aussi soumis aux lois de la cupidité et de la peur. Une forte hausse des taux d’intérêt, bien que celle-ci ne soit pas directement à l’ordre du jour, ferait tomber le couperet. La Banque Nationale met en garde, car une crise immobilière serait très mauvaise pour l’économie et elle aurait des conséquences sur la stabilité du système bancaire belge.

Hypothèques risquées

Ce qui est surtout préoccupant, c’est l’augmentation rapide des crédits hypothécaires à haut risque. 13% des crédits hypothécaires contractés le sont par des familles qui consacrent 40% de leurs revenus au remboursement de ce crédit. Celles-ci disposent en général de peu de réserves d’épargne et recourent bien souvent à un crédit pour plus de 90% de la valeur du bien. Pour l’instant, cela ne pose pas problème, car le nombre de défauts de paiement est faible. Les modèles d’évaluation des risques internes des banques suggèrent par ailleurs qu’un coussin de fonds propres supplémentaires n’est pas nécessaire. Mais la Banque Nationale prévient que ces modèles sont faussés par les circonstances de marché favorables des vingt dernières années. Ils sous-estiment les pertes en cas de crise sérieuse. Selon les modèles de risque internes des banques, la crise financière de 2008 n’était également pas possible d’un point de vue statistique.

Il est plus inquiétant encore que la croissance du marché hypothécaire, en 2015 et 2016, n’ait plus été accompagnée de restrictions des conditions de crédit, comme ce fut pourtant le cas au cours de la période 2012-2014. Les banques prennent par conséquent des risques plus importants, sans exiger de rémunération supplémentaire. Ce non-respect d’un principe de base essentiel se termine en général par des catastrophes. La Banque Nationale exige donc à juste titre que les banques constituent davantage de fonds propres pour les crédits à risque, mais le gouvernement opte pour la brique dans le ventre. La transformation de celle-ci en brique sur l’estomac, c’est un souci pour demain.

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