Paul Vacca
Le populisme, cet obscur objet de fascination
Existe-t-il incarnation plus parlante de la fusion du corpus et du corps dans le populisme?
Comment saisir la véritable nature des surgissements populistes actuels? On peut soit en disséquer les teneurs philosophique, historique, linguistique, sémiologique dans le but de déconstruire leur appareillage idéologique, mais c’est au risque de passer à côté de ce que ces mouvements ont de tribal et de tripal. Ou, au contraire, choisir de se plonger dans ces mouvements, d’en sonder les soubresauts à hauteur de foules, mais cette fois-ci au risque de ne pas en percevoir les impensés idéologiques. Bref, c’est soit le corpus, soit le corps. Or dans les mouvements populistes ces deux composantes sont indéfectiblement liées.
“Un mois avec un populiste”, un essai signé Anna Bonalume publié chez Pauvert parvient à échapper à cette dichotomie. Car en sa qualité de journaliste politique et de philosophe, l’autrice propose les deux: l’immersion et la réflexion. Une double focale pour saisir le phénomène en tenaille. Côté embedded, l’autrice a suivi Matteo Salvini, le leader de la Ligue, pendant un mois de campagne électorale, du nord au sud de l’Italie, de son bureau de sénateur aux trattorias des petits villages. Un essai picaresque, mené tambour battant – jusqu’à huit meetings certains jours – truffé d’anecdotes, de rencontres et d’échanges qui donnent à voir la vie quotidienne italienne en prise directe. Mais, côté réflexion, l’essai, même au coeur de la frénésie électorale, prend le temps d’analyser le phénomène et de faire naître des perspectives et des correspondances éclairantes avec les autres figures populistes européennes ou mondiales.
Et de faire émerger, tel qu’en lui-même, le Monsieur Loyal de ce Grand Populiste Circus: Matteo Salvini. Loin de la caricature que lui-même a largement contribué à façonner, Anna Bonalume nous fait découvrir un personnage plus complexe. Partagé, à l’image du Vicomte pourfendu d’Italo Calvino, avec un côté brut et brutal, mais d’une finesse incomparable lorsqu’il s’agit de jauger ses interlocuteurs. Effrayant aussi, comme le Joker dans le film de Todd Philipps, comme vecteur du ressentiment et de la colère populaires envers les élites. Bouffon, comme Bouffe-Tout, l’un des fantômes de SOS Fantômes constitué de slime, cette substance verte, gluante et visqueuse capable d’épouser n’importe quelle forme, en raison de la plasticité hors pair de ses convictions en fonction de la tendance du moment (et de façon totalement décomplexée comme on a pu le voir pour les vaccins)…
Et surtout bolide politique rutilant profilé dans le laboratoire mondial à l’avant-garde de tous les populismes qu’est l’Italie. A la séduction dévastatrice comme en témoigne le rituel des selfies auquel Salvini s’adonne frénétiquement. Une expérience cathartique, que décrit parfaitement Anna Bonalume, où le corps de Salvini mime le pouvoir, et acquiert, malgré la trivialité de l’instant, une aura sacrée. Entre Benito et bénitier, à la faveur d’un selfie, le corps salvinien devient relique. Existe-t-il incarnation plus parlante de la fusion du corpus et du corps dans le populisme?
Reste que si “Un mois avec un populiste” rend compte de cette fascination, il n’en offre jamais une reconstitution fascinée. Car l’autrice excelle à débusquer l’idéologie sous les gestes comme les postures sous les discours. Au-delà, c’est un ouvrage courageux qui relève le défi – physique et intellectuel – de s’approcher de l’objet de la fascination. Aux antipodes de la position de surplomb distancié et confortable que nous adoptons tous trop souvent face à ces phénomènes. Cet essai écrit au coeur de la fascination du populisme, nous offre chemin faisant les meilleurs clés pour la combattre. En Italie comme ailleurs.
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