Le déraillement des finances publiques échappe à toute maîtrise

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Alain Mouton Journaliste chez Trends  

Avant le 21 juillet, date habituelle des vacances parlementaires, le gouvernement De Croo entend trouver un accord sur les mesures à prendre concernant le pouvoir d’achat, un véritable accord sur le travail et une réforme des retraites digne de ce nom. Il n’est pas fait mention des interventions pour lutter contre les dépenses publiques. Néanmoins, ce processus est toujours entravé par, entre autres, une inflation bien trop élevée.

Le rapport du Bureau du Plan pour le mois de juin montre que l’indice pivot a été atteint au mois d’avril 2022. En conséquence, les prestations sociales ont été ajustées de 2% en mai 2022 et les salaires des fonctionnaires de 2% en juin 2022, en fonction de la hausse du coût de la vie. Sur la base des perspectives actuelles de l’indice de santé, l’indice pivot serait à nouveau atteint en septembre 2022, dès lors les prestations sociales seront augmentées de 2% en octobre 2022 et les salaires des employés publics de 2% en novembre 2022.

Plus haut et plus vite

Donc, cela fera quatre ajustements de l’index en un an. C’est beaucoup plus, et surtout bien plus rapide que les prévisions du dernier rapport budgétaire du comité de suivi, le groupe de fonctionnaires qui surveille les finances publiques. Ce comité a tenu compte du dépassement de l’indice pivot en février, avec 450 millions d’euros de dépenses supplémentaires, et a prévu un deuxième dépassement en juillet de cette année. Le prochain n’aurait dû se produire qu’en avril 2023. C’était trop optimiste, il semble maintenant, et les quatre ajustements de l’index compte tenu de l’inflation pèseront sur le budget 2022 pour au moins 1,8 milliard d’euros supplémentaires.

En conséquence, les dépenses publiques augmentent plus rapidement que prévu, et ce sans que le gouvernement ne décide d’augmenter, par exemple, les prestations ou les pensions. Cela se fait automatiquement, sans aucune négociation politique. Et cela se passe chez nous, un pays qui, à part la France et la Finlande, a déjà les dépenses publiques les plus élevées de l’Union européenne. Avant la crise du coronavirus, celles-ci représentaient 52% du produit intérieur brut (PIB), contre 47% en moyenne dans l’UE. Aujourd’hui, ces dépenses représentent 55 % du PIB, soit 280 milliards d’euros, et rien ne laisse présager une diminution de celles-ci. Bien sûr, tous les pays de l’UE ont dû ouvrir les cordons de la bourse pendant la crise sanitaire pour soutenir les entreprises et les familles et éviter un effondrement de l’économie.

Cependant, dans les pays voisins, les dépenses publiques sont en baisse depuis un certain temps, et la tendance n’est pas prête d’être terminée, tandis qu’en Belgique, cette baisse s’est arrêtée. En outre, le niveau général des dépenses publiques dans les pays voisins est inférieur à celui de la Belgique.

Ainsi s’attaquer au niveau élevé de nos dépenses publiques ne semble pas être une priorité du politique. Le gouvernement De Croo veut conclure un accord, avant le 21 juillet et donc la trêve estivale, avec les mesures à prendre en ce qui concerne le pouvoir d’achat, les retraites, le marché du travail et la transition énergétique. Mais personne ne parle des finances publiques, hormis le rappel occasionnel de la secrétaire d’État au budget Eva De Bleeker (Open Vld).

La coalition Vivaldi a bien sûr reçu un cadeau de la Commission européenne ces dernières semaines, lorsqu’on a appris qu’elle n’avait pas l’intention de renforcer sa surveillance concernant les coupes budgétaires avant 2024. Les pays de l’euro doivent viser un déficit de 3% du PIB et le taux d’endettement doit baisser, de préférence vers 60% du PIB. Ceux qui ne respectent pas ces normes sont mis à l’amende et doivent économiser 0,6% du PIB par an.

Le Covid n’est plus un alibi

La Belgique est dans une zone de turbulences depuis un certain temps déjà et il ne semble pas y avoir de changement immédiat en vue. Un désormais tristement célèbre rapport par pays de la Commission européenne, publié à la fin du mois de mai, dresse un tableau plutôt noir des finances publiques belges. Au coeur de notre problème budgétaire se trouve le fait que les dépenses, et donc le déficit budgétaire, restent trop élevés, même si les mesures de soutien contre le coronavirus, pour les familles et les entreprises, ont été en grande partie supprimées.

La Commission européenne prévoit un déficit budgétaire de 5 % en 2022 et de 4,4 % en 2023. “Les mesures d’allègement de la facture énergétique, l’indexation automatique des salaires, les avantages des fonctionnaires, les dépenses supplémentaires en matière de défense et le budget supplémentaire pour les réfugiés ukrainiens continueront de peser sur les finances publiques à court terme”, indique le rapport. Et encore : “Les déficits prévus en 2022 et 2023 reflètent également une augmentation des dépenses fixes. Comme l’augmentation des coûts liés au vieillissement et les mesures gouvernementales, notamment l’augmentation des pensions minimales et les accords dans le secteur de la santé.” Résultat : le déficit budgétaire structurel – corrigé des interventions ponctuelles et des chocs conjoncturels – atteindra 4,5% du PIB cette année (22 milliards d’euros) et baissera à peine à 4,2% l’année prochaine. Cela signifie que la Belgique présente le déficit budgétaire structurel le plus élevé de tous les pays de la zone euro.

Comme le dit la Commission européenne, on ne peut plus imputer cette situation à la pandémie du coronavirus. C’est également le discours tenu par la Banque nationale dans son dernier rapport qui vient d’être publié. La moitié du déficit de 5,5% en 2021 a été causée par les dépenses liées à la pandémie. Le déficit de 4,5% cette année est de 3% structurel et n’est donc pas lié au covid ou aux mesures de soutien visant à maîtriser le coût de la facture énergétique des ménages. L’année prochaine, le déficit sera presque entièrement structurel et le soutien temporaire du gouvernement n’y jouera plus aucun rôle.

Les derniers chiffres de l’Institut des comptes nationaux confirment cette analyse. Dans l’ensemble des dépenses primaires (sans les charges d’intérêts), les prestations sociales telles que les pensions, la maladie, l’invalidité et les soins de santé sont les plus importantes, avec 26,4% du PIB en 2021. Celles-ci ont continué à augmenter après la crise du corona (24,6% en 2019 et 26,3% en 2020), bien que légèrement. L’explication est simple : 2021 a été la première année où l’on a introduit une série de mesures structurelles, issues de l’accord de coalition fédéral, telles que l’augmentation progressive des minima sociaux pour les pensions, l’incapacité de travail et l’aide sociale. Cette augmentation se poursuivra certainement jusqu’en 2024. Il s’agit de mesures structurelles distinctes de la prime mensuelle temporaire pour certains bénéficiaires de prestations.

Mauvaise combinaison de dépenses

Le niveau relativement élevé des dépenses est une des marque de fabrique de la Belgique depuis des décennies. Une étude de la Banque nationale a listé quelles étaient les dépenses dans notre pays, en 2001 et en 2019, qui étaient inférieures ou supérieures à la moyenne des pays voisins. En 2001, les dépenses sociales en Belgique étaient inférieures de 2 % à celles des pays voisins. Depuis lors, elles ont augmenté si fortement que la différence avec nos voisins est devenue pratiquement nulle. Une autre catégorie frappante est celle des subventions salariales. En 2001, elles étaient aussi élevées que celles des pays voisins. Aujourd’hui, la Belgique dépense en moyenne 2 % de plus en subventions salariales que les pays de référence. Les autres subventions et les salaires des fonctionnaires y sont également proportionnellement beaucoup plus élevés. Un rapport de l’OCDE, récemment publié, sur la Belgique indique que les dépenses consacrées aux salaires des fonctionnaires belges ont augmenté de 60 % depuis 2006. Aux Pays-Bas, ces dépenses ont augmenté de 45 % et en France de 30 %.

La Banque nationale prévoit que les dépenses primaires (hors charges d’intérêts) augmenteront au cours des prochaines années, passant de 50 % du PIB en 2019 à 53 % en 2024, en raison notamment des dépenses courantes. Alors que tous les rapports de la Commission européenne, du Fonds monétaire international et de l’OCDE soulignent la nécessité d’un équilibre différent des dépenses : moins de dépenses courantes et plus de dépenses en capital par le biais, entre autres, d’investissements publics. Si l’on choisit les subventions, alors il vaut mieux soutenir les investissements dans les entreprises, car cela favorise la croissance. Toutefois, les dépenses en investissement augmenteront d’à peine 0,5 % du PIB au cours des prochaines années, tandis que les dépenses courantes continueront d’augmenter de 2 à 3 points de pourcentage du PIB sur une base annuelle.

Ceux-ci se situent principalement dans le système des pensions. Il y a eu l’augmentation de la pension minimale à 1 500 euros, le relèvement du plafond salarial pour les salariés sur la base duquel la prestation de retraite est calculée, l’adaptation du plafond des revenus lors du calcul de la pension des indépendants et la suppression du coefficient de correction pour les indépendants, cela signifie qu’à partir de l’année de carrière 2021, ce sont 100% des revenus qui seront pris en considération pour le calcul de la pension.

Selon le rapport triennal de la Commission européenne sur le vieillissement de la population, qui examine les projections à long terme des dépenses publiques liées à l’âge – pensions, soins de santé, mais aussi éducation – la position de la Belgique n’est pas très enviable. Avec 25,6 % du PIB (125 milliards d’euros) consacrés aux dépenses publiques liées au vieillissement, la Belgique se situe au-dessus de la moyenne européenne. En outre, l’augmentation prévue de ces dépenses de 5,4 points de pourcentage du PIB jusqu’en 2070 est l’une des plus élevées de tous les pays.

Un chemin peu encourageant

Cette tendance ne peut être inversée que par une réforme profonde du système des retraites et un assainissement des finances publiques. Dans son rapport sur la Belgique, la Commission européenne souligne que c’est également nécessaire pour au moins stabiliser la dette publique belge. Ce pourcentage était passé à 113 % du PIB au cours de l’année de la pandémie en 2020 et oscille actuellement autour de 108 %. La Commission s’attend à ce que le ratio d’endettement se stabilise autour de 107 % en 2022-2023, mais, si la politique reste inchangée, il atteindra 117 % du PIB au cours de la prochaine décennie. Cela s’explique par les dépenses liées aux pensions, mais aussi par le fait que les années de faibles taux d’intérêt touchent progressivement à leur fin.

Un effort gigantesque est donc nécessaire pour ramener ce ratio d’endettement sur une trajectoire viable. Si la Belgique veut atteindre un taux d’endettement de 60% du PIB dans 20 ans, le déficit budgétaire devra être éliminé d’ici 2028. L’effort budgétaire annuel de 0,6 % du PIB (environ 3 milliards d’euros), tel que prévu par le pacte de stabilité européen, est insuffisant pour cela. Il serait plus réaliste d’atteindre un déficit de 3 % du PIB en 2028. Cela permettrait de ramener le ratio d’endettement à 100 % du PIB dans dix ans.

Or, la Belgique n’a pas eu un bulletin fort encourageant à cet égard au cours des dernières décennies, même durant les années sans crise. Selon Johan Van Gompel, économiste à la KBC, “Au cours des 20 dernières années, le gouvernement belge n’a pratiquement jamais réussi à atteindre l’objectif qu’il s’était fixé lors les programmes annuels de stabilité. Ce manque structurel de discipline budgétaire est inquiétant”. Au cours des deux dernières décennies, il n’y a eu que cinq années (2002, 2006, 2007, 2017 et 2018) pendant lesquelles le déficit budgétaire de la Belgique ne s’est pas écarté des objectifs européens de plusieurs points de pourcentage du PIB.

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