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Le délicat pari électoral d’Alexis Tsipras

“Le mandat que j’ai reçu le 25 janvier a atteint ses limites”, a déclaré le Premier ministre grec Alexis Tsipras, en présentant la démission de son gouvernement. Il n’a pas tort.

Elu sur un programme anti-austérité, il n’a pu convaincre les créanciers de l’Etat grec d’assouplir leurs positions et, au contraire, il a fini par accepter de nouveaux tours de vis dans les finances publiques. Non pas dans une soudaine conversion aux préceptes allemands, mais à l’issue d’une froide analyse de l’aventure du Grexit, qui lui a paru plus dommageable pour l’économie grecque.

Après un tel reniement de ses engagements électoraux, il a ressenti “le besoin moral et la responsabilité politique” de demander à la population grecque si elle le suivait toujours. D’où ces élections anticipées. Un peu comme si, chez nous, Charles Michel avait demandé à ses électeurs s’ils partageaient ses revirements sur la collaboration avec la N-VA, le saut d’index ou l’âge de la pension… Sans aller trop loin dans ce parallèle — les situations politiques des deux pays diffèrent énormément, attardons-nous sur ce “besoin moral” de replacer la balle dans le camp de l’électeur. Le modèle de la démocratie représentative arrive sans doute au bout d’une logique. D’une part, le pouvoir réel des élus nationaux a été réduit par la construction européenne et la mondialisation de l’économie. D’autre part, à l’heure d’Internet, les citoyens aspirent à une prise plus directe et constante sur le cours des choses.

Dans ce contexte, en décidant de vérifier si son peuple le suit dans son acceptation du plan d’aide européen, Alexis Tsipras incarne-t-il une classe politique enfin entrée dans le 21e siècle ? Pas de conclusion trop hâtive : son appel au peuple ressort au moins autant de la stratégie que d’un besoin moral. Le Premier ministre a en effet perdu sa majorité au Parlement, le troisième plan d’aide ayant été adopté grâce aux voix de l’opposition, une quarantaine d’élus de Syriza, le parti du Premier ministre, ayant fait sécession. De nouvelles alliances devenaient inévitables et Alexis Tsipras a choisi d’anticiper les événements, dans l’espoir de capitaliser sur sa bonne image. Le risque est mesuré car le système de dévolution des sièges permettrait à Syriza de décrocher une majorité absolue avec 37 % des voix. Les sondages lui donnent aujourd’hui 33 % et il avait atteint 36 % en janvier. En avançant très vite, il ne laisse pas le temps à ses dissidents de s’organiser et peut donc raisonnablement espérer réussir son pari.

L’appel de Tsipras au peuple grec ressort au moins autant de la stratégie que d’un besoin moral.

Nous avons donc un froid calcul électoral, magnifiquement emballé dans des considérations morales de respect des électeurs. Cela s’inscrit toutefois dans une séquence peu compréhensible. Il y a quelques semaines, Alexis Tsipras avait déjà renvoyé la balle au peuple en organisant un référendum. Les Grecs avaient alors clairement rejeté (à hauteur de 61 %) le plan d’aide européen, ce dont finalement personne n’a tenu compte. Un peu comme il n’a pas été tenu compte, à l’époque, du résultat des référendums sur le traité de Maastricht. De telles situations fragilisent et décrédibilisent la démocratie (à quoi bon se mobiliser ?). Les électeurs sanctionnent souvent les dirigeants qui jouent avec l’arme électorale en provoquant des scrutins anticipés. C’est une constante dans la politique belge : le parti qui débranche la prise gouvernementale subit dans la foulée un revers électoral. L’Open Vld l’a vécu en 2010.

Les circonstances du recours aux urnes peuvent toutefois infléchir les réactions. La situation d’un Erdogan, qui fait revoter les Turcs simplement parce que les résultats électoraux lui compliquaient la vie et l’obligeaient à partager le pouvoir, n’a rien à voir avec celle d’un Tsipras, qui doit composer avec l’Union européenne. Celle-ci souffre justement d’un déficit démocratique et reste perçue comme très technocratique. Et peut-être a-t-elle besoin de temps à autre d’une piqûre de rappel électoral.

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