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“Le coronavirus n’a fait qu’exacerber des tendances déjà bien présentes dans la société”

Lire la chronique de Thierry Afschrift Professeur ordinaire à l'Université libre de Bruxelles.

” Ce virus qui rend fou “, c’est le titre du dernier ouvrage de Bernard-Henri Lévy. On peut ou non aimer ce philosophe français flamboyant, ou peut-être le préférer en philosophe qu’en militant un peu égaré de certaines causes, comme en Libye, mais il faut reconnaître à son dernier ouvrage le mérite de poser des questions essentielles et de rappeler des principes fondamentaux.

Il s’étonne à juste titre de l’ahurissante docilité à l’ordre sanitaire qui a été imposé par les Etats. Soudés par la peur plutôt que par l’attachement aux libertés, les Européens ont, au moins l’espace de quelques mois, accepté l’instauration d’un véritable Etat de surveillance sur la base de ce que Lévy appelle un ” contrat vital ” : tu abdiques l’essentiel de ta liberté, je t’offre en échange une garantie anti-virus… Et il n’est pas certain que ce contrat soit conclu pour un court terme. On peut y voir aussi le ” laboratoire d’une expérience politique radicale “, celle de la soumission de tous au Pouvoir pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Il va jusqu’à parler de ” l’animalisation des humains ” acceptant tout, le traçage numérique, l’abandon des vieillards, les dénonciations au nom de l’intérêt supérieur de la santé, et allant jusqu’à s’extasier des bienfaits du confinement. Cette animalisation des humains, c’est pour Lévy la concrétisation de La ferme des animaux de George Orwell, avec des agneaux soigneusement rangés en batterie. C’est aussi l’abandon du respect des droits de l’homme, pour la plupart niés aux confinés, et des tentatives d’abolition des frontières dans une Europe qui les a toutes fermées.

On peut être végétarien, détester les voyages ou aimer la nature sans affirmer qu’avec le virus, “Gaia nous a donné un dernier avertissement”.

Tout cela est exact et pose des questions fondamentales sur les droits respectifs des individus et de l’Etat, mais aussi sur l’anesthésie de la capacité de révolte des citoyens face à un Pouvoir devenu fort. On peut en revanche ne pas partager l’avis selon lequel c’est le virus qui nous a rendus fous. Il semble au contraire que celui-ci n’ait fait qu’exacerber des tendances déjà bien présentes dans la société. Les idées, défendues par nombre de partis politiques démocratiques, voire tous, selon lesquelles on doit pouvoir renoncer à ses libertés individuelles au profit de normes collectives étaient déjà bien présentes, par exemple dans le domaine économique ou environnemental. Les appels à renoncer à la globalisation n’ont rien de neuf, et le virus n’a servi que de prétexte pour les réitérer, sans aucun motif supplémentaire.

On a continuéà répéter que la globalisation était nuisible, alors que, comme Lévy le reconnaît, la mondialisation a fait reculer la pauvreté et avancer les libertés, sur le plan mondial. Ce sont les mêmes recettes qui nous sont présentées aujourd’hui, que l’on essayait déjà de nous imposer il y a près de 50 ans. Tous ceux qui prêchent aujourd’hui pour la décroissance ne font que rabâcher les mêmes arguments que ceux du Club de Rome en 1972, qui annonçaient moult désastres, dont la plupart auraient déjà dû arriver si les prédictions de ces prophètes avaient été exactes.

Quant aux appels à la délation, nombreux lors de cette période de confinement, et honteusement favorisés par certaines autorités policières, ils n’ont rien de neuf, non seulement si on les rapproche des pires périodes de l’histoire moderne, mais aussi si on les confronte avec la réalité, toute proche, de la glorification des lanceurs d’alerte et à la délation forcée que prévoient des législations de plus en plus nombreuses.

C’est aussi la même volonté d’imposer aux autres son mode de vie que l’on discerne dans certaines réactions de personnes qui ont trouvé des effets positifs aux règles de confinement. Elles y ont – et c’est leur droit – trouvé une certaine qualité de vie, une capacité de vivre à un rythme plus lent. C’est assurément un choix parfaitement acceptable, mais que rien ne les empêche de faire à tout moment : dans un régime de liberté, chacun peut décider de se confiner ou non, à sa guise, de vivre dans le monde ou seul avec soi-même. Mais ce n’est pas un motif suffisant pour imposer ses choix. On peut aussi être végétarien, détester les voyages ou aimer la nature sans affirmer qu’avec le virus, ” Gaia nous a donné un dernier avertissement ” (comme si la Terre s’exprimait …), et sans vouloir imposer son style de vie à ceux qui ont fait d’autres choix.

Tout cela, le virus n’y est pour rien. Il ne nous a pas rendus fous. Il n’a rien fait pour porter atteinte à nos libertés. Le déclin de celles-ci était déjà largement entamé, et le virus n’y a rien changé.

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