Le colza, nouvelle star de la “révolution verte”

Paysage de Loire La culture du colza n'a véritablement décollé sur le Vieux Continent que dans les années 1980 à la faveur de la crise du soja. © BELGA IMAGE

De la colle, des glaces, de la viande, des carburants “verts”, des composants automobiles… Plus aucun produit ou presque ne pourra se passer de colza dans les années à venir. A la recherche de matières premières durables, les industriels se ruent sur cet “or jaune” végétal. Notamment en France, où l’innovation bat son plein, conduite tambour battant par le groupe Avril.

Du colza pour coller des panneaux composites utilisés couramment dans le mobilier et l’aménagement intérieur? Conçue par deux ingénieurs chimistes dans un garage de Philadelphie et industrialisée dans l’Oise par le géant français de la transformation du colza Avril, cette alternative à des résines formaldéhydes est utilisée depuis le 1er juillet dernier par l’entreprise Panneaux de Corrèze. Il y a urgence: l’industrie du bois est la dernière à utiliser encore ces colles dérivées du pétrole reconnues depuis 2004 comme cancérigènes par l’OMS!

A Venette, aux portes de Compiègne, la vingtaine de salariés d’Evertree, la filiale des adhésifs biosourcés créée en 2016 par Avril, s’active déjà sur l’extension de ce liant dérivé de la protéine de colza aux panneaux à particules largement répandus dans l’ameublement. “Avec notre solution pilote, on travaille avec des fabricants de panneaux pour passer à l’échelle industrielle et les commercialiser courant 2022. Mais le bois n’est qu’une première étape, assure Nicolas Masson, le directeur général d’Evertree. D’origine végétale, ce liant a vocation à intéresser tout type de matériaux. Dans cinq ans, on fera peut-être des isolants ou des plastiques biodégradables.”

La recherche de nouvelles applications se démultiplie à partir de composantes jusqu’ici négligées, comme les feuilles ou les siliques renfermant de précieuses micrograines.

La colle est l’un des débouchés les plus novateurs du colza. Mais pas le seul. Avec le durcissement des réglementations environnementales et les pressions sociétales en faveur de produits plus durables, cet oléagineux introduit en Europe au 18e siècle est en passe de devenir une matière première incontournable pour le verdissement de nos industries.

La culture du colza n’a véritablement décollé sur le Vieux Continent que dans les années 1980 à la faveur de la crise du soja, provoquée par l’embargo américain sur cet ingrédient de base de l’alimentation du bétail et autres animaux d’élevage. Décidée par l’administration Nixon le 27 juin 1973 pour compenser le déséquilibre de l’offre de soja par rapport à la demande dans une année de sécheresse sévère, la suspension des exportations américaines de graines et de tourteaux de soja agit comme un véritable électrochoc en Europe, révélant l’étroite dépendance de ses éleveurs à l’égard de cet “or vert”.

Un réservoir de protéines

Soucieux de développer des alternatives, les producteurs se tournent vers le pois, les féveroles, le tournesol et… le colza. Cultivée au nord de la Loire jusqu’en Scandinavie, cette plante aux fleurs jaune acide et à l’odeur proche du chou a l’avantage de produire des graines aussi riches en protéines que le soja après extraction de l’huile.

En France, Jean-Claude Sabin, agriculteur dans le Tarn, fait partie des militants de la première heure appelant à structurer une filière nationale d’oléagineux et de protéagineux, depuis les semenciers jusqu’à l’industrie agroalimentaire. De sa mobilisation et de celle des pouvoirs publics est née en 1983 la société Sofiprotéol – rebaptisée Avril en janvier 2015. Ni coopérative, ni société anonyme, cette société à commandite par action réinvestit ses profits dans l’élargissement des débouchés et des emplois locaux d’une filière qui concerne non seulement le colza, mais également l’ensemble des oléagineux et protéagineux.

Près de 40 ans plus tard, Avril, connu du grand public pour ses marques d’huiles Lesieur et Puget, peut se targuer d’avoir réussi son pari. Avec un chiffre d’affaires de 5,8 milliards d’euros et 7.600 salariés, dont 4.500 en France, ce géant fait partie du quatuor de tête des plus gros triturateurs de colza en Europe, dominé par les filiales spécialisées des américains Cargill, Bunge et ADM. Avec 2,9 millions de tonnes de graines transformés chaque année, Avril via sa filiale Saipol garantit des débouchés pour près de la moitié de la production française. A lui seul, le colza a été le principal vecteur de la réduction à 40% de la dépendance nationale par rapport aux importations de protéines.

Fleur de colza Au-delà des huiles, la valorisation des protéines, depuis les semences jusqu'au produit fini, est le nouveau combat de l'innovation.
Fleur de colza Au-delà des huiles, la valorisation des protéines, depuis les semences jusqu’au produit fini, est le nouveau combat de l’innovation.© GETTY IMAGES

Aidée par la réglementation favorable aux biocarburants dans les années 1990, Avril réussit un joli coup en développant pour les poids lourds le diester – un nom dérivé du diesel et de l’ester de colza – intégré à hauteur de 8% dans le gazole vendu à la pompe. Cette manne n’aura toutefois qu’un temps.

Sous l’effet de la concurrence d’huiles plus compétitives comme celle de palme en provenance d’Asie, le diester connaît des années difficiles de 2016 à 2018. Sous pression, le géant européen de la trituration contre-attaque avec un carburant cette fois-ci 100% végétal, Oleo100. Destiné à La Poste et autres propriétaires de flottes captives, le produit est livré directement par Avril dans des cuves installées chez le client où les véhicules refont le plein quand ils reviennent au dépôt.

Avantage: la garantie de décarboner à bon compte les flottes de véhicules. A ce jour, plus de 350 sociétés surtout présentes dans l’alimentaire l’ont saisi. Au-delà des poids lourds, Avril compte bien conquérir d’autres transports, comme le train ou l’avion. Avec pour argument marketing le côté vert, mais aussi la promotion d’un circuit local d’approvisionnement.

A Nogent-sur-Seine, au coeur de la Champagne, une noria de 34 tonnes livre cinq jours sur sept le colza moissonné et stocké dans un rayon de 250 km de cette grande région de culture française. A l’entrée, chaque cargaison subit un test de qualité en termes de pureté. “S’il est négatif, les graines sont refusées”, explique le directeur du site Saipol, Jérôme Landréat.

Nouvelle dynamique

Biocarburants et tourteaux: les débouchés du colza sont restés relativement binaires jusqu’au début des années 2000. Mais depuis, une nouvelle dynamique s’est enclenchée. La pression environnementale pousse les industriels à utiliser des matières premières végétales moins contestées. La recherche de nouvelles applications se démultiplie à partir des huiles riches en acides gras et des protéines, mais également des composantes jusqu’ici négligées comme les feuilles ou les siliques, ces fines gousses qui renferment les précieuses micrograines de 2 mm de diamètre.

Dans tous les domaines, l’utilisation du colza explose. Les biolubrifiants à partir de colza sont adoptés progressivement dans la marine, en raison de leur biodégradabilité et leur non-toxicité pour l’environnement. Dans l’automobile, les dérivés du colza prennent une place croissante dans les mousses des sièges et des panneaux d’isolation thermiques des véhicules aux dépens du polyuréthane pétrosourcé. “De 10%, leur part dans ce type de pièces devrait passer à 40% d’ici quatre ans, et 100% quatre ans plus tard”, promet Dirk Packet, le directeur de l’innovation d’Oleon, le pôle chimie du végétal d’Avril.

Au-delà des huiles, la valorisation des protéines, depuis les semences jusqu’au produit fini, est le nouveau combat de l’innovation. Un impératif dicté par la demande des consommateurs qui réclament des alternatives aux protéines d’origine animale ainsi que par la quête de nouveaux débouchés à haute valeur ajoutée pour les agriculteurs. “Nous sommes convaincus depuis plusieurs années déjà que le monde va manquer de protéines, relève Jean-Philippe Puig, le directeur général d’Avril. Avec des filières organisées, nous devrions aller plus vite vers l’autonomie.”

Côté génétique, la recherche avec Corteva – le géant américain issu de la fusion de Dow et DuPont – pour améliorer la teneur en protéine des semences de colza a abouti. “Mais compte tenu des délais d’acclimatation à la France de toute nouvelle variété, il ne faut pas compter avant 2025-27 pour les voir cultiver largement dans l’Hexagone”, reconnaît Paul-Joël Derian, le patron de l’innovation d’Avril.

En revanche, dès mars prochain, les premières lignes de production de protéines à usage humain devraient démarrer à Dieppe. Une première mondiale soutenue par un investissement de 45 millions d’euros cofinancé par la BPI, la Banque publique d’investissement. Galettes, substitut de viande, boissons, et demain glaces, desserts et barres pour sportifs: les possibilités semblent infinies. Même si Paul-Joël Derian considère qu’il y a encore du travail à accomplir pour neutraliser le goût sableux en bouche des produits réalisés à partir d’une poudre protéinée à laquelle le consommateur n’est pas habitué. “L’intérêt de cette protéine de colza, c’est son caractère complet puisqu’elle possède tous les acides aminés nécessaires à la construction des muscles, de la peau et des cellules nerveuses, indique ce vétéran de la chimie. Tout le défi a été d’élaborer un procédé mécanique, chimique et thermique suffisamment doux pour protéger la valeur nutritionnelle de la protéine.”

Les pistes d’avenir foisonnent. Mais encore faut-il que la production suive. Et depuis quelques années, les surfaces stagnent et les rendements baissent.

Menaces sur la production

Les pistes d’avenir foisonnent. Mais encore faut-il que la production suive. Et depuis quelques années, les surfaces stagnent et les rendements baissent. En France, après un pic de 1,5 million en 2017, les tonnages récoltés ont reculé à 1 million l’an dernier. Et les prévisions de la campagne en cours ne sont guère encourageantes. La faute à l’essor du phoma, de l’orobanche et autres parasites prompts à prospérer sur un nombre toujours croissant d’hectares cultivés.

La rançon naturelle du succès d’une plante au prix attractif, bien adaptée à la rotation des cultures avec le blé et l’orge, capable d’assurer une bonne protection des sols contre l’érosion 11 mois sur 12 et de fournir un pollen très apprécié des abeilles pour fabriquer le miel dit de printemps. “Face à la multiplication de ces attaques de ravageurs, nous disposons de moyens de lutte de plus en plus limités”, regrette le président d’Avril, Arnaud Rousseau.

Le catalogue des pesticides autorisés se contracte et les nouveaux traitements se raréfient. La parade doit se déployer sur plusieurs fronts en parallèle: la génétique, les traitements et l’agronomie. Améliorer la tolérance à la sécheresse et la résistance aux maladies par croisement avec les parents du colza, mélanger l’oléagineux avec des plantes plus précoces qui piégeront le gros des attaques de parasites, le planter plus tôt pour qu’il soit moins sensible aux maladies, optimiser l’administration des traitements et mieux comprendre l’impact de leurs interactions avec les conditions climatiques: le pragmatisme est de rigueur.

Depuis cinq ans, la problématique de l’agronomie est revenue au premier plan, confirme chez Limagrain Europe, très présent dans les semences de colza, le responsable marketing oléagineux Gilles Lavillonnière. Agriculteurs comme semenciers doivent en tenir compte pour préserver la stabilité des rendements et répondre aux attentes de consommateurs et d’industriels de plus en plus sensibles aux bienfaits du colza.

Florence Bauchard (Les Echos – 15 septembre 2021)

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