Philippe Ledent
Le chômage temporaire, amortisseur de cycle ou rigidité supplémentaire?
Même en considérant le chômage temporaire comme pertinent, il conviendra de vérifier que son utilisation reste raisonnable.
Selon les dernières statistiques de l’Onem, près de 145.000 travailleurs ont encore utilisé, au moins partiellement, le système du chômage temporaire ” spécial covid ” en mars dernier. Ils totalisent ensemble plus d’un million de jours chômés, soit environ 45.000 équivalents temps plein. Au regard de plus de 5 millions d’emplois en Belgique, ce n’est pas beaucoup. Malgré tout, ce n’est pas sans importance : lorsqu’une récession intervient, les pertes d’emplois dans notre pays sont de cet ordre de grandeur. Dès lors, le chômage temporaire préserverait-il l’emploi des chocs économiques ?
Le système du chômage temporaire n’est pas neuf. Avant la crise du covid, il pouvait être invoqué pour cause d’intempéries (dans la construction, par exemple) mais aussi pour raison économique. Le nombre de travailleurs ” touchés ” par le système évolue d’année en année. A titre d’exemple, quelque 60.000 travailleurs utilisaient ce système (pour raison économique) chaque mois en Belgique entre 2017 et 2019. Pour faire face aux conséquences de la pandémie, le système a été facilité et élargi. Ainsi, en avril 2020, quelque 1,14 million de travailleurs ont été en chômage temporaire, totalisant plus de 18 millions de journées ou encore plus de 820.000 équivalents temps plein. Ce nombre a baissé ensuite, mais le système n’a jamais disparu. En 2021, une moyenne de près de 270.000 travailleurs utilisaient le système chaque mois, ce qui reste quatre à cinq fois plus qu’avant la crise du covid. Bien sûr, les restrictions ont joué un rôle, mais d’autres éléments ont petit à petit justifié l’utilisation du système : l’imprévisibilité de la demande future ou les problèmes d’approvisionnement des entreprises, par exemple.
Même en considérant le chômage temporaire comme pertinent, il conviendra de vérifier que son utilisation reste raisonnable.
En 2022, le système est devenu un ” chômage temporaire pour force majeure de crise “. Il reste très prisé : durant le premier trimestre, on comptait en moyenne plus de 200.000 travailleurs utilisant le système chaque mois, soit plus de 61.000 équivalents temps plein. Au-delà des quelques restrictions résiduelles imposées par le covid, le choc de la guerre en Ukraine, les difficultés d’approvisionnement ou encore les coûts très élevés de l’énergie ont manifestement contraint certaines entreprises à limiter, voire à stopper, leur production.
Il semble donc que l’utilisation du chômage temporaire s’impose de plus en plus comme un amortisseur des entreprises pour traverser les périodes de faible activité. Est-ce une bonne ou une mauvaise idée ? Il est probablement trop tôt pour le dire car, pour le moment, la succession de chocs ne permet pas de savoir comment un tel système serait utilisé dans un cycle ” normal “. En offrant cette possibilité aux entreprises, celles-ci peuvent passer plus facilement les orages économiques de leur secteur. Mais d’un autre côté, la collectivité ne doit pas nécessairement financer les aléas du cycle d’activité d’une entreprise. La solution ne doit donc pas être trop facile à utiliser. Par ailleurs, si le système est trop prisé, il représente une rigidité supplémentaire pour le marché du travail : les travailleurs sont artificiellement gardés dans des secteurs en perte de vitesse et les secteurs en croissance peinent davantage à trouver de la main-d’oeuvre adéquate.
Bref, l’utilité d’un chômage temporaire élargi doit être discutée. Tout est une question d’équilibre. Mais même en considérant ce chômage comme pertinent, il conviendra de vérifier que son utilisation reste raisonnable car il est vain de trop lisser le cycle économique, qui est une respiration normale et même saine à certains égards de la vie économique.
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