Le cannabis, futur “or vert” du Canada?
Créations d’emplois, euphorie boursière, produits dérivés voire “Canatourisme”: une industrie florissante devrait voir le jour au Canada avec la légalisation du cannabis récréatif le 17 octobre, prédisent des acteurs du marché.
Sans attendre la légalisation, les marchés boursiers ont commencé à planer depuis un an: les titres des principaux producteurs canadiens de cannabis, comme Canopy Growth ou Tilray, ont enregistré des valorisations quintuplées et des capitalisations frôlant ou franchissant les 10 milliards de dollars en Bourse.
Forts du savoir-faire qu’ils ont acquis depuis la légalisation du cannabis à usage thérapeutique en 2001 au Canada, ces producteurs, comme Aurora ou Aphria, profitent de l’ouverture de ce marché dans plusieurs pays d’Europe, voire aux Etats-Unis dans le cadre d’essais cliniques. Avec à la clé, peut-être, la naissance du futur géant mondial du secteur ?
D’autant que leurs actions sont également dopées par l’intérêt que portent pour le cannabis les vendeurs de boissons alcoolisées et les laboratoires pharmaceutiques.
Constellation Brands, distributeur nord-américain des bières Modelo et Corona, a investi récemment quelque 5 milliards de dollars canadiens (3,3 milliards d’euros) dans Canopy Growth, contre 38% de son capital.
Et Coca-Cola étudie “de près” l’utilisation croissante dans le monde du cannabidol (CBD), la molécule relaxante non-psychoactive du cannabis, comme ingrédient dans certaines boissons.
Et c’est sans compter une manne touristique de plusieurs milliards de dollars qu’entrevoient d’autres experts, comme John-Kurt Pliniussen, professeur de marketing à l’université Queen’s en Ontario, citant l’exemple d’Amsterdam ou des Etats américains ayant dépénalisé ou légalisé le cannabis à usage récréatif.
“La même chose peut arriver au Canada, parce que l’une des choses qui jouent en notre faveur et qu’aucun autre pays dans le monde n’a, c’est le nom de notre pays, il s’épelle presque comme cannabis, et vous pourriez donc avoir du Canatourisme. Donc d’un point de vue marketing, ça s’y prête très bien”, dit-il à l’AFP.
En attendant un éventuel afflux de “canatouristes”, ce sont bien les grands groupes étrangers qui lorgnent sur l’expérience canadienne. Cet engouement des investisseurs nourrit les fusions-acquisitions dans le secteur, avec 48 transactions d’une valeur totale de 5,2 milliards de dollars canadiens enregistrées dans les six premiers mois de l’année, selon Price Waterhouse Cooper (PwC).
La consolidation du secteur va se poursuivre après la légalisation, estime Pwc, “l’offre abondante” ayant “pour effet de conduire à la faillite plusieurs petits acteurs qui manquent de fonds”.
Economie artificiellement dopée
D’autres secteurs pourraient profiter de la manne.
Josh Lyon est vice-président de la société Tokyo Smoke à Toronto (Ontario). Ses cafés promeuvent un “art de vivre” associé à la marijuana en vendant tout le nécessaire pour consommer (pipes, machines à infuser, etc), sauf l’herbe, pour l’instant. Avec son marketing léché, la société canadienne, créée il y a trois ans, vient d’être vendue il y a un mois 500 millions de dollars au géant Canopy Growth.
“Je crois que le Canada va devenir un leader mondial du cannabis, c’est excitant et c’est quelque chose dont nous pouvons être fiers”, déclare M. Lyon à l’AFP.
Près de 5 millions de Canadiens (16% de la population) ont consommé 773 tonnes de cannabis en 2017, dont une infime partie à des fins thérapeutiques, pour des dépenses estimées à 5,5 milliards de dollars canadiens, selon Statistique Canada.
Avec la légalisation, le nombre de consommateurs devrait légèrement augmenter d’ici la fin de l’année, selon cet institut.
Très rapidement, l’essentiel de la croissance du marché sera assuré par les produits dérivés (pâtisseries, boissons, chocolats, etc), qui seront légalisés en 2019, prédisent les analystes.
L’institut s’attend par ailleurs à ce que la légalisation n’ait au mieux qu’un “impact minime” sur la croissance économique au Canada. “Aucun effet” compte tenu des dépenses de consommation “marginales” que représente le cannabis par rapport à la taille de l’économie canadienne, qui avoisine les 2.000 milliards de dollars, renchérit pour l’AFP Benoit Durocher, économiste de la banque Desjardins.
Le cannabis va “artificiellement doper” l’économie en fin d’année et au début de l’an prochain, concède pour sa part la banque TD, qui a revu à la hausse, à 2,9% au lieu 2% initialement, la croissance du PIB au quatrième trimestre.
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