Le Brexit devient une réalité: ce que contient l’accord
Après un demi-siècle d’intégration européenne et quatre ans et demi d’une saga du Brexit aux multiples rebondissements, le Royaume-Uni entame une nouvelle page de son histoire dans un contexte de crise profonde.
“La destinée de ce grand pays réside à présent fermement entre nos mains”, souligne le Premier ministre Boris Johnson.
C’est “un nouveau commencement pour l’histoire” du Royaume-Uni et “une nouvelle relation avec l’UE comme leur plus important allié”, a ajouté le grand artisan de cette sortie, après la ratification par le Parlement britannique de l’accord de libre-échange signé le jour même par Bruxelles et Londres.
Eviter une rupture trop abrupte
L’accord commercial conclu in extremis évite une rupture trop abrupte et ses conséquences potentiellement dévastatrices pour l’économie, mais la libre circulation permettant aux marchandises comme aux personnes de passer sans entrave la frontière prendra fin.
Exportateurs et importateurs devront remplir des déclarations de douanes et risquent de voir leurs marchandises ralenties à la frontière par les contrôles. Les entreprises de la finance, secteur majeur à Londres, perdront leur droit automatique d’offrir leurs services dans l’UE. Et les universités britanniques ne seront plus éligibles au programme d’échanges pour étudiants Erasmus.
Devant les députés mercredi, Boris Johnson a émis l’espoir que ce cap permette de “passer à autre chose”. La tâche s’annonce délicate: les milieux économiques n’ont pas caché leurs craintes quant aux conséquences de ce bouleversement et les Britanniques sortent meurtris d’une période clivante.
Jour “triste”
Depuis le référendum du 23 juin 2016, remporté à 51,9% par le “leave”, il aura fallu trois Premiers ministres, des heures de houleux débats parlementaires nocturnes à Westminster et trois reports avant que le Royaume-Uni ne largue les amarres pour de bon.
A l’image de ce processus douloureux, ce n’est que la veille de Noël que les laborieuses négociations ont fini par aboutir à un accord commercial, ne laissant que quelques jours pour mettre en oeuvre ses 1.246 pages.
S’il a été adopté mercredi par le Parlement britannique, les eurodéputés ne se prononceront qu’au premier trimestre 2021, nécessitant une application provisoire.
“Un pays quitte l’UE pour la première fois après plus de 45 ans de vie commune (…) mais il faut se porter vers l’avenir” malgré ce jour “triste”, a commenté sur la chaîne LCI le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes, Clément Beaune.
Au grand soulagement de pans entiers d’économies très connectées, l’UE offre au Royaume-Uni un accès sans droits de douane ni quotas à son marché de 450 millions de consommateurs. Mais il prévoit pour éviter toute concurrence déloyale des sanctions et des mesures compensatoires en cas de non respect de ses règles en matière d’aides d’État, d’environnement, de droit du travail et de fiscalité.
Concernant la pêche, sujet difficile jusqu’aux dernières heures, l’accord prévoit une période de transition jusqu’en juin 2026, à l’issue de laquelle les pêcheurs européens auront progressivement renoncé à 25% de leurs prises. Un résultat qui a profondément déçu les pêcheurs britanniques, fers de lance du Brexit qui espéraient plus des promesses d’indépendance et de souveraineté retrouvée martelées par Boris Johnson.
Défi de rassembler
Malgré ses critiques envers un accord commercial qu’il juge insuffisant, Keir Starmer, le chef de l’opposition travailliste, s’est voulu optimiste, estimant que “nos meilleures années restent à venir”.
C’est donc une victoire pour Boris Johnson, triomphant dans les urnes sur la promesse de réaliser le Brexit mais depuis mis en difficulté par la pandémie de Covid-19, avec des hôpitaux au bord de la rupture et une flambée des contaminations. Une grande partie de la population a été reconfinée, assombrissant encore les perspectives pour une économie frappée par sa pire crise en 300 ans.
Au delà de la pandémie, les défis sont considérables pour le gouvernement de Boris Johnson, qui a promis de donner au Royaume-Uni une nouvelle place dans le monde, résumée par le slogan “Global Britain”.
Il s’apprête cependant à perdre un allié de poids avec le départ de Donald Trump, fervent partisan du Brexit remplacé à la Maison Blanche par le démocrate Joe Biden, plus europhile.
A l’intérieur, il doit rassembler des Britanniques qui se sont déchirés sur le Brexit, au point de voir l’unité du pays se fissurer, l’Irlande du Nord et l’Ecosse, qui rêvent d’indépendance, ayant voté en majorité contre la sortie de l’UE.
Ce que contient l’accord post-Brexit
L’accord de partenariat économique et commercial post-Brexit conclu entre l’UE et le Royaume-Uni, un document de 1.246 pages, a été signé mercredi. Voici les grandes lignes du traité qui fixe le cadre de leurs relations à partir de vendredi.
– Biens
L’accord garantit des échanges sans droits de douane ni quotas pour “tous les biens qui respectent les règles d’origine appropriées”. Du jamais vu dans un accord commercial.
Cet accord inédit permet d’éviter une rupture dans les chaînes de production et évite des droits de douane de 10% pour le secteur automobile, 25% pour les produits transformés à base de poisson ou 50% pour le boeuf, les produits laitiers, la volaille, le porc, l’agneau, les céréales, le sucre et plusieurs produits alimentaires transformés.
Pour autant, les entreprises devront se soumettre à des formalités de déclarations douanières dans les deux sens, et des contrôles sanitaires sont prévus.
– Concurrence
Le Royaume-Uni et l’UE s’engagent à respecter des conditions de concurrence équitables. Londres accepte de ne pas revoir à la baisse l’ensemble des législations et standards sociaux, environnementaux et climatiques européens en place le 31 décembre 2020 et de s’adapter à leur évolution.
L’accord prévoit la possibilité d’appliquer des mesures unilatérales de rééquilibrage, notamment des droits de douane, en cas de divergences importantes, lorsqu’elles peuvent entraîner une augmentation des coûts de production et donc un désavantage concurrentiel.
– Différends
Si le Royaume-Uni ou l’UE ne respecte par le traité, un mécanisme contraignant de règlement des différends, comme il en existe dans la plupart des accords commerciaux, sera chargé de trancher les litiges.
Face à la ferme opposition de Londres, la Cour de justice de l’Union européenne n’interviendra pas dans ce processus. Un “Conseil conjoint” veillera à ce que l’accord soit correctement appliqué et interprété.
– Pêche
L’accord prévoit de laisser aux pêcheurs européens un accès aux eaux britanniques pendant une période transitoire de 5 ans et demi, jusqu’en juin 2026. Pendant cette période, l’UE devra progressivement renoncer à 25% en valeur de ses prises, qui totalisent environ 650 millions d’euros par an.
Si le Royaume-Uni limite l’accès ou les captures de l’UE, l’UE peut prendre des mesures de rétorsion en imposant des droits de douane sur les produits de la pêche ou d’autres biens britanniques, voire suspendre une grande partie de l’accord commercial tout en maintenant intactes les règles de concurrence loyale.
– Transports
Le traité garantit une connectivité aérienne, routière, ferroviaire et maritime continue, mais de manière moins avantageuse que si le Royaume-Uni restait membre du marché unique.
Des dispositions visent à assurer que la concurrence entre les opérateurs s’exerce dans des conditions équitables “afin que les droits des passagers, des travailleurs et la sécurité des transports ne soient pas compromis”.
– Programmes
Le Royaume-Uni continuera à participer à certains programmes de l’UE pour la période 2021-2027, comme le programme de recherche et d’innovation Horizon Europe, à condition qu’il contribue au budget européen. Mais le Royaume-Uni quitte le programme Erasmus d’échange d’étudiants.
– Coopération judiciaire
L’accord “établit un nouveau cadre” en matière de coopération policière et judiciaire, “en particulier pour lutter contre la criminalité transfrontalière et le terrorisme”.
Les deux parties continueront à partager l’ADN, les empreintes digitales et les informations sur les passagers et coopéreront par l’intermédiaire d’Europol.
Cette coopération pourra être suspendue si le Royaume-Uni renonce à son adhésion à la Convention européenne des droits de l’Homme ou “à la faire appliquer au niveau national”.
– Services financiers
À compter du 1er janvier, le Royaume-Uni ne bénéficiera plus des principes de libre circulation des personnes, de libre prestation de services et de liberté d’établissement.
Les prestataires de services britanniques perdront leur droit automatique d’offrir des services dans toute l’UE et devront s’établir dans l’UE pour continuer à exercer leurs activités.
Ils ne bénéficieront plus de l’approche du “pays d’origine” ou du concept de “passeport”, selon lequel les autorisations délivrées par un État membre en vertu des règles de l’UE permettent d’accéder à l’ensemble du marché unique de l’UE.
– Propriété intellectuelle
Toutes les appellations géographiques protégées existant dans l’UE actuellement resteront protégées au Royaume-Uni, mais Bruxelles n’a pas obtenu de garanties sur les appellations protégées qui seraient enregistrées à l’avenir.
– Protection des données
Le Royaume-Uni restera soumis au cadre réglementaire de l’UE sur les transferts de données pendant six mois au maximum, le temps que Bruxelles détermine si les régime de protection des données proposé par Londres est bien équivalent au cadre européen.
– Modalités de l’accord
L’accord sera piloté par un comité mixte, où siègeront les deux parties. Les modalités de la relation pourront être revues et amendées tous les cinq ans. Une sortie unilatérale devra être notifiée un an auparavant.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici