Rudy Aernoudt

Le bazooka s’est transformé en boomerang

Voilà 70 ans que l’économiste autrichien Joseph Schumpeter est décédé. Son influence ne faiblit cependant pas.

Selon sa théorie de la destruction créatrice, l’économie est un processus continuellement à l’oeuvre au cours duquel se succèdent ascensions et déclins, où d’anciennes activités sont détruites par de nouvelles activités et où d’anciennes techniques sont détruites par l’application réussie de nouvelles techniques. Il soutient que cette innovation est la seule véritable source de croissance économique.

Selon lui, il est donc inutile d’injecter de l’argent de manière non ciblée dans l’économie pour soutenir la croissance. Nous pouvons dès lors affirmer avec certitude que Schumpeter aurait été un fervent détracteur du bazooka actionné par les banques centrales qui consiste à injecter massivement des fonds dans l’économie chaque mois dans le but d’étouffer dans l’oeuf la récession naissante.

Entre 2015 et 2018, la Banque centrale européenne a injecté 2.600 milliards d’euros dans l’économie. C’est en raison de cet énorme montant que l’opération dite officiellement de quantitative easing est désormais plus connue sous le nom de bazooka. Il faut savoir que cette somme représente 4,5 fois le produit intérieur brut de la Belgique. Pour ce faire, la BCE rachète des obligations. L’objectif poursuivi est que les banques disposent de cette manière d’une trésorerie abondante qu’elles utilisent pour redynamiser le monde des entreprises et stimuler ainsi les investissements et l’économie.

Mais la demande d’investissement et de crédit étant limitée à cause de la faible croissance économique et l’offre étant elle aussi réduite en raison des règles strictes imposées par Bâle, les banques ne parviennent pas à utiliser ces fonds efficacement. En conséquence, les liquidités qu’elles déposent auprès de la Banque centrale européenne atteignent un niveau extrêmement élevé. En raison notamment de cette mesure de rachat, les banques disposent désormais de 1.800 milliards d’euros de liquidités ( chiffres AFP, à la fin septembre 2019) à la banque centrale, soit 70% du montant injecté.

Cette situation a donné lieu à une mesure dans le cadre de laquelle les banques sont pénalisées par un taux d’intérêt négatif. Jusqu’en septembre, celui-ci était de – 0,40% mais il a été porté à – 0,50% par la dernière décision de Mario Draghi, juste avant la fin de son mandat de gouverneur. Parallèlement, le bazooka, en veille depuis janvier 2019, a été réactivé. Pour être tout à fait exact, précisons que le taux d’intérêt est en fait nul, mais que les banques se voient imposer une pénalité de 0,5%, un taux négatif appliqué aux dépôts de liquidités excédentaires. Si l’on applique ce pourcentage aux fonds que les banques parquent bon gré mal gré à la banque centrale, cela représente un coût annuel pour les banques d’environ 9 milliards d’euros.

Les banques n’étant pas des institutions à but non lucratif, ces coûts doivent être récupérés auprès des clients de la banque. La répercussion des intérêts négatifs ne peut se faire que progressivement et de manière concertée tout en restant dans les limites du cadre juridique. Par conséquent, les banques doivent se montrer créatives pour faire des économies et engranger de nouveaux revenus. Les économies les plus faciles à réaliser sont, bien entendu, celles qui visent le personnel. La gestion conjointe et l’élimination progressive des guichets automatiques ainsi que les fusions de banques seront monnaie courante au cours de la prochaine décennie.

En outre, les frais bancaires continueront à grimper. Ce sont l’accès aux espèces, les opérations manuelles et les extraits de compte papier – qui sont les opérations les plus gourmandes en personnel – qui augmenteront le plus. Changer de banque pour échapper à la hausse des frais ne constituera qu’une solution temporaire puisque toutes les banques devront suivre.

Le bazooka, qui entend stimuler l’économie, entraîne dans les faits des liquidités excédentaires, des taux d’intérêt négatifs et des réductions de personnel dans les banques. Le bazooka s’est donc transformé en boomerang ; celui-ci revient et frappe de plein fouet les banques et leurs clients. Les banques centrales assistent impuissantes à cette situation. La Bank of America parle même de ” l’impotence ” des banques centrales.

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