“La Wallonie se préoccupe trop peu de la valorisation des projets de recherche”

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Le politique fait rarement évaluer son action. Saluons donc le travail des partenaires sociaux et du monde académique qui titillent ensemble l’architecture de la R&D en Wallonie. En espérant que leurs recommandations soient suivies.

Mithra, ITeos, Celyad, PhysIOL, etc. : ces entreprises émergentes ont fait l’actualité économique wallonne de ces derniers mois. Leur réussite, elles la doivent notamment aux primes et subsides à la recherche, accordés par l’administration régionale (DG06) et la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ils s’élevaient l’an dernier à plus de 600 millions d’euros, en ce compris le soutien à la recherche universitaire, de plus en plus régulièrement en lien étroit avec le monde de l’entreprise. Un tel montant est-il, d’une part, suffisant pour répondre aux défis de la reconversion économique de la Wallonie et, d’autre part, réparti avec la meilleure efficacité ?

Pour répondre à cette double question, les autorités régionales ont fait évaluer leurs actions par le Pôle politique scientifique, un organisme qui regroupe les partenaires sociaux, les universités, hautes écoles et centres de recherche, ainsi que désormais les organisations environnementales. L’évaluation sans concession se résume par ce grand classique des bulletins scolaires : peut mieux faire… Ce bulletin est assorti d’une série de recommandations en vue de doper le positionnement scientifique de la Wallonie à court terme. Elles recoupent assez largement celles formulées en 2016 et qui n’ont… absolument pas été suivies depuis par les gouvernements wallon et communautaire, note ” avec regret ” le Pôle politique scientifique. Trends-Tendances les aide volontiers à taper sur le clou, en détaillant ces recommandations plus utiles que jamais dans une économie de la connaissance. Elles se répartissent en cinq thèmes.

Les membres du Pôle politique scientifique en sont convaincus : il n’y a pas de recherche appliquée de qualité sans recherche fondamentale en amont.

1. Renforcer le soutien public. Les investissements en R&D devraient idéalement atteindre les 3% du PIB. En Europe, seules la Suède et l’Autriche y parviennent, le Danemark, l’Allemagne et la Finlande ne manquant l’objectif que de très peu. La Belgique et la Wallonie se situent juste derrière ce peloton de tête avec 2,47% du PIB investis en R&D.

Caractéristique de la situation wallonne : les entreprises assument l’essentiel de ces investissements (2% du PIB), ce qui place la Région au niveau de l’Allemagne ou de la Finlande. C’est donc du côté des pouvoirs publics qu’il faut agir. ” Il y a eu un gros effort sur la période 2005-2010, qui correspond au lancement du Plan Marshall, constate Didier Paquot, économiste en chef de l’Union wallonne des entreprises et membre du Pôle politique scientifique. On est alors passé de 160 à plus de 300 millions d’euros. Depuis, cela a stagné. Sur cette législature, on constate une baisse des crédits mais il faut admettre qu’elle correspond aussi à une diminution du nombre de projets de recherche introduits par les pôles de compétitivité. Je note toutefois, avec satisfaction, que le budget 2019 reste en phase avec celui de l’an dernier, en dépit de la fin du Plan Marshall. Les moyens n’ont pas disparu, ils ont pour l’essentiel migré vers le budget ordinaire. ” Pour Didier Paquot, le financement public de la recherche est ” un enjeu clair de la prochaine législature “.

Cet enjeu concerne aussi la recherche fondamentale, c’est-à-dire celle qui n’est pas (encore) en lien direct avec l’entreprise. Les membres du Pôle politique scientifique en sont convaincus : il n’y a pas de recherche appliquée de qualité sans recherche fondamentale en amont. ” Si l’on ne finance plus que la recherche appliquée, on n’alimente plus le pipeline “, résume Jean-Christophe Renauld, président du Pôle et prorecteur à la recherche de l’UCLouvain. Il cite volontiers l’exemple de GSK qui reste bien actif en Wallonie, certes grâce au cadre fiscal adapté à la recherche mais aussi grâce à l’existence de tout un écosystème d’universités, de laboratoires, d’entreprises spécialisées. ” La formation scientifique de haut niveau y contribue, confie Jean-Christophe Renaud. Les trois quarts des doctorants que j’ai pu former en R&D se retrouvent aujourd’hui chez GSK. ”

Didier Paquot, économiste en chef de l'UWE
Didier Paquot, économiste en chef de l’UWE ” Les PME devraient pouvoir bénéficier d’aides à tiroirs qu’elles actionneraient en fonction de leurs besoins technologiques, de marketing, etc. “© BELGAIMAGE

Le financement de la recherche fondamentale, à travers le FNRS, bute sur un écueil constitutionnel : il ressort de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dont les moyens sont très limités. Bruxelles s’en tient à cette stricte lecture constitutionnelle, tandis que la Wallonie dégage des moyens pour la recherche fondamentale en lien avec des compétences régionales comme l’agriculture ou l’industrie. ” La Constitution n’impose rien, les Régions pourraient financer bien davantage la recherche fondamentale, assure le prorecteur de l’UCL. Ne soyons pas trop rigides sur les compétences, les investissements dans la recherche fondamentale sont utiles pour les économies régionales. ”

2. Evaluer pour mieux décider. Les programmes de recherche évoluent d’année en année, tantôt pour répondre à des besoins immédiats de certaines entreprises ou secteurs, tantôt pour s’adapter à de nouvelles priorités politiques. ” On ajoute, on supprime, on réoriente mais sans vraiment évaluer l’impact des différents programmes de recherche “, regrette Didier Paquot. Le pôle Politique scientifique plaide pour un suivi en deux temps : juste à l’issue du projet pour estimer le processus et, ensuite, deux ans plus tard pour voir les impacts concrets. ” Nous pourrons ainsi disposer d’une analyse scientifique de la politique scientifique “, résume Jean-Christophe Renauld. Les données récoltées aideront à voir les programmes qu’il faut réorienter et ceux qui mériteraient d’être amplifiés.

3. Créer de la valeur. Contrairement à une idée reçue, les entreprises wallonnes sont plutôt innovantes : 54% d’entre elles développent en effet de telles activités, ce qui est au-dessus de la moyenne européenne (49%). Ce chiffre reste toutefois très inférieur à la moyenne belge (64%), dopée par le dynamisme de la Flandre, l’une des Régions les plus performantes d’Europe sur ce terrain ; et il est en outre flatté par les grandes entreprises, considérées comme innovantes pour 83% d’entre elles.

Une amélioration passe donc obligatoirement par un effort ciblé sur les PME. Il s’agit en particulier de rendre la panoplie d’aides plus ” lisibles ” pour les PME, qui ne disposent pas en leur sein de spécialistes habitués à naviguer dans les arcanes de l’administration. ” Les PME devraient pouvoir bénéficier d’aides à tiroirs qu’elles actionneraient en fonction de leurs besoins technologiques, de marketing, etc. “, explique Didier Paquot, qui cite en exemple la facilité d’utilisation des chèques-entreprises.

La Wallonie, comme un peu toute l’Europe, peine à traduire ses projets de recherche en produits valorisables sur le marché. C’est ici que le Pôle politique scientifique appelle aux changements les plus profonds. Il préconise ainsi une évaluation systématique à mi-parcours des projets de recherche, en intégrant déjà le potentiel de valorisation, la préparation d’un business plan, etc. Les PME pourraient même bénéficier d’une aide externe spécifique pour cette dimension ” marché “. En fin de projet, un accompagnement personnalisé devrait être fourni aux entreprises, afin de les aiguiller vers les outils les plus pertinents pour des recherches supplémentaires, le passage à une exploitation industrielle ou la définition d’une stratégie de marketing. ” Avec 200 à 300 projets par an, un tel suivi individualisé me paraît tout à fait gérable, assure Didier Paquot. Les choses évoluent mais la Wallonie se préoccupe encore trop peu de la valorisation des projets de recherche. ”

Jean-Christophe Renauld, pro- recteur à la recherche (UCLouvain)
Jean-Christophe Renauld, pro- recteur à la recherche (UCLouvain)” Nous avons besoin de figures emblématiques pour montrer l’impact sociétal des métiers technologiques. “© PG

Cela étant, ne noircissons pas le tableau : 71% des entreprises wallonnes ayant réalisé une innovation produit ont introduit un nouveau produit sur le marché. Un chiffre en hausse depuis le Plan Marshall, légèrement supérieur aux autres Régions belges et au-delà de la moyenne européenne (52%). Par ailleurs, en 2014, 21% des entreprises wallonnes déclaraient avoir développé une innovation mondiale. Leur habitude de collaborer avec les universités et hautes écoles est aussi pointée comme l’un des atouts du système wallon de recherche et d’innovation.

4. Investir dans l’humain. Avec 37% de la population ayant suivi des études supérieures, la Wallonie est clairement au-dessus de la moyenne européenne (31%). Malheureusement, ces étudiants – et plus encore ces étudiantes – se dirigent beaucoup trop peu vers les filières dites STEM (sciences, technologie, ingénierie, mathématiques) : 16% contre 22% en Europe. Or, ces formations sont indispensables pour empoigner les métiers de demain. ” Cela reste un mystère pour moi, concède Gianni Infanti, représentant de la FGTB au sein du Pôle politique scientifique. Cela fait des années que l’on sait que les filières les plus porteuses en matière d’emploi sont celles-là et on ne parvient pas à y attirer suffisamment de jeunes. ” ” C’est d’autant plus paradoxal que beaucoup choisissent les options scientifiques dans l’enseignement secondaire, renchérit Didier Paquot. Pourquoi ne poursuivent-ils pas dans ces voies au niveau supérieur ? ”

Le Pôle préconise d’attaquer le mal à la racine en révisant la manière d’enseigner les sciences, en misant davantage sur ” la démarche d’investigation ” et en insistant sur les liens avec le large éventail des métiers technologiques qui, il est vrai, n’ont plus grand-chose à voir avec nos vieilles images de l’industrie. ” Il nous faudrait une série télé avec une femme ingénieure comme héroïne, sourit Jean-Christophe Renauld. Plus sérieusement, nous avons besoin de figures emblématiques pour montrer l’impact sociétal de ces métiers technologiques. La science, ce ne sont pas des laboratoires déconnectés de la vie réelle. ” La forte préoccupation environnementale ou l’aura de ces biotechs qui tentent de mettre au point des médicaments contre le cancer ou d’autres maladies peuvent contribuer à ces changements de mentalité.

5. Oser s’engager dans une démarche européenne. L’Union européenne dégage des moyens considérables pour encourager la recherche, à travers notamment le plan Horizon 2020. Depuis 2014, la recherche wallonne a ainsi reçu 171 millions d’euros de subsides européens (dont 60 directement pour les entreprises). Une paille au regard des 638 millions récoltés par les projets flamands. ” Nous avons donc une marge de progression “, glisse, positif, Gianni Infanti. Les procédures de sélection européennes sont redoutables. Seuls 10% des projets sont retenus, un taux de succès d’ailleurs similaire en Wallonie et en Flandre. Avec une chance de réussite sur 10, beaucoup se découragent, surtout les PME, et ne se lancent pas dans ce cheminement encore plus complexe que celui de l’administration régionale. Le Pôle recommande dès lors des formules de soutien en amont aux équipes de recherche pour les aider à décrocher un financement européen. ” C’est essentiel sur le plan budgétaire et cela offre aussi des opportunités de s’intégrer dans des réseaux internationaux de recherche, précise Jean- Christophe Renaud. Cela démultiplie l’impact des projets. ”

Une recherche avant tout pharmaceutique

En Wallonie, les deux tiers des dépenses de R&D des entreprises sont effectuées dans les secteurs chimique et pharmaceutique, et même surtout dans ce dernier. Et si l’on affine, ce sont quelques très grosses entreprises qui sont à l’origine des résultats de la Wallonie. ” Si vous retirez UCB et GSK de la statistique, notre rapport d’évaluation serait tout autre “, lâche Gianni Infanti.

” Derrière ces sociétés, d’autres de plus petite taille commencent à émerger, pointe Jean-Christophe Renauld. Cela entretient un écosystème qui devrait permettre à la Wallonie d’amortir un éventuel choc à l’avenir. ” Derrière cette évolution, il faut sans doute voir l’impact des pôles de compétitivité dont l’une des missions est justement de pousser aux partenariats entre grandes et petites entreprises. La part des dépenses de R&D assumées par les entreprises de moins de 50 personnes reste modeste (17,8%) mais elle est en nette progression ces dernières années.

” Le problème n’est pas la bonne santé de la pharmacie en Wallonie, le problème, c’est que les autres secteurs ne suivent pas “, insiste Didier Paquot. Il songe en particulier au secteur des midtechs, qui inclut les machines et équipements. ” Nous sommes peu positionnés sur ce segment, regrette-t-il. L’Allemagne y est au contraire très présente. C’est sa force, cela génère beaucoup de valeur ajoutée. Et d’ailleurs, où les entreprises belges achètent-elles leurs machines ? “

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