La Wallonie investit un demi-milliard pour déployer le numérique

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Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Cette enveloppe combine les moyens régionaux et ceux du plan de relance fédéral. Son affectation se basera notamment sur des appels à projets, en vue de mobiliser un maximum d’entreprises et d’acteurs publics.

Dans le budget de la Wallonie, la stratégie numérique tient en une toute petite ligne et un modeste engagement de 18 millions d’euros. Mais heureusement, cette petite ligne budgétaire est complétée par un bel éventail de financements spécifiques, allant du programme “Ecole numérique” aux chèques-entreprises en passant par le fonds W.IN.G ou l’équipement en fibre optique des parcs d’activité mené par la Sofico. Désormais, il faut aussi y ajouter les importants volets numériques des plans de relance élaborés aux différents niveaux de pouvoir. En additionnant tout cela, on dépasse les 550 millions d’euros dévolus à la stratégie numérique wallonne d’ici 2024, assure le ministre Willy Borsus (MR), en charge notamment de l’Economie et du Numérique. Ce dernier nous présente la nouvelle mouture de la stratégie Digital Wallonia, initiée en 2015 et qui en est à sa troisième version. Elle doit, dit-il, servir de “catalyseur” pour mobiliser les différents budgets disponibles.

Nous commençons à voir éclore un écosystème prometteur. La traduction en activités économiques et en emplois devient une réalité.” Willy Borsus, ministre de l’Economie et du Numérique

Ces moyens serviront notamment à financer des projets élaborés par les entreprises wallonnes du secteur numérique. La Région a en effet décidé d’agir par le biais d’appels à projets, à travers lesquels les acteurs sont invités à présenter leurs solutions à une série de défis ou d’opportunités ciblées par les autorités. “C’est très intéressant en phase pilote ou expérimentale, précise le ministre. Cela permet de lancer un cadre en toute transparence, d’impliquer les entreprises et de tirer ensuite les conclusions des résultats pour le futur.” Willy Borsus avait déjà fonctionné de la sorte pour le traitement des plastiques usagés (cela avait permis l’arrivée en Wallonie du groupe québécois Lavergne ainsi que des investissements de Veolia et Sources Alma) ou la mise en place d’une filière de production de protéines végétales, avec l’implication de Cosucra.

Un demi-milliard pour déployer le numérique en Wallonie

“Les appels à projets sont une excellente manière de mobiliser les écosystèmes, de faire fonctionner l’offre et la demande et d’éviter des stratégies qui soient trop top-down, ajoute André Blavier, directeur de la communication de l’Agence du numérique. Le secteur est manifestement demandeur puisque les précédents appels à projets autour de l’intelligence artificielle ont attiré quelque 170 acteurs. Les appels à projets permettent à des entreprises au départ a priori peu concernées par le numérique d’effectuer leurs premiers pas dans l’utilisation de l’intelligence artificielle. C’est le cas des Tartes de Françoise pour optimiser leur production et limiter les pertes de matière aussi bien que d’une quincaillerie pour trouver rapidement les clés et serrures adéquates. “C’était notre objectif et les réponses vont bien dans ce sens: l’intelligence artificielle n’est pas réservée aux technologies de pointe, elle est utile à tout le monde”, précise André Blavier.

Des stratégies qui impliquent Google…

Dans un premier temps, le travail de Digital Wallonia visait surtout la sensibilisation, tant des citoyens que des administrations publiques ou des petites entreprises. Désormais, il faut avancer vers une phase plus opérationnelle, en vue d’accélérer concrètement la transformation numérique. Et c’est pourquoi les appels à projets devraient se multiplier avec Digital Wallonia V3. Les appels actuellement en cours (lire l’encadré) représentent déjà une enveloppe de 17 millions d’euros et d’autres suivront très prochainement.

Pour y répondre, les entreprises ou les collectivités (plusieurs programmes visent spécifiquement les administrations) devront souvent se présenter en partenariat, y compris avec des centres de recherche. Nous sommes finalement proches de la dynamique en place dans les pôles de compétitivité. Et c’est bien ce que recherchent les promoteurs de Digital Wallonia.

Les grands groupes présents en Wallonie, tels Google ou Microsoft, s’impliquent-ils dans ces démarches collectives comme GSK et UCB peuvent le faire dans BioWin ou AGC dans GreenWin et MecaTech? “Je constate une attitude d’ouverture et non de repli, répond Willy Borsus. C’est le cas par exemple de la Google Academy en Hainaut qui s’est proposée pour structurer une série d’actions au niveau wallon. Nous sommes dans un domaine où les technologies évoluent très vite, grâce aux progrès des uns et aux recherches des autres. Je salue donc cet esprit d’ouverture, en ce compris sur des projets locaux.” Précisons que les appels à projets sont conçus pour rester largement accessibles aux PME, voire aux TPE.

Les appels à projets sont une excellente manière de mobiliser les écosystèmes et d’éviter des stratégies trop ‘top-down’.” André Blavier (Agence du numérique)

Pour répondre à la transversalité des enjeux numériques, la stratégie Digital Wallonia V3 se décline en 20 programmes d’action. Certains semblent évidents comme CyberWal (coupole des initiatives en matière de cybersécurité), Digital Commerce ou Smart Region. Mais d’autres peuvent surprendre comme ces programmes dédiés à la numérisation des entreprises d’économie sociale ou à l’agriculture du futur.

… et le monde agricole!

“Cela peut sembler peut-être inattendu mais le numérique est capable d’apporter beaucoup à l’agriculture tant dans la performance de la production que dans une gestion affinée de l’utilisation des intrants, dit Willy Borsus, qui est aussi ministre wallon de l’Agriculture. Aujourd’hui, au départ d’une photographie d’un champ, on peut connaître la santé des plantes quasi au mètre carré près. Dès lors, l’agriculteur ne traite plus son champ globalement mais de façon ciblée, parcellisée. Cela réduit de façon significative l’usage d’engrais et de produits phytosanitaires, ce qui est bon tant d’un point de vue environnemental que financier, surtout vu les prix actuels de ces intrants.”

Willy Borsus, ministre de l'Economie et du Numérique
Willy Borsus, ministre de l’Economie et du Numérique© belga image

S’il y a autant de programmes, c’est que les stratégies numériques doivent brasser très large. Et c’est un peu leur écueil: elles doivent à la fois agir de manière très large pour emmener le plus possible de secteurs et d’entreprises dans la transformation digitale ; et de manière très ciblée dans l’espoir de faire émerger des champions du numérique, à l’image bien entendu d’Odoo, la société fondée par Fabien Pinckaers, désigné Manager de l’Année 2020 par Trends-Tendances. “Nous commençons à voir éclore un écosystème prometteur, conclut Willy Borsus. La traduction en activités économiques et en emplois devient maintenant une réalité. Quand je vois l’évolution d’une entreprise comme I-Care dans la maintenance industrielle prédictive, je me dis qu’il y a des choses remarquables qui sont en train de grandir chez nous et dont la notoriété va bientôt exploser. Le numérique en Wallonie est sans doute au même stade que les biotechs il y a quelques années.”

Les appels à projets lancés par Digital Wallonia

– Le programme Giga Région. Celui-ci a pour objectif de transformer la Wallonie en “un territoire connecté performant”. Les appels visent ici à combler les zones encore mal connectées (projet last mile), à lancer les premières proofs of concept d’utilisation “réaliste et pertinente” de la 5G et à mettre en oeuvre les premiers démonstrateurs régionaux 5G. En l’occurrence, les appels à projets devraient aider, espère le ministre, à lever certaines craintes citoyennes envers les effets supposés de la 5G. Willy Borsus rappelle à cet égard que le cadre décrétal a été approuvé par le gouvernement et qu’il devrait maintenant effectuer son parcours parlementaire en vue d’une approbation avant la fin de l’année. “Il y a un engagement collectif du gouvernement à cet égard”, précise-t-il.

– L’intelligence artificielle. Les appels sont répartis en trois catégories (Start, Tremplin et Cap IA), selon le degré de maturité des acteurs. Digital Wallonia mettra un accent particulier sur l’aéronautique et le retail (catégorie Start) ainsi que sur les organismes publics (catégorie Tremplin).

– L’économie circulaire. L’appel à projets permettra de tester dans des entreprises wallonnes la faisabilité de projets circulaires utilisant des technologies numériques dans les domaines de la construction, de l’eau et du stockage de l’énergie. “L’une des évolutions de Digital Wallonia V3 est l’accent sur la durabilité, commente Willy Borsus. On évoque souvent les éléments de consommation et de disponibilité de matières qui accompagnent la transformation numérique. Mais elle peut aussi être l’alliée de la transition écologique avec l’optimisation des process grâce à l’IA ou le recours à des super-calculateurs.”

– Industrie du futur. Il s’agit ici de soutenir la transformation du secteur manufacturier et d’aider les entreprises à adapter leur processus de production afin d’obtenir le label d’ambassadeur Made Different ou Factories of the future. “Les démarches sont longues et contraignantes mais elles aboutissent à de vrais labels de qualité, commente André Blavier. Ces labels peuvent être valorisés auprès de fournisseurs ou de clients mais aussi auprès du personnel. Cela a un impact manifeste sur l’implication, la formation et la fierté du personnel.” En ces temps de guerre des talents, c’est loin d’être négligeable.

André Blavier (Agence du numérique)
André Blavier (Agence du numérique)© pg

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