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La triste fin de la charte du contribuable?

Lire la chronique de Thierry Afschrift Professeur ordinaire à l'Université libre de Bruxelles.

Ce mélange des genres est grave parce qu’il porte atteinte à la séparation des pouvoirs dans ce qu’elle a sans doute de plus essentiel: l’indépendance de la Justice.

En 1986, le Parlement a voté une loi que l’on a appelée avec un peu d’emphase “la charte du contribuable”. Elle accordait certains droits aux personnes poursuivies par le fisc ou la justice pénale, des droits limités qui étaient loin de mériter la dénomination de “charte”. Elle avait été votée à l’initiative des libéraux d’alors, encore dirigés par Jean Gol et qui, à l’époque, luttaient contre la “rage taxatoire”. Une de ses dispositions essentielles était de rendre impossible la participation par des fonctionnaires du fisc à des enquêtes pénales pour fraude fiscale. Le but était de mettre fin à certains abus, dus à une situation où des agents pouvaient mélanger leurs fonctions de taxateur et d’enquêteur.

Ce mélange des genres est grave parce qu’il porte atteinte à la séparation des pouvoirs dans ce qu’elle a sans doute de plus essentiel: l’indépendance de la Justice.

Ces dispositions ont été petit à petit grignotées et aujourd’hui, le ministre des Finances Vincent Van Peteghem veut abolir définitivement le peu qu’il reste de cette vieille charte rabougrie. Il propose froidement que, désormais, des agents du fisc puissent participer à des enquêtes pénales fiscales, par exemple en procédant à des perquisitions ordonnées par le juge d’instruction, ou à des interrogatoires et autres auditions de témoins. Le ministre invoque le fait que de telles pratiques existent déjà dans d’autres domaines du droit, par exemple en droit pénal social. Ce n’est pas un argument: le fait qu’une erreur ait déjà été commise ne constitue en rien une excuse pour la reproduire.

En réalité, ce choix du ministre porte une atteinte très grave à deux principes fondamentaux d’un Etat de droit. D’abord, il s’agit d’une intervention de fonctionnaires du ministère des Finances, c’est-à-dire du pouvoir exécutif, dans des actes qui relèvent de poursuites judiciaires et donc du pouvoir judiciaire. Ce mélange des genres est grave parce qu’il porte atteinte à la séparation des pouvoirs dans ce qu’elle a sans doute de plus essentiel: l’indépendance de la Justice. Même si les fonctionnaires, ainsi devenus officiers de police judiciaire, agiront toujours sous les ordres de magistrats, il n’empêche qu’ils auront un rôle dans des enquêtes en constatant des faits éventuellement punissables et en accomplissant des actes de contrainte réservés à la justice. C’est un nouveau recul pour le pouvoir judiciaire dont les pouvoirs sont déjà régulièrement rabotés, en passant de plus en plus souvent du juge d’instruction au parquet, puis du parquet à la police.

D’autre part, la participation d’agents du fisc à des enquêtes pénales porte atteinte aux droits de la défense des personnes poursuivies. Les juges doivent être indépendants et impartiaux. Et cela suppose que les personnes qui les assistent, comme les officiers de police judiciaire, agissent comme eux à charge et à décharge non seulement d’une manière effectivement impartiale mais aussi en donnant toutes les apparences d’un impartialité objective. On pourra difficilement dire que les personnes travaillant pour le SPF Finances, dont la fonction est de recueillir le payement des impôts, fassent preuve d’une impartialité objective en intervenant dans des enquêtes qui peuvent précisément rapporter des recettes au Trésor public.

Bien plus, l’administration fiscale a conquis le droit de se constituer partie civile dans des procédures judiciaires. Comment peut-on concevoir que des agents de la partie civile, c’est-à-dire d’une partie au procès, pourront être chargés de participer aux enquêtes, portant précisément sur le fondement ou non de leur plainte et de leur constitution de partie civile?

Il faut se rendre compte que c’est la crédibilité de la Justice et de l’Etat de droit qui est ainsi mise en cause si les projets gouvernementaux sont suivis d’effets. Il y a des ministres “fiers d’être libéraux” dans le gouvernement fédéral. Il paraît clair qu’ils ont définitivement oublié Jean Gol et ses principes …

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