Paul Vacca

La résistance héroïque de Tom Cruise face à l’emballement des plateformes numériques

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Lorsqu’on lui demande à Cannes s’il a envisagé de sortir le film sur une plateforme, c’est un cri du coeur: “Jamais de la vie”.

Lorsqu’en 1975, Sylvester Stallone, acteur en mal de reconnaissance et de rôles, propose le script de Rocky, il n’a aucun mal à trouver preneur. L’histoire de Rocky Balboa, boxeur amateur qui se met en tête d’affronter la montagne Apollo Creed (inspirée par le match héroïque de Chuck Wepner qui tiendra 15 rounds face à l’invincible Mohamed Ali) a tout pour affoler le box-office. Une histoire de résistance héroïque à la David et Goliath comme Hollywood en raffole. Le producteur Irwin Winkler lui en propose 250.000 dollars: une somme colossale à l’époque. Chez United Artists, ils sont tellement emballés qu’ils envisagent de donner le rôle-titre aux plus grandes têtes d’affiches de l’époque: Robert Redford? James Caan? Burt Reynolds?

Mais pour Stallone, c’est non, non et non. Pas question de confier le rôle de Rocky à un autre acteur, si bancable soit-il. Il exige de l’incarner lui-même. De haute lutte, après une quinzaine de rounds avec le studio, lui, l’acteur inconnu, finit par convaincre la production et le studio qu’il sera Rocky Balboa. Mais il doit dire adieu aux 250.000 dollars du scénario et se contenter du tarif syndical pour son rôle d’acteur. Un risque insensé mais qui n’avait rien d’un caprice, selon Stallone: pour lui, il était indispensable pour le succès du film que l’acteur soit comme le personnage, à savoir un total inconnu aux yeux du public. Mieux, un underdog, un “moins-que-rien”. Pour Stallone, le hors-champ du film devait être en phase avec le champ du film. Le méta-récit avec le récit. Au point que, comme on sait, les destins de l’acteur et du personnage finiront par se confondre.

Aujourd’hui avec “Top Gun: Maverick”, on revit cette même histoire de résistance et de méta-récit. Evidemment, la situation de l’hyperstar Tom Cruise n’a rien à voir avec celle de l’underdog qu’était Stallone avant Rocky. Et pourtant, il lui faudra aussi résister. D’abord aux sollicitations pressantes pendant plus de 30 ans de la part de ceux qui voulaient produire une suite au Top Gun réalisé par Tony Scott en 1986. Il voulait être sûr que ce serait le bon script et le bon timing. Jusqu’à ce qu’il accepte de tourner Top Gun: Maverick, dans la boîte depuis 2019 pour une sortie prévue en 2020. Mais en 2020, le monde avait d’autres plans. Alors, Paramount se retrouve avec une flopée de films sur les bras et une incertitude quant à la réouverture des salles et fait pression pour que Top Gun: Maverick atterrisse sur leur plateforme. Peut-on rêver plus belle rampe de lancement pour Paramount+, qui voit le jour en mars 2021?

Mais pour Tom Cruise, c’est non, non et non. Lorsqu’on lui demande à Cannes s’il a envisagé de sortir le film sur une plateforme, c’est un cri du coeur: “Jamais de la vie”. Une question d’exigence esthétique, de spectacle pour un film conçu sans fond vert ni CGI, tout spécialement pour des écrans XXL et pas pour des écrans d’ordinateurs ou des smartphones. Mais quand on voit le film, on comprend que quelque chose de plus impérieux s’est joué dans ce refus. Quelque chose de l’ordre du méta-récit aussi. Cette résistance fait écho à celle du héros du film.

Alors que le pilote téméraire se voit rappeler par les autorités militaires que son “espèce est appelée à disparaître”, à être remplacée par des drones et l’intelligence artificielle, Pete “Maverick” Mitchell répond: “Peut-être. Mais pas aujourd’ hui”. Avant d’offrir aux spectateurs un splendide baroud d’honneur avec la jeune garde. En forme de bras d’honneur. Car sait-il que l’expérience de la salle de cinéma et du grand écran est appelée à disparaître? Peut-être, semble dire Tom “Maverick” Cruise. Mais pas aujourd’hui.

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